« Avec la crise, les entreprises ont levé le pied en matière d'événements à paillettes et se recentrent sur des opérations qui ont du sens, les problématiques lourdes comme les ressources humaines, la diversité, les réorganisations, etc. Autant de changements qui suscitent des émotions fortes comme la peur, la tristesse, la colère, auxquelles il faut redonner leur place. Le théâtre d'entreprise est là pour ça. » Comme Cyril Augier, auteur, metteur en scène et gérant de la société À nous de jouer créée en 2002, ils sont de plus en plus nombreux à investir ce marché de la communication par le jeu et le rire. « La baisse de l'intermittence crée des vocations. Mais pour faire ce métier être un bon comédien ne suffit pas, car c'est surtout un travail de consultant et d'écriture », prévient Patrice Hann, fondateur d'Impertinence.
Dans des situations tendues ou lorsque des problèmes sont occultés, le rire permet de mettre le doigt sur des présupposés, de dédramatiser, de préparer le débat. «Nous sommes à la fois la loupe et le miroir », résume Laurent Dubois, directeur de la Ligue d'improvisation. La majorité des demandes adressées à ces sociétés concerne le public interne à l'entreprise. «Actuellement, les thèmes les plus prisés sont l'intégration des handicapés, le stress, la gestion des seniors, le développement durable et la sécurité au travail », note Laure Martin, responsable communication et marketing de Théâtre à la carte. Mais à l'externe aussi, le théâtre d'entreprise a ses émules : Ligne Roset n'a pas hésité récemment à demander à la Ligue d'improvisation de mettre un peu de piquant dans une conférence de presse.
Tout ne prête pas à rire
Sur mesure ou sur catalogue, les spectacles s'adaptent à toutes les demandes. Certains se proposent même de transformer les salariés en comédiens. Ainsi, depuis deux ans, Théâtre à la carte coache les nouveaux arrivants de chez EDF afin qu'ils conçoivent un minispectacle (saynète, clip, fable, etc.) sur un thème précis abordé lors de leur séminaire d'intégration de deux jours. Même démarche chez Danone. En 2008, afin de fédérer les équipes du groupe alimentaire spécialisées dans les systèmes d'information et jusqu'ici éparpillées dans différentes unités, Changement de décor les a formées pendant une journée à l'écriture et à la mise en scène de sketchs de cinq minutes.
Évidemment, tout ne prête pas à rire. Le piège est de faire du théâtre d'entreprise un alibi. «Si de notre côté, la règle est de préserver un certain équilibre en ne tapant pas que sur les managers, par exemple, et en ne mettant jamais en cause des personnes directement, du côté de l'entreprise, il est indispensable d'avoir une réponse étayée à tout problème soulevé par le spectacle », remarque Blandine Métayer, directrice artistique à Changement de décor.
En fait, une direction qui prend l'initiative de recourir au théâtre d'entreprise le fait rarement à l'aveuglette. « Les gens qui font appel à nous ont conscience que nous n'allons pas délivrer un discours bien propre, bien net », constate Blandine Métayer. Un parti pris totalement assumé par sa cliente, Carole Resman, directrice générale de GSK Biologicals, qui a recouru à ce procédé pour un séminaire de cadres l'été dernier suite à une vague d'embauches laissant présager une opposition entre anciens et nouveaux : « Cela a permis de soulever pas mal de problèmes sans mettre quiconque en porte-à-faux. Cette technique, qui doit être utilisée au bon moment et pas trop souvent, est parfaitement adaptée aux questions de communication et de management. Mettre en scène et voir les situations et les comportements est souvent plus efficace que d'en parler. »