« La crise sanitaire a obligé les organisations à se repenser. Pendant cette période, il fallait être accompagné en communication interne, en gestion de crise, en réputation. Nos clients ont eu besoin d’un sparring-partner, et nous avons tiré notre épingle du jeu. » Le constat d’Anne-Cécile Thomann, la nouvelle co-CEO d’Edelman France, en provenance, comme son binôme Emlyn Korengold, de TBWA Corporate, est partagé par nombre de professionnels du corporate. Depuis le début de la crise du covid, l’activité du secteur a certes souffert, mais moins que d’autres disciplines de la communication. « En termes de chiffre d’affaires, la décote pour nous devrait être de 8 % en 2020, mais l’ensemble de nos clients sont restés. Les relations publiques et le social sont la chair de la communication, et aussi ce qui coûte le moins cher. C’est ce qui souffre le moins en période de crise », remarque François Belz, l’un des cinq associés de Wellcom.
Même constat au sein d'Havas Paris, l’un des leaders du marché avec 77 millions d’euros de marge brute, qui intervient sur tous les métiers de la communication. « En 2020, la baisse de notre chiffre d’affaires est, au global, de -12%. C’est un très fort recul, mais il intervient dans un marché où les pertes sont parfois beaucoup plus importantes : -60 % pour l’événementiel, -15 % à -20 % pour les métiers du conseil, -20 % pour la pub. C’est la preuve que le corporate, notamment, ne s’en tire pas si mal », analyse Julien Carette, son président. Certains secteurs d’activité ont même carrément profité de la crise, comme le social media. « Nous avons doublé de taille sur cette activité en 2020, avec des sujets de social listening ou d’e-influence directement liés au corporate », confirme le patron d’Havas Paris. Et nombre de clients de l’agence, en première ligne pendant la crise, ont connu des périodes de suractivité, comme Carrefour, Aéroports de Paris, Korian ou la Fédération hospitalière de France.
Situation atypique
Pour autant, aucun acteur ne sort indemne de la crise du coronavirus, notamment les agences qui intervenaient sur des secteurs sinistrés, comme le tourisme, ou qui développaient des activités à l’arrêt, comme l'événementiel. « Nous tirions 40 % de notre chiffre d’affaires de l’événementiel. Entre mars 2020 et mai 2021, nous sommes passés à proche de zéro sur cette activité. On a perdu tout ce volet de manière radicale », constate Thomas Marko, à la tête d’une agence conseil de 25 personnes. Dans certaines agences, des mesures de chômage partiel ont été mises en place et, partout, le télétravail est devenu la règle.
Aujourd’hui encore, la situation reste totalement atypique. « Nous sommes toujours en télétravail quasiment à 100 % », note François Belz, de Wellcom, qui emploie une centaine de personnes. Ses locaux de l’avenue de Wagram restent ouverts, mais seule une dizaine d’employés y sont présents, de façon aléatoire. Même chose chez Edelman, avec une trentaine de salariés sur 130, qui se relaient dans les nouveaux locaux de l’agence avenue de Miromesnil. « Hormis au début du confinement, en avril-mai 2020, nous n’avons jamais fermé. Là, nous sommes à 25-30 % de présence. On passera à 50 % le 9 juin, avec un retour à la normale prévu le 1er septembre », indique Julien Carette d'Havas Paris, qui totalise 400 collaborateurs.
La communication interne, un levier clé
La question du retour à l’emploi est l’un des enjeux de la rentrée pour les agences, mais aussi pour leurs clients. « La communication interne est un levier clé de la reprise pour les entreprises. La question de la perte du sentiment d’appartenance, la façon dont on restaure le lien, l’identité collective, ce sont des sujets brûlants pour nos clients », relève Juliette Mutel, directrice générale de Babel et vice-présidente de la délégation corporate de l’Association des agences conseil en communication (AACC). « Beaucoup de dircoms très orientés sur la communication interne ont retrouvé avec la crise un vrai intérêt pour la question de l’accompagnement de leurs collaborateurs », confirme Hervé Brasselet, co-président de Parties prenantes, et qui est, lui, président de la délégation corporate de l’AACC. « Il y a cet enjeu de remettre les collaborateurs au travail, mais on s’attend aussi à des crises sociales pour lesquelles on sera, là, en accompagnement », note Pascale Azria, directrice générale associée de Kingcom et présidente du Syndicat du conseil en relations publics (SCRP).
