Dossier Année de la pub 2010
Voilà trente ans que le «G» de RSCG officie comme conseiller en communication politique. D'abord pour Jacques Chirac en marge de sa carrière publicitaire internationale, puis pour Nicolas Sarkozy. Portrait d'un publicitaire atypique.

«Bonsoir, c'est Jean-Michel Goudard. On m'a demandé de vous appeler, mais je vais vous décevoir: je ne parle pas à la presse… De toute façon, ça ne me dérange pas de lire toutes les choses inexactes que l'on publie sur moi.» Fidèle à sa réputation, Jean-Michel Goudard n'aime guère parler de lui. Conseiller en stratégie du président Nicolas Sarkozy depuis novembre 2008, il aime par-dessus tout la discrétion. «Il est aux antipodes des publicitaires de son époque. Bien loin de la série Mad Men ou du livre de Frédéric Beigbeder 99 Francs», lance Franck Louvrier, chargé de la communication à l'Élysée. «Ce n'est pas le statut qui l'intéresse, c'est de faire les choses», renchérit son ami Alain Cayzac qui, en 1975, cofonda l'agence RSCG avec lui et leurs associés, Jacques Séguéla et Bernard Roux.

Ce rôle de conseiller de l'ombre semble lui réussir. De tous les communicants qui ont gravité autour de Nicolas Sarkozy – de Thierry Saussez à François de La Brosse en passant par Jacques Séguéla –, il est le seul à avoir noué une relation de confiance et d'amitié aussi étroite avec l'actuel locataire de l'Élysée. «Il apporte au “Prince” ce qui est le plus précieux: l'indépendance du conseil. Celle des gens qui n'ont plus rien à attendre du pouvoir», observe, en fin connaisseur, Raymond Soubie, qui vient de quitter l'Élysée après trois ans de bons et loyaux services au poste de conseiller social (lire page 66). À soixante et onze ans, Jean-Michel Goudard a effectivement une belle carrière derrière lui. Après avoir créé le réseau international de RSCG dans les années 1980, il a pris la tête de celui d'Euro RSCG, puis de BBDO International à New York, filiale du géant américain de la publicité Omnicom. Un groupe qu'il a quitté au bout de dix ans pour prendre sa retraite en 2006, le mettant définitivement à l'abri du besoin.

Il est d'ailleurs l'un des rares, pour ne pas dire le seul, conseiller officiel à l'Élysée à ne toucher aucune rémunération. «Même pas une note de frais! C'est ma liberté, lance-t-il. Un deal entre Nicolas et moi.» Sa proximité avec le président de la République suscite évidemment des inimitiés. Son tempérament aussi. «D'une intelligence supérieure, Jean-Michel prend souvent son interlocuteur à contre-pied. Il y a du Mishima et du Gainsbourg en lui. La rigueur et le jusqu'au-boutisme du premier, la poésie et le talent du second , résume Jacques Séguéla, vice-président d'Havas. Il peut être très cassant, mais c'est aussi parce qu'il est très tendre, ajoute-t-il. C'est un grand affectif. Fidèle, il est sans pitié avec ceux qui le trahisse.»

Ses détracteurs, qui voient plutôt en lui un fin manœuvrier et un calculateur, le présentent comme le Mazarin de l'Élysée. Nombreux sont d'ailleurs les ministres à le courtiser et à vouloir en faire leur confident. Mais, à quelques exceptions près, tels Jean-Louis Borloo, Renaud Muselier ou Martin Hirsch, Jean-Michel Goudard n'aime guère se prêter à ce genre d'exercice. «Et encore moins servir d'intermédiaire auprès du président…», prévient Franck Louvrier.

