Attaques au vitriol, poursuites judiciaires, journalistes interdits de Maison Blanche: Donald Trump a fait de son hostilité aux médias un ferment de son succès, faisant craindre de nouvelles menaces pour la liberté de la presse alors qu'il va redevenir président des États-Unis.
Dès son premier discours de victoire, Donald Trump, n'a pas été avare de mots doux pour les médias. Le milliardaire républicain a utilisé la rhétorique du « camp de l'ennemi » pour évoquer les chaînes d'information CNN et MSNBC, où certains chroniqueurs ne l'épargnent guère, redonnant de l'écho à l'expression d'« ennemis du peuple américain » qu'il avait utilisée dès le début de son premier mandat. Dimanche 2 novembre, lors d'un meeting, il a ironisé sur les journalistes au travers desquels « il faudrait tirer » pour l'atteindre, après les deux tentatives d'assassinat dont il a réchappé. Son équipe a répondu que le sens de ses propos avait été déformé.
Durant sa campagne, Donald Trump a aussi menacé de retirer leurs licences de diffusion aux chaînes CBS et ABC, qu'il a accusées de favoriser Kamala Harris. Des procédures très complexes qui passeraient par l'autorité des communications (FCC).
Premier amendement
Lors de son premier mandat (2017-2021), des journalistes s'étaient aussi vu refuser l'accès à la Maison Blanche, notamment une vedette de CNN Jim Acosta, qui avait fini par récupérer son badge d'accès après une bataille judiciaire. « Nous sommes inquiets. Nous le sommes depuis qu'il (Donald Trump) use d'une rhétorique antimédias incendiaire, depuis sa première campagne, en 2015 », explique à l'AFP Katherine Jacobsen, chargée des Etats-Unis pour le Comité de protection des journalistes (CPJ).
Dans un rapport de 2020, le CPJ avait dénoncé l'instrumentalisation par Donald Trump des poursuites en diffamation pour intimider les journalistes, et les tentatives de la Maison Blanche de violer la protection de leurs sources après des fuites. De retour au pouvoir, Donald Trump « nommera encore plus de juges qui essaieront de restreindre la liberté de la presse », prédit Mark Feldstein, professeur de journalisme à l'université du Maryland. Aux Etats-Unis, la liberté d'expression est protégée par le premier amendement de la Constitution et la Cour suprême a consacré le droit de critique de la presse dans une célèbre décision de 1964.
Confiance
Pour Katherine Jacobsen, en accusant les journalistes de mentir à tout bout de champ, Donald Trump a contribué à miner la confiance du public dans les médias, dans un contexte économique déjà difficile pour eux, particulièrement pour la presse locale. « Trump s'est parfaitement inscrit dans le discours anti-establishment et anti-institutionnel aux États-Unis, et il y a mêlé les médias d'une manière très inquiétante », explique-t-elle.
Pour elle, l'épisode du 6 janvier 2021, quand des milliers de trumpistes avaient envahi le Capitole à Washington pour empêcher la certification des résultats après sa défaite contre Joe Biden, est un exemple éclatant: « il y a deux récits complètement différents, l'un que les journalistes ont documenté et montré comme réel, et la version de Trump » dédouanant ses partisans, « qui s'éloigne de la réalité de manière préoccupante ». Les stratèges autour de Donald Trump assurent au contraire que les médias traditionnels sont totalement déconnectés des réalités de la société américaine.
« Lassitude »
Le premier mandat de Donald Trump a été l'occasion pour les prestigieux titres de la presse, comme le New York Times et le Washington Post, de sortir de nombreux scoops d'investigation politique, notamment sur les relations de proches de Donald Trump avec la Russie. Ce qui avait dopé leurs ventes et recettes publicitaires. Le Wall Street Journal, propriété du magnat des médias conservateur Rupert Murdoch, avait lui révélé l'affaire des paiements cachés à la star de films X Stormy Daniels, qui a abouti à la condamnation de Donald Trump devant la justice pénale à New York.
« Je ne sais pas si nous verrons le même type de montée en puissance que lors du premier mandat de Trump, parce que les gens sont épuisés », relativise cependant Dan Kennedy, professeur de journalisme à l'université Northeastern de Boston.
« Il y a aujourd'hui une telle lassitude autour de Trump que les médias ne pourront pas compter sur ce coup de pouce économique à l'avenir », pense aussi Mark Feldstein. La campagne électorale a été marquée par la décision du Washington Post de ne soutenir aucun des deux candidats, un choix critiqué et interprété comme la conséquence de pressions de son propriétaire, le fondateur d'Amazon et de Blue Origin Jeff Bezos, pour ne pas s'aliéner Donald Trump. Jeff Bezos a défendu cette position comme la meilleure à tenir au moment où « les Américains n'ont plus confiance dans les médias d'information ».