Pendant la crise, les agences ont dû s’adapter dans l’urgence à la situation. Thomas Marko a ainsi proposé, pour pallier l’arrêt des rencontres physiques, une offre de services dans le domaine des événements virtuels, en partenariat avec l’un de ses clients, le salon Laval Virtual. Utilisé par Kronenbourg ou Puma, l’outil permet, via un avatar, d’assister à une conférence de presse, d’aller sur un salon ou même de passer une soirée en discothèque. « Pendant la crise, en matière de communication interne, les entreprises se sont mises au direct, avec tout ce que cela comporte comme part d’imprévu et d’interactivité », constate Jeanne Camuset, directrice associée d’Ultramedia. « Il s’agit maintenant de rationaliser ces dispositifs », note Camille Nagyos, qui dirige cette agence lyonnaise.
Ultramedia propose à ses clients une offre combinant expériences physiques et virtuelles, baptisée « Alive ». Elle prépare ainsi pour le Crédit Agricole une émission en direct, avec un vrai plateau, au cours de laquelle les collaborateurs de la banque pourront dialoguer avec les intervenants depuis leur écran. « On a regardé ce que la crise accélérait comme transformations qui étaient déjà à l’œuvre et on a constaté une évolution des formats, plus courts, plus immédiats, plus utilisables sur tout type de plateformes », indique Arielle Schwab, directrice générale adjointe d’Havas Paris en charge de l’influence. Son agence a lancé « Make it live », « une offre audiovisuelle capable d’imaginer n’importe quel format sur mesure », utilisée notamment par LVMH et La Poste.
Agitation
Nombre d’entreprises ont aussi profité de la période pour remettre à plat leur dispositif de communication. Conséquence pour les agences, « un appel d’air », comme le note Anne-Cécile Thomann chez Edelman. « Nous sommes pas mal sollicités et interrogés par des annonceurs qui veulent être prêts pour la relance et cherchent à redéfinir leur périmètre d’agences », indique la dirigeante. « On sent une grande agitation, beaucoup de grandes manœuvres depuis la sortie du premier confinement, avec des mouvements financiers, des introductions en Bourse, des opérations pas seulement du côté du CAC 40 mais aussi dans l’écosystème des start-up », confirme Arielle Schwab d'Havas Paris. « Je vois des briefs, des appels d’offres, il y a une volonté du marché », note Thomas Marko, affichant un « optimisme prudent ». D’autres, comme Camille Nagyos, d'Ultramedia, sentent de « l’attentisme », avec « une envie de faire des choses mais encore un manque de visibilité ».
Au cœur de la reprise enfin, les sujets autour de la RSE sont plus que jamais d’actualité. « Il y a eu un ralentissement parce que c’était moins prioritaire, mais il y a maintenant une vraie reprise de ces projets autour de l’engagement, de l’activisme ou de la raison d’être », indique Arielle Schwab. Havas Paris a ainsi aidé Orange à co-construire avec ses salariés sa raison d’être. « Les entreprises réenclenchent des choses à l’aune du sens », note François Belz de Wellcom, dont l’agence a établi une méthodologie de travail pour accompagner ses clients sur cette question. « Le corporate, on n’en a jamais eu autant besoin, on est dans la recherche de sens », estime aussi Olivier Breton, le président d’I&S. Pour mieux « décrypter l’ADN culturel » des entreprises, il vient de lancer avec Jean-Pierre Seguret, du cabinet Ryder & Davis, un outil d’audit permettant de sécuriser les opérations de fusions-acquisitions. Car c’est l’un des paradoxes de la crise, souligné par Emlyn Korengold chez Edelman : « Pendant la pandémie, les marchés financiers ont bien fonctionné. »