On débute rarement sa carrière chez Procter&Gamble pour la poursuivre en agence de communication. «Procter, c'est la rigueur et la culture de la mesure et du résultat chiffré. Pas vraiment un milieu de saltimbanques», note Lionel Aboudaram, président de l'agence de marketing numérique Next Idea, qui a quitté P&G il y a vingt ans. Avant lui, les publicitaires issus de cette école du marketing faisaient déjà figure d'exception. À l'instar de Jean-Michel Goudard (actuellement conseiller de Nicolas Sarkozy) et d'Alain Cayzac, cofondateurs de RSCG, ou de Bernard Brochand, député-maire de Cannes et ancien président de DDB Worldwide, ou encore de Jean-Claude Boulet, cofondateur de BDDP, puis d'Harrison & Wolf.
Aujourd'hui encore, le transfert est rare. Mais, récemment, l'arrivée en agence de deux proctériens experts en médias et «digital» est peut-être un signe de l'évolution des besoins des agences et d'une certaine porosité des métiers induite par l'ère numérique: Catherine Lautier, 31 ans, a rejoint il y a un an DDB Paris comme directrice du pôle Business Intelligence au sein du planning stratégique, tandis que Raphaël Roy, 32 ans, est arrivé en février dernier comme directeur «business innovation» de Nurun France.
Ils marchent sur les traces de leur aîné, Frédéric Colas, 43 ans, vice-président associé chargé de la stratégie du groupe Fullsix, qui a créé en 1996 le premier département de marketing interactif au siège de P&G à Cincinnatti, puis en Europe, avant de participer à l'aventure Fullsix en 2000.
Les deux récents transfuges ont partagé entre 2005 et 2008 le même bureau comme responsable médias chez P&G, quand la marque a repris la main sur sa stratégie médias en y intégrant le volet numérique. Catherine Lautier est ensuite partie développer l'interactif en Asie et Raphaël Roy, devenu responsable du média, du digital et de la communication intégrée, gérait depuis un an les stratégies médias et numériques des marques de P&G France.
Formation méthodologique
«Son profil n'existe pas en agence, affirme Antoine Pabst, président de Nurun France. Or nous en avons besoin pour accompagner nos directeurs de département sur le développement commercial de leurs expertises (analytique, architecture de l'information, contact et contenu), et pour aider les annonceurs à aller plus loin dans leur démarche d'intégration.»
Chez DDB, la mission de Catherine Lautier est de penser en amont la stratégie des moyens dont découleront les choix médias et créatifs. «Ma compétence marketing proctérienne m'assure une crédibilité interne et externe et permet d'apporter au client une proposition complète qui va plus loin que la création en intégrant le conseil sur le mix média et les mesures d'efficacité, explique-t-elle. Mon recrutement est un signal indiquant que le média est remis au cœur de l'agence et peut influencer la création. Il rassure aussi les clients encore hésitants à investir Internet.»
Lionel Aboudaram, cofondateur de feue l'agence de marketing services Tequila, confirme: «Le digital permet de piloter en temps réel la connaissance du comportement consommateur, d'ajuster les messages et d'obtenir le meilleur retour sur investissement. Cette approche marketing comportemental a émergé avec le marketing relationnel qui s'appuyait déjà – comme on le dit chez P&G – sur les insights évolutifs des consommateurs, et qui a très tôt intégré le numérique.»
Un proctérien a donc a priori des atouts pour une agence: sa formation méthodologique fascine toujours les annonceurs. Sans compter que le réseau des anciens est très efficace. Reste à surveiller la greffe, sachant que ces nouvelles recrues faisaient, en réalité, déjà du conseil chez P&G en tant qu'expert médias. Et dans un environnement médias devenu complexe, c'est sans doute cette expertise qui est recherchée par les agences, chez Procter ou ailleurs.