- Clément Leonarduzzi, président de Publicis Consultants
«Du point de vue économique, il est clair que des secteurs entiers mettront du temps à s’en relever, l’événementiel en tête. On distingue trois catégories d’entreprises dans le contexte actuel. En premier lieu, les fameux héros du quotidien. Ce sont des acteurs comme EDF, la RATP, Suez ou encore Carrefour, pour qui l’activité continue. En second lieu apparaissent les marques pour lesquelles l’activité est réduite mais qui disposent d’une stature mondiale de nature à limiter les effets de la crise, dans le secteur de l’industrie par exemple. Puis il y a la troisième catégorie, celle des sociétés nationales ou internationales qui sont totalement à l’arrêt, dans des secteurs variés allant de la mobilité à l’événementiel en passant par le tourisme.
En dépit de ces situations contrastées, il existe des besoins communs. Anticiper au maximum, aider les marques à mettre en place leurs initiatives solidaires, prioriser les publics, faire entendre certains combats de manière commune comme ont réussi à le faire la coiffure ou le secteurs de l’hôtellerie notamment. Les sujets ne manquent pas. Une autre demande récurrente consiste à essayer d’anticiper le monde d’après, un exercice périlleux au plus haut point dans la mesure où cette crise est sans précédent, mondiale et surtout loin d’être finie. Il faut donc un accompagnement multiple au quotidien qui ne doit néanmoins pas virer aux prédictions hasardeuses. En réalité, personne ne sait réellement quelle sera la suite des événements. Ni les scientifiques, ni les politiciens, ni les économistes. Il n’y a qu’à voir le rebond inattendu lorsque Hermès a rouvert ses magasins en Chine, avec un chiffre d’affaires record de 2,7 millions de dollars en un jour pour une seule boutique!
Sur le volet corporate pur, qui touche autant à la communication interne qu’aux PR, la com de crise ou les actions RSE, l’activité est permanente avec la crise sanitaire actuelle. On sent qu’il y a un besoin accru à tous les niveaux, tous acteurs et tous secteurs d’activité confondus. Ce qui, ‘‘cyniquement’’, est plutôt une bonne nouvelle pour une agence comme Publicis Consultants, dont c'est le cœur de métier. Après, est-ce que les moyens peuvent et vont suivre ? C’est une autre question. En tout cas, aussi difficile soit-elle, cette période a au moins une vertu: celle de révéler la véritable nature des gens, qu’ils soient clients, collaborateurs, acteurs publics ou encore acteurs privés.»
- Fabrice Conrad, directeur général de Havas Paris
«La réaction des annonceurs est très variable. S’il est clair que les investissements sont majoritairement coupés et les projets reportés dans des secteurs comme l’automobile, le tourisme, l’aéronautique ou la distribution non alimentaire, d’autres comme ceux de la santé et de la distribution alimentaire tirent leur épingle du jeu. La réaction des clients est aussi évolutive. Une réaction a suivi la phase initiale de sidération et la plupart des annonceurs se sont désormais remis en mouvement, ne serait-ce que pour préparer la sortie de crise. C’est schématiquement le même constat pour les agences, avec des activités comme la publicité ou l’événementiel qui sont à l’arrêt tandis que l’activité est forte autour d’expertises conseil au sens large : com de crise, RP, com financière… Mais aussi en social media, devenu le lieu de rencontre par excellence des Français.
On note une surchauffe des activités de conseil, où il faut être au plus près des clients au regard de la situation actuelle. Et si certains sont touchés de plein fouet, cela demande paradoxalement plus de travail pour l’agence. Car là où le client demande d’ordinaire de travailler sur un projet, il demande aujourd’hui un plan A mais aussi un plan B et encore un plan C. On travaille au cas par cas, le tout dans des délais raccourcis. C’est la raison pour laquelle nous travaillons actuellement en circuit court avec des équipes « senior » en mesure de prendre des décisions rapides. On remarque également dans cette période troublée le besoin d’avoir recours à l’intelligence et la puissance du planning stratégique. À ce titre, nous envoyons toutes les semaines une newsletter à nos clients compilant des éléments éclairants tels que des études d’opinion ou encore des best practices. Il faut nourrir la pensée stratégique.
Pour ce qui est de la communication en tant que telle, les entreprises doivent articuler leurs paroles et leurs actes autour de trois éléments clés. Premier d’entre eux, l’utilité. La plupart des enseignes ont communiqué autour de ce qui s’apparente désormais un peu à une martingale, mais force est de constater que cela fonctionne bien dans la perception qu’en ont les Français. À cet égard, on peut souligner la remontée fulgurante au classement de La Poste dans la dernière vague Brands&You CSA, qui illustre les bénéfices de cette utilité sociale. Deuxième élément, la générosité, là aussi investie par de nombreuses marques. Troisième et dernier mot d’ordre, l’empathie, plus que jamais nécessaire comme l’ont compris certains annonceurs.
L’expérience a montré qu’à la suite des crises, les entreprises ayant maintenu leur communication sont celles qui s’en sont le mieux sorties. Il faut donc adapter son propos et maintenir le lien avec les publics externes mais aussi internes pour préserver ses parts de marché. On notera au passage que la présence des marques dans la vie quotidienne n’a jamais été aussi précieuse. Les sujets du corporate sont devenus centraux pour les marques et les consommateurs et le deviennent plus encore avec cette crise. En ce sens, LVMH est un exemple dont les décisions vont marquer durablement l’opinion. Les dirigeants doivent prendre la parole, se positionner, comme a pu le faire Emmanuel Faber de Danone notamment. Il faut une attention et une vigilance démultipliée vis-à-vis des différents publics. Et ne pas hésiter aussi à adopter une communication très pédagogique. Ce qui est certain, c’est qu’il y a un besoin accru de communication.
Quant aux perspectives pour les marques, l’enjeu majeur sur le volet communication externe est de préparer stratégiquement la sortie de crise. Cela nécessite d’appréhender les nouveaux comportements des consommateurs, ou faire évoluer sa plateforme de marque, mais cela nécessite aussi des choses plus simples comme de la préparation logistique et opérationnelle. Quels messages délivrer lorsqu’on s’apprête à réaccueillir les clients après un tel épisode ? Comment remobiliser les salariés ? En d’autres termes, la situation soulève de nombreux enjeux en interne et en externe. »