Festival de la BD d’Angoulême, 30 janvier 2020. Une photo d’Emmanuel Macron posant aux côtés du dessinateur Jul avec un tee-shirt dénonçant les violences policières est publiée sur Twitter. Une image pour le moins explosive en pleine période de remise en cause de l’action des forces de l’ordre, dont se serait bien passé ce président dont la volonté de maîtrise apparaît comme l’une des grandes caractéristiques. Communication « monarchique », « jupitérienne » voire « interventionniste »… Les commentateurs, qui relèvent cette volonté de contrôle mise à mal par l’affaire Benalla puis par les Gilets jaunes, ne manquent pas d’adjectifs. Autre caractéristique de la com présidentielle : son style. « Nous avons un président de l’écrit. Moins un président de la punchline que de la démonstration », explique Thibault Joseph, directeur associé de l’agence de communication Elan Edelman. « Il est d’une grande théâtralité. Il ne cherche pas un effet naturel, surjoue un peu, à la manière d’un acteur shakespearien », analyse Philippe Moreau Chevrolet, président de MCBG Conseil, agence de conseil en communication personnelle et stratégie d’influence des dirigeants.
1. Dans ses discours
Lorsqu’Emmanuel Macron s’adresse aux Français, ce n’est pas sans une certaine emphase. « Il pense qu’un président doit être un personnage littéraire. Il est resté sur la vision d’un président des années 80. Il imite beaucoup Mitterrand. Quand il lit un texte, c’est écrit, peu naturel, dans un style précieux, ancien », décrit Philippe Moreau Chevrolet. « Il emploie un ton assez théâtral, beaucoup de références littéraires, comme pour puiser dans la culture historique la légitimité oratoire des grands anciens », poursuit Arnaud Benedetti, professeur à la Sorbonne et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Une vision de la fonction qui s’accorde avec le cadre des commémorations nationales, qui requièrent une certaine solennité et de la gravité. « Là où il est le meilleur, c’est quand il rend hommage aux morts », explique Arnaud Mercier, professeur en information-communication et directeur des études à l’Institut Français de Presse. Mais ce style peut aussi desservir le président dans d’autres situations. « Les Français ne se satisfont pas de son image de solennité pour juger son bilan économique et social », note encore le spécialiste.
Le pendant de ces discours bien tournés ? Les fameuses petites phrases. « Pognon de dingue », « traverser la rue pour trouver du travail »… Elles ont eu un effet dévastateur. « Macron est un intellectuel qui a lui-même contrebalancé l’ensemble de cet intellectualisme par des petites phrases qui ont été des postures de campagne », estime Jacky Isabello, cofondateur de Coriolink, agence conseil en communication corporate, institutionnelle et politique. « Il évolue entre un style chargé comme Mitterrand et un style spontané, direct, agressif, un peu voyou à la Sarkozy, développe Philippe Moreau Chevrolet. Entre Céline et Proust, pour la caricature. Depuis qu’il est élu, l’on voit davantage le président littéraire mais l’on sait que le Sarkozy n’est jamais loin. »
2. Face aux Français
Ce président de l’écrit doit aussi parfois quitter ses notes et ses mots bien troussés pour aller parler directement aux Français. « Il est assez à l’aise sur la forme. Et plus à l’aise dans les relations impromptues, même s’il a des propos sujets à polémique », explique Arnaud Benedetti. Reste qu’on ne se refait pas tout à fait. « Face aux Français, sa communication est le fruit d’un mélange un peu étonnant, estime Arnaud Mercier. Il n’hésite pas à aller voir les gens, comme Chirac, mais en même temps les met à distance, comme Mitterrand », s’essayant ainsi à « une proximité qui ne va pas au bout de la démarche ». Feinte ou goût pour l’écrit plus fort… Quoi qu’il en soit, Le Grand Débat début 2019 reste un moment symbolique de sa présidence. « À un moment où il est contraint, il a ce coup de génie. Alors qu’autour de lui on n’y croit pas, il l’impose, reprend la main », estime Jacky Isabello. Coup de génie ou de désespoir alors que les Gilets jaunes sont dans la rue depuis plusieurs semaines, cette initiative se veut une réponse à son image de président hautain, méprisant, gouvernant pour les riches. Ainsi, sa réponse est largement mise en scène, avec un président descendu dans une arène plutôt qu’à une tribune, les manches retroussées, répondant pendant de longues heures, avec une connaissance des dossiers relevée par les commentateurs. « Un format très nouveau en communication politique », estime Thibault Joseph. « Un bon coup pour essayer de rétablir une image de lui plus attentif, moins jupitérien », explique Arnaud Mercier. « Il a dû sortir du bois, gérer la crise mais, sur la forme, il s’en est sorti haut la main », estime Charlotte Euzen, directrice du cabinet de conseil en communication Tilder. Difficile de trouver des analyses moins unanimes.
3. Sur les réseaux sociaux
Le plus jeune président que la France ait connu n’est pas, en dépit de son âge et de son appartenance à une nouvelle génération politique, un féru des réseaux sociaux. Loin, très loin d’un Trump et de sa logorrhée de messages provocateurs en 280 caractères, il n’en fait pas un outil de com' central, ni innovant. Charlotte Euzen ne l’y trouve « ni très efficace ni très original ». C’est un outil qu’il regarde même avec une certaine méfiance. Pratiques pour passer outre la presse - corps intermédiaire qui après la campagne perd ses faveurs - et parler directement aux Français, les réseaux sociaux soumettent toutefois à la critique, aux interpellations, aux polémiques. « Il est assez ambivalent sur les réseaux sociaux », résume Arnaud Benedetti. Une « ambivalence » qui n’empêche pas certaines tentatives, inspirées d’outre-Atlantique. Comme avoir une photographe officielle, Soazig de la Moissonnière, qui publie son travail sur les réseaux sociaux. Pour Philippe Moreau Chevrolet, « cela donnait à Emmanuel Macron au début du mandat une proximité, une modernité qui s’est un peu perdue ».