Agences
En raison de la pénurie de talents digitaux et de la dynamique de la reprise, nombreuses sont les fonctions en agences qui voient leur rémunération progresser au troisième trimestre, selon une étude exclusive Shefferd pour Stratégies.

Trente-huit agences de diverses tailles représentant 2276 personnes au total, c’est le terrain de la nouvelle étude de Shefferd consacrée aux rémunérations en agences et que nous publions en exclusivité. Dans 6 cas sur 10, il s’agit d’une agence de communication de moins de 50 salariés, avec 54 % de femmes en moyenne et comprenant autant de collaborateurs dévolus à la création (33,6 %) que de commerciaux (34 %). Le digital (23,1 %) arrive ensuite devant les métiers de la production et du planning stratégique (9,3 %).

Notons que par rapport aux précédents crus publiés par Stratégies, la représentation des grandes agences est un peu moins forte, ce qui tend à minorer légèrement le niveau moyen des rémunérations, les augmentations et les écarts avec les petites agences. Soumise à un fort turnover, les plus grosses structures ont d’autant plus tendance à augmenter les rémunérations qu’elles subissent une pression liée à la forte demande en talents digitaux venus de toutes les entreprises [lire encadré].

Renégociation et embauches

Reste que par rapport à l’étude réalisée en mars 2020 - immédiatement avant le covid -, la plupart des métiers en agences observent des hausses de salaire. C’est en particulier visible dans le domaine commercial où les directeurs de clientèle (+5,7 %) et les directeurs conseil (+1,7 %) se valorisent assez nettement. Marc de Torquat, cofondateur et CEO de Shefferd, rappelle qu’après une année de gel des rémunérations, on est dans une situation propre au troisième trimestre 2021. « Il ne s’agit pas d’une révision de salaires, laquelle a lieu plutôt en début d’année, note-t-il, c’est plutôt de la renégociation au cas par cas ou de l’embauche. Il y a beaucoup de mouvements et quand on change, on en profite pour obtenir une augmentation ». Selon l’étude, 95 % des agences ont recruté depuis mars 2020.

Hervé Brasselet, coprésident de Parties Prenantes et président de la délégation corporate de l’AACC, rappelle que la période de crise sanitaire a été l’occasion d’une interrogation forte sur ce qui produit de la valeur collective : « Les profils middle+ seniors présents dans le quotidien du client sont clés dans le maintien d’un chiffre d’affaires », rappelle-t-il. Comme ils sont prisés par l’annonceur, les start-up ou les groupes de conseil (Accenture, Capgemini…), les agences doivent s’aligner pour ne pas les perdre en période de forte demande, voire de plein emploi pour les cadres.

Il faut noter aussi que la guerre des talents se fait logiquement sur des profils expérimentés, avec une dizaine d’années d’ancienneté. Les profils plus juniors, comme les postes plus rares de directeurs commerciaux, évoluent moins. Il faut dire que les agences sont soumises à la difficulté de maintenir leurs prix en raison de budgets souvent attribués à une autre agence à la suite d’une compétition. D’où des choix assumés : « Soit vous avez une dynamique salariale relativement faible, explique Hervé Brasselet, soit vous avez moins de collaborateurs que vous payez plus, soit vous embauchez moins cher des jeunes diplômés que vous faites grandir à travers un parcours de formation interne. »

Directeur de la création, un profil hors norme

Dans le domaine de la création, on retrouve aussi des différences entre les fonctions intermédiaires, comme le DA confirmé (+1,3 %) et des postes plus juniors qui tendent à rester stables. Le profil de directeur de la création est plutôt hors norme car si sa rémunération ne bouge pas dans sa médiane, elle varie du simple au double (entre 69 300 et 130 300 euros annuels) suivant le premier ou le dernier quartile. À noter aussi que les femmes, moins nombreuses au sommet, ont aussi un quart de rémunération en moins. « La parité est assez bien respectée dans les métiers de la création, hormis pour la fonction de directeur de la création, souligne Marc de Torquat. Certes, elles négocient moins à l’entrée et elles ont peut-être moins la bougeotte, mais ce n’est pas normal qu’il y ait un écart aussi important. » Pour l’AACC, Hervé Brasselet y voit un « chantier très clair ». Ou comme il dit : « Au plus haut niveau de responsabilité, les femmes semblent moins bien payées. Il faut que nous regardions ces profils-là. » En outre, l’attractivité des populations créatives est moins évidente à affirmer ailleurs que dans le monde des agences. Ce qui n’est pas le cas de commerciaux qui peuvent se vendre en entreprise ou dans l’écosystème des start-up.

Pénurie dans le digital

Que dire des professionnels du digital ? Ils sont sans surprise en forte augmentation quelles que soient les fonctions : directeur social media (+6,1%), data analyst (+5%), community manager (+ 3,6%)... Mais la plus haute rémunération est celle de chief data officer (+2,9%) qui dépasse désormais celle de directeur de la création, avec 92 600 euros de rémunération médiane et peu d’écart femmes/hommes. « Après le covid, les entreprises accélèrent leur transformation et orientent leurs budgets vers le social media et la data, relève le CEO de Shefferd. Résultat, tout le monde s’arrache ces profils ». On peut même parler de véritable pénurie en ce moment puisque le nombre de postes est supérieur à celui des candidats.

Quant aux métiers de la production et du planning, ils sont au global plutôt stables, à l’exception du directeur du planning stratégique (+2 %), qui atteint 104 100 euros de rémunération médiane. La rémunération du planneur strat (+0,6%) augmente moins sensiblement mais le différentiel entre les femmes et les hommes y est aussi moins saillant [voir graphiques]. « La fonction est assez précieuse, ajoute Marc de Torquat, elle participe aux pitchs car il faut savoir comment les gens consomment, connaître la pertinence de la cible, etc. »

Au final, il reste aux agences à renforcer leur attractivité pour fidéliser et recruter les meilleurs talents. Le carnet de commandes est souvent bien orienté et la confiance est de mise pour 2022. Mais les agences sont confrontées à plusieurs défis. D’abord, elles doivent répondre aux salariés qui, après le covid, veulent changer de vie. Shefferd parle de « changement de paradigme ». 45 % des agences sont à deux jours de télétravail et 18 % à trois jours. Les deux tiers laissent des plannings libres afin que leurs collaborateurs organisent eux-mêmes leur temps. L’ultra-concentration sur l’Île-de-France tend aussi à s’estomper, des candidatures étant faites en régions. Enfin, comme dit Hervé Brasselet, il importe de montrer qu’il s’agit de « métiers positifs dans la transformation économique et sociale et qui permettent de soutenir des changements ». Bref, pas seulement que l’expérience en agences est valable et utile dans tous les secteurs. Aussi qu’elle « participe à la transformation du monde ».

Un marché tendu sur le digital

En annonçant 10 000 embauches en cinq ans en Europe, Facebook a-t-il conscience qu’il fragilise indirectement les agences françaises ? De fait, d’après Numéum, l’association du secteur du numérique, il manque 10 000 ingénieurs informatiques en France. Les talents du digital vont traditionnellement dans les grands groupes (Thales, Dassault Systèmes, STMicroelectronics…) mais aussi, de plus en plus, dans les Gafam et dans les start-up qui parviennent aussi à attirer des jeunes diplômés, surtout parmi les licornes (Alibaba, Backmarket, OVH…).

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