Au nom de l'amitié

Pour comprendre cette relation particulière qu'il entretient avec Nicolas Sarkozy, il faut remonter à ses premiers engagements aux côtés du RPR. C'était en 1978. Jérôme Monod, alors secrétaire général du parti gaulliste, demande à Bernard Brochand, président de l'agence de publicité Eurocom (ex-Havas), de concevoir la campagne du RPR pour les législatives à venir. Ce dernier accepte et embarque dans l'aventure son ami Jean-Michel Goudard, comme lui gaulliste convaincu. «Finalement, depuis notre prépa HEC à Louis Le Grand, Bernard aura toujours été mon poisson pilote, constate Jean-Michel Goudard. À l'armée, j'ai pris sa suite comme aide de camp de l'amiral Vilbert, puis je l'ai suivi un ou deux ans après son entrée chez Procter & Gamble.»

Et cette première expérience de communicants politiques en 1978? «Il faut bien le reconnaître, nous n'y connaissions rien», s'amuse-t-il aujourd'hui, finalement peu avare de confidences. Pourtant, leur campagne «Oui à la France qui gagne», avec Guy Drut sautant des haies, marquera les esprits. Le duo signera pour les législatives de 1986 la campagne «Vivement demain», puis celle de la présidentielle de 1995 («La France pour tous») qui porta Jacques Chirac à l'Élysée.

C'est sur les conseils de Jean-Michel Goudard, alors président d'Euro RSCG International, que ce dernier garde auprès de lui le très secret conseiller en communication de François Mitterrand, Jacques Pilhan, de l'agence Bélier, filiale d'Euro RSCG. Mais celui-ci n'arrive pas en terre inconnue: Jean-Michel Goudard avait déjà pris soin, au début des années 1990, de le présenter à Claude Chirac, la fille du futur président, peu après le passage de cette dernière chez RSCG. «C'est grâce à lui que j'ai noué cette relation de qualité avec Jacques Pilhan. Jean-Michel Goudard a ce talent hors du commun de juger et jauger les hommes. Mais c'est avant tout un homme d'amitié», déclare Claude Chirac.

Au nom de cette amitié justement, il ne coupera jamais les ponts avec Nicolas Sarkozy, pas même lorsque ce dernier s'engagera auprès d'Édouard Balladur pour la présidentielle de 1995. Dans cette bataille fratricide, Jean-Michel Goudard, resté fidèle à Jacques Chirac, sera l'un des rares après l'élection à tendre la main à Nicolas Sarkozy, avec lequel il s'était lié à la fin des années 1980 alors que le jeune maire de Neuilly-sur-Seine était un proche de Claude Chirac (tous deux seront les témoins de celle-ci à son mariage, en 1992).

Sans surprise, les deux hommes travaillent donc de pair lors de la présidentielle de 2007, l'ancien publicitaire s'inspirant des discours du candidat pour créer le slogan de sa campagne: «Ensemble, tout devient possible». Un message qui n'enthousiasme guère Cécilia Sarkozy. «Elle était opposée à cette campagne et, c'est vrai, je n'ai pas été très docile», reconnaît Jean-Michel Goudard. Après la victoire de Nicolas Sarkozy, il décide donc de «vivre un peu». Il s'installe dans son chalet à Rolle, en Suisse, et s'offre une maison près des Baux-de-Provence. Un exil de courte durée. En 2008, Nicolas Sarkozy lui demande à nouveau de le rejoindre. Depuis, il partage l'essentiel de son temps entre son appartement parisien du XVIe arrondissement et son bureau à l'Élysée, juste au-dessous de celui du président. Prompt à suivre ce dernier dans tous ses déplacements, il fait en revanche souvent l'impasse sur les voyages officiels à l'étranger. «Il déteste les mondanités», reconnaît Alain Cayzac. Lors de la visite présidentielle en Inde, début décembre, il a ainsi préféré s'accorder quatre jours de détente à Paris avec sa jeune compagne hongroise. Il préfère aux visites officielles les périples en province. «C'est un homme de terrain, il aime voir, sentir les choses, déceler l'humeur du moment», note Franck Louvrier.

Le rendez-vous de 2012

De fait, l'essentiel de son travail est fondé sur une analyse en profondeur de l'opinion, comme l'explique Pierre Giacometti, cofondateur du cabinet d'études Giacometti Péron & Associés et conseil auprès de l'Élysée: «Avec Jean-Michel, nous faisons surtout du conseil en stratégie, pas nécessairement connecté à l'actualité, mais toujours aux aspirations des Français.» Tous deux préfèrent ainsi garder leur distance avec les mécaniques d'opinion et la pression sondagière. Comme Jacques Pilhan, ils sont plutôt adeptes des «focus groups».

