Comment se présente cette rentrée ?
Cyril de Froissard. Nous marchons sur des œufs, car la situation évolue en permanence. Si le passe sanitaire permet d’envisager l’avenir avec un peu plus d’optimisme, l’attentisme reste de mise chez un grand nombre de clients, dont certains s’interrogent encore sur le maintien d’opérations programmées en octobre et novembre. La reprise espérée pour cette rentrée risque d’être une fois encore décalée.
Les agences ont-elles encore la capacité d’attendre ?
Jusqu’ici, nous avons eu la chance d’être soutenus par l’État, et nous sommes en contact régulier avec Bruno Le Maire et ses équipes. Avant l’été, nous leur avons fait part de notre inquiétude concernant l’arrivée d’une quatrième vague au moment où s’arrête le dispositif d’aides. Ils se voulaient rassurants sur ce dernier point [une réunion, non confirmée à l’heure où nous bouclons cet article, devait avoir lieu durant la première quinzaine de septembre]. S’ils ont compris que nos problématiques métiers n’étaient pas les mêmes que celles des restaurateurs, et s’il est clair que le travail réalisé ces derniers mois par la filière pour arriver à une vraie reconnaissance auprès des politiques a payé, nous souffrons toujours d’un manque de lisibilité. Notre filière n’est toujours pas structurée.
Est-ce que l’Unimev ne représente pas la filière ?
Bien sûr, mais contrairement à d’autres, nous restons un collectif d’associations sans tête de pont clairement identifiée et fédératrice pour représenter l’ensemble de la filière. C’est un constat que nous – Lévénement, Unimev, Créalians, etc. – dressons régulièrement lorsque nous sortons d’une réunion avec les ministères : nous avons de nombreuses problématiques communes sur la formation, le recrutement, la RSE, nous apprécions de travailler ensemble, mais notre filière regroupe de très nombreux métiers [menuisiers, scénographes, électriciens, traiteurs, etc.] et typologies d’entreprises différents. S’ils sont une spécificité de l’événement, ils sont aussi très problématiques dans des situations comme celle que nous vivons actuellement, par exemple pour l’attribution des aides. Nous n’avons pas encore la solution, mais il faudrait que ceux qui travaillent spécifiquement pour l’événementiel soient facilement identifiables. Cela va dans le sens du gouvernement, qui souhaite réduire le nombre de branches professionnelles.
La crise a accéléré la digitalisation de la société. Les agences l’ont intégrée, mais ont-elles eu le temps d’assimiler cette évolution ?
Il est vrai que dans un premier temps, nous avons fait du digital d’urgence en multipliant les Teams et autres Zoom jusqu’à l’overdose. Mais nous avons depuis travaillé sur des dispositifs plus pertinents et plus impactants. Je ne sais pas s’il faut y voir une tendance de fond, mais il est clair que le digital occupera désormais une place importante dans l’événement : ni contre, ni mieux ou moins bien, ni à la place du présentiel. La combinaison des deux canaux ouvre de nouvelles perspectives. Concernant la capacité des agences à assimiler la technologie, je n’ai pas de doutes. J’en veux pour preuve la fidélité de nos clients qui, lorsque le digital s’est imposé comme unique solution, ont préféré se tourner vers nous plutôt que vers des spécialistes du domaine. Au-delà, cette mutation repose la question de ce qu’est un événement. Pour nous, il n’est plus seulement un temps fort unique et physique, mais un mix de formats présentiels et/ou distanciels étalés dans le temps.
Dans les premiers mois de la crise, beaucoup d’agences ont salué la solidarité de leurs clients, mais leur discours est très différent depuis la reprise. Elles dénoncent le retour aux méthodes douteuses et irrespectueuses, à l’hystérie d’appels d’offres, etc.
Il y a effectivement beaucoup plus, voire beaucoup trop, d’appels d’offres et de consultations ces derniers mois, dont certains mobilisent cinq ou six agences pour un budget famélique. Pour sortir de cette situation, les agences doivent avancer collectivement en refusant l’inacceptable. De l’autre côté, les annonceurs doivent changer de comportement : 80 % des consultations mettent en compétition plus de trois agences qui n’ont aucun moyen d’échanger avec le donneur d’ordre, de présenter leur projet ou de débriefer. Si tous les annonceurs ne sont pas concernés, ils sont encore très nombreux, y compris parmi ceux qui revendiquent avoir de bonnes pratiques RSE. Certains profitent même de la situation de précarité pour demander toujours plus. Beaucoup procèdent à des référencements qui requièrent de la part des agences un investissement énorme sans aucune garantie de business, y compris pour celui qui est référencé !
Le problème n’est malheureusement pas nouveau. De nombreuses rencontres ont été organisées, de nombreuses chartes ont été signées sans jamais permettre l’arrêt de ces pratiques… Au-delà des déclarations de bonnes intentions, la solution ne devrait-elle pas être plus radicale ?
Nous devons continuer à faire de la pédagogie pour convaincre les annonceurs de l’absurdité de certains, de leurs process et faire cesser le double discours donneur d’ordre / direction des achats. Mais il nous faut aller plus loin, car elle est manifestement insuffisante. Nous devons être plus démonstratifs, exposer le gâchis que représentent tous ces projets quasi finalisés, jamais indemnisés et parfois même jamais lus ! Et ce, alors que personne ne conteste aujourd’hui que les collaborations pérennes sont toujours plus efficaces et pertinentes, et que sept fois sur dix l’agence sortante gagne la compétition ! Pour information, les appels d’offres dans l’événement représentent en moyenne 25 % des coûts de fonctionnement d’une agence. Autant de temps et de moyens que nous ne pouvons pas consacrer à notre métier, qui n’est pas de faire des compétitions, mais de créer des événements ! Nous travaillons avec d’autres métiers sur la question, et si rien n’est acté pour l’instant, nous ne nous interdisons pas de dénoncer ouvertement les pratiques abusives lorsqu’elles seront avérées. D’abord en prenant contact avec l’annonceur concerné, et pourquoi pas en allant plus loin si cela s’avère insuffisant.