Depuis le 26 juin, toute victime ou témoin de harcèlement moral ou sexuel dans le monde de la communication peut joindre, 24h/24 et 7j/7, le 0 800 100 334, pour parler et se faire accompagner. Cette initiative, lancée par l’association Com-Ent, qui regroupe 1 700 professionnels de la communication en agences ou en entreprises, fait suite au séisme du mois de mars, le fameux #MeTooPub, qui avait vu la révélation de plusieurs cas de harcèlement sexiste dans la publicité et les médias. À la suite de cette affaire, Com-Ent a recensé en seulement six jours, à travers un sondage mené auprès de ses membres, 241 cas de harcèlement moral et sexuel.
Tout a démarré avec une tribune publiée mi-février dans Le Monde par Christelle Delarue, la dirigeante de l’agence Mad&Women (groupe Altavia), dans laquelle la publicitaire, qui porte ces sujets depuis dix ans, dénonçait des « grivoiseries machistes » et « railleries venimeuses » après le scandale de la Ligue du LOL. Le coup de gueule a déclenché une enquête du Monde, publiée le 4 mars. Dénonçant « le règne du sexisme » dans le milieu de la publicité, le papier a fait l’effet d’une bombe. Christelle Delarue fonde alors les Lionnes, une association qui rassemble aujourd’hui 300 femmes et s’est illustrée au dernier festival des Cannes Lions en décernant ses propres palmes, les « Lionnes », aux campagnes les plus paritaires et les moins sexistes. « Le point névralgique, c’est le sexisme ordinaire, il naît déjà avec un cliché ou une blague, il est entretenu parce que, dans la publicité, on est dans la culture du cool, avec des hommes blancs éduqués à la tête des agences. Il est indispensable de réveiller cette industrie, on ne peut pas passer son temps à dire qu’on comprend les insights et les mécanismes des consommateurs sans prendre en compte la manière dont les femmes dans la pub se battent pour leurs droits tous les jours », relève la publicitaire. « Les femmes sont sorties du bois face à l’omerta, mais il faudra du temps pour faire bouger les lignes avec une domination établie depuis des siècles », estime Cécile Badouard, directrice du planning stratégique de Grenade & Sparks.
Accompagner la parité
Face à ce tsunami, les réactions n’ont pas tardé. « Cela a été violent pour notre industrie, on a voulu réagir en travaillant avec les Lionnes sur un plan d’action et en envoyant un mémento sur le harcèlement à nos adhérents », indique Gildas Bonnel, président de l’agence Sidièse et de la commission Développement durable à l’AACC. « Il faut objectiver le sujet du harcèlement moral, sexiste et sexuel. C’est une suite de comportements de plus en plus lourds, un même phénomène qui va de la vanne vexante aux gestes déplacés en passant par la pression des hommes sur les femmes », admet-il. « Quand un type dit : “Ne crois pas que c’est pour ton cerveau que je t’ai engagée”, c’est juste pas possible », peste Natalie Rastoin, la présidente d’Ogilvy Paris. Mais si elle trouve le mouvement des Lionnes « 100 % positif » sur l’aspect harcèlement, elle est plus circonspecte sur les critères de parité que l’association met en avant. « Il faut viser la parité, oui, et l’accompagner, mais les quotas ne peuvent pas aller contre notre culture méritocratique, sinon c’est pire, vous créez un système où dans quelques années on dira “Tu vois bien, cette nana, elle sert à rien” », estime la dirigeante.
Chez OMG, le sujet est arrivé sur la table après le départ d’Hervé Brossard, quand un quatuor masculin a été nommé à la tête de l’agence médias. « On a été chahuté, avec des réactions assez vives sur le sujet », remarque Emmanuelle Soin, depuis janvier directrice générale d’OMG chargée de l’entité data et tech Annalect. À la suite de ces turbulences, l’agence s’est livrée à une introspection, analysant notamment la question de l’égalité salariale. « Et là, nous avons eu une bonne surprise. L’écart, à ancienneté et titre égaux, est même de 3 % en faveur des femmes », souligne la dirigeante. Mais les femmes, qui comptent pour deux tiers des effectifs, ne sont que quatre au comex d’OMG, contre sept hommes. Même dans les métiers à dominante féminine, comme les relations publics, l’accès aux postes de direction continue de poser problème. Première femme élue, il y a trois ans, à la tête du Syndicat du conseil en relations publics, Pascale Azria cite quand même quelques figures de dirigeantes dans son secteur, comme Marion Darrieutort chez Elan Edelman. Mais elles restent rares, comme le sont dans la pub des Natalie Rastoin chez Ogilvy, Mercedes Erra chez BETC ou Agathe Bousquet chez Publicis. Cette dernière, transfuge d’Havas, est citée comme modèle par Emeline Keundjian, directrice générale de W (groupe Havas) en charge d’une nouvelle offre de pub et digital, Walk. « Avant, on avait l’impression que pour réussir il fallait être un vrai mec, tout lâcher pour son agence, travailler 24h/24 et avoir du cran pour parler à des clients hommes. Mais certaines femmes, comme Agathe Bousquet, ont montré qu’on pouvait ne pas être totalement comme un homme et super bien réussir avec ses propres armes », admire la trentenaire.
Couples égalitaires
La trentaine elle aussi, Amélie Aubry, managing director d’Elan Edelman en charge du brand marketing, estime que la prochaine étape, après l’avènement de ces femmes « normales » à la tête des agences, sera celle de l’arrivée de couples égalitaires. « Les boîtes n’ont pas réussi à gérer les doubles carrières, le mari est en retrait si la femme a un gros poste et inversement. Il y a encore ça aujourd’hui dans les couples. Pour la prochaine génération, la question est de savoir comment on peut permettre à un couple de faire carrière tous les deux. Il faut prendre en compte aussi le sujet de la mixité. Si l’on dit : “pas de réunion à 18h”, c’est valable pour tout le monde, pas que pour les femmes », avance-t-elle. Chez ces nouvelles générations, remarque Natalie Rastoin, « le seuil de tolérance s’est beaucoup abaissé ». « Elles sont extrêmement sensibles à la qualité de vie au travail, c’est un enjeu de recrutement et c’est à nous de créer un environnement favorable », estime la patronne d’Ogilvy.