Parmi les proches de Nicolas Sarkozy, ils ne sont d'ailleurs pas étrangers à la nouvelle séquence engagée ces derniers mois et mettant en scène un président de la République assagi et plus conforme à l'image que se font les Français de la fonction. «Un second mandat se joue beaucoup sur le caractère, assure Jean-Michel Goudard. Or, quand on le côtoie, on sait que la vérité de Nicolas Sarkozy n'est pas celle de sa caricature.» Un peu tard, diront les sceptiques.

 «Il ne faut pas oublier que la force de Jean-Michel est son grand sens du “timing”. C'est lui qui séquence, donne le rythme, avec des fulgurances et un bon sens qui surprennent tout le temps», explique son protégé Christophe Lambert, un ancien de BBDO, aujourd'hui directeur général d'Europa Corp et conseiller de l'UMP via son agence Blue. «C'est un vrai métronome, confirme, admiratif, Franck Louvrier. L'effet de surprise est pour lui un élément de la stratégie, la gestion du secret est donc essentielle.» «Ce n'est pas la communication qui compte, mais l'agenda», a ainsi coutume de dire Jean-Michel Goudard lors des réunions organisée à l'Élysée chaque soir, samedi excepté, avec Nicolas Sarkozy et sa garde rapprochée.

Le rendez-vous de l'élection présidentielle en 2012 dira si, finalement, son talent de métronome ne s'est pas déréglé avec le temps. Car, quoi qu'il en dise, «il sera évidemment aux côtés de Sarkozy», assure Jacques Séguéla. Et ce n'est pas la maladie qui l'a écarté des couloirs de l'Élysée de l'été 2009 à février 2010 qui devrait l'y faire renoncer. «Ce n'est pas terminé, mais ça va mieux», lâche-t-il sobrement. Il s'est remis au vélo, au jogging et à la musculation. «Comme tous les grands toreros, il a cette capacité à prendre des coups de cornes et à les surmonter», lance Christophe Lambert, qui partage avec son mentor, natif de Montpellier, une passion pour la tauromachie. Pendant ces longs mois de convalescence, Jean-Michel Goudard a entrepris d'écrire un livre, son premier roman. «Cela se passe en 1840 en Chine. Mais il est encore en friche», confie-t-il. Sa parution attendra bien 2012.

Pour l'heure, Jean-Michel Goudard continue plus que jamais à prodiguer ses conseils au président et à lui fournir ses précieuses notes de synthèse. Mais la bataille électorale à venir n'est pas sa seule préoccupation. Il est en effet un sujet qu'il ne manque jamais d'aborder, notamment avec Pierre Giacometti, autre aficionado de la corrida: l'éventuel retour dans les arènes, en 2011, de José Tomás, grièvement blessé au Mexique en avril dernier. Comme le célèbre matador, Jean-Michel Goudard ne raccrochera jamais.

 

 

 

Dates clés

13 novembre 1939. Naissance à Montpellier.

1962. Diplômé de HEC.

1964. Officier de marine.

1965. «Brand manager» chez Procter & Gamble.

1970. Directeur général de Young & Rubicam France.

1975. Création de RSCG avec Bernard Roux, Jacques Séguéla et Alain Cayzac.

1978. Campagne législative du RPR «Oui à la France qui gagne» avec Bernard Brochand.

1986. Campagne législative du RPR «Vivement demain» avec Bernard Brochand.

1988. Campagne présidentielle de Jacques Chirac «Nous irons plus loin ensemble».

1991. Président international d'Euro RSCG.

1995. Président de BBDO international. Campagne présidentielle de Jacques Chirac «La France pour tous».

2006. Prend sa retraite.

2007. Campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy «Ensemble, tout devient possible».

Depuis 2008. Conseiller en stratégie du président de la République.

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