Olivier Saguez reçoit chez Joséphine, boulangerie-pâtisserie au rez-de-chaussée, restaurant à l'étage, avenue Marceau, à Paris, à deux pas de la place de l'Étoile. Il est ici comme chez lui. D'ailleurs, c'est un peu chez lui. Son agence, Saguez & Partners, a signé le concept de l'endroit, c'est l'une de ses dernières réalisations. Du Saguez pur sucre, sobre, chic et efficace. Couleurs, matières, agencement… Une nouvelle illustration du concept de design global.
Le design global est la marque de fabrique d'Olivier Saguez et de son «agence de conseil et de création en identité de marque». Une façon de considérer le design comme autre chose que du beau, quelque chose aux confins de diverses disciplines – graphisme, design, architecture, aménagement intérieur, etc. – qui trouve son sens dans une certaine utilité. Sa définition? «Un art appliqué destiné à mettre du beau dans l'utile.»
Formé à l'école Raymond Loewy, Olivier Saguez a ensuite travaillé au tournant des années 1980-1990, avec Philippe Michel, l'une des plus fines lames de la publicité. Du premier, il retient que «le design qui marque est forcément global» et que, citant le titre de son livre, «la laideur se vend mal». Du second, qu'il faut «s'adresser à des gens et non à des consommateurs, se mettre toujours du côté des gens» et que, sans cesse, l'on en revient à «c'est quoi l'idée?». Les deux ont en commun «l'élégance», dit-il.
De cette époque, il conserve des liens avec Benoit Devarrieux, notamment. Les deux hommes travaillent ensemble sur des sujets comme Eram et, tout récemment Welcoop, une «coopérative libérale de santé». Parmi les publicitaires dont il considère le travail avec intérêt, Olivier Saguez cite volontiers Rémi Babinet, cofondateur de BETC, avec lequel il partage un goût pour l'architecture.
Treize ans après sa création en 1998, son agence est la deuxième du marché français, avec 20 millions de marge brute prévus pour 2011 et 110 salariés, derrière Dragon rouge, une autre enseigne indépendante. La réussite de son entreprise lui a bien entendu valu d'être régulièrement approché par de grands groupes. «Mais rien qui corresponde à un projet, à une vision du design, raconte-t-il. Uniquement, en fait, le projet d'acheter de la marge brute.» Très peu pour lui.
À cinquante-six ans, Olivier Saguez a fait carrière. Mais ce père de trois enfants, marié à une journaliste de la presse déco, ne va pas en rester là. Il regarde dans plusieurs directions. Trois, précisément: Sāo Paulo, Lausanne et Saint-Ouen. Dans la capitale économique du Brésil, il prépare pour les prochaines semaines l'ouverture de sa première filiale à l'étranger, en joint-venture avec une agence de design locale. Le management et les clients seront locaux, avec une représentante française de Saguez & Partners.
Un premier drapeau hors de France – même si son agence réalise déjà 30% de son activité à l'international – après deux ans d'exploration dans un pays, le Brésil, qui enthousiasme Olivier Saguez. «Un pays dynamique et attachant», dit-il. Dans un deuxième temps, viendra la Suisse, second drapeau, toujours à 50/50 avec une agence locale. Ce sera, si tout va bien, pour le deuxième semestre, la Suisse devant par ailleurs faire office de base arrière pour attaquer le si difficile marché allemand.
Mais le grand dessein d'Olivier Saguez se réalisera plutôt à Saint-Ouen, cette commune de Seine-Saint-Denis où il a installé son agence en 2003. L'endroit se nomme la Manufacture Design, un «lieu de vie et de travail conçu par l'agence pour l'agence», où sont regroupées ses différentes filiales sur 2 500 mètres carrés. Le projet avait, à l'époque, été remarqué. Le prochain ne devrait pas passer inaperçu non plus.
Olivier Saguez voit grand: sa Manufacture doit se régénérer, pense-t-il, dans un futur lieu beaucoup plus grand, 8 000 mètres carrés au total, dévolu pour les deux tiers aux bureaux de la galaxie Saguez. Le reste? Un centre de recherche & développement, une usine à design, un café voire un restaurant, tout n'est pas encore calé, bien sûr. Il s'agit d'un projet à horizon 2014, dans un autre quartier, en réhabilitation.
«La nouvelle Manufacture sera un lieu ouvert sur d'autres métiers, plus dans la recherche, l'anticipation et le décadrage. Un lieu ouvert aussi au public, aux écoles, plus en phase avec la vie de tous les jours», explique-t-il.
Cette cité idéale accueillera une «master class». Il s'agit d'une promotion qui, chaque année, rassemble des diplômés de différentes écoles d'arts appliqués françaises et étrangères pour une dernière année d'études en «agence-école». Les cours seront donnés par des personnalités de l'architecture, du design ou du graphisme et par des collaborateurs de la Manufacture. «L'agence ne doit surtout pas vivre en autarcie, poursuit-il. Nous devons nous réinventer, réinventer nos métiers et nos méthodes, transmettre les valeurs et le fonctionnement de l'agence.»
La transmission semble être la grande affaire d'Olivier Saguez. «Ce dont je suis peut-être le plus fier, c'est la Manufacture et, plus que le lieu, l'équipe, confie-t-il. S'entourer, former, sensibiliser, partager pour s'ouvrir, découvrir, chercher. Nous sommes un phalanstère, comme le Bauhaus, où la transmission des valeurs et du savoir, le partage des découvertes sont essentiels. La pérennité des idées ou d'un projet m'obsède depuis longtemps. Rien n'est pire que de jeter ses idées, ses convictions.»
Il ajoute: «Aux questions d'aujourd'hui, nous devons apporter les réponses de demain. Je crois qu'au-delà d'une crise économique, le monde traverse surtout une crise existentielle: “Pourquoi vit-on?”, “Pourquoi travaille-t-on?” L'époque de la surconsommation est définitivement derrière nous.»
Et le design dans tout ça?… «Le design n'est pas un art ni un “surpackaging”, mais il oblige à repenser la fonction de la marque, et surtout de son produit ou de son service, pour se mettre au service de l'usager et de la pérennité utile. La voiture, l'hypermarché, la pharmacie, la mode… ne seront plus jamais comme avant.» Faites passer.