Comment ont réagi les annonceurs à la crise sanitaire et économique en cours ?
La première réaction des annonceurs cela a été une coupe des budgets média et marketing, une coupe incroyable! Par incertitude, mais aussi car la consommation est bien moindre du fait des mesures de confinement. Heureusement, l’Union des Marques a fixé des règles de déontologie en cas de déprogrammation des campagnes, avec des compensations, pour que les conséquences ne soient pas trop fortes pour les agences et les médias. Résultat, on observe une déflation des tarifs publicitaire, mais dont les prix devraient repartir ensuite à la hausse. Il faudra ajuster les modèles de prévisions, mais nous observons souvent ces types de rééquilibrage dans le domaine de l’achat média programmatique. Les annonceurs pensent déjà à l’après. Ils viennent nous voir pour optimiser et gérer leur budget marketing pendant la crise, mais surtout après la crise, que ce soit en communication ou en promotion. Il y a aussi un gros volet promotions, car tous les plannings sont chamboulés.
Que leur conseillez-vous ?
Ce que l’on peut retenir c’est que cette situation est une opportunité de faire du branding. Et c’est important, car comme l’a relevé Kantar, une marque absente en télévision pendant six mois observe un fort impact sur son image de marque. Donc si les marques sont de fait moins présentes sur leurs opérations, elles peuvent travailler leur marque. Il y a une explosion du streaming et de la consommation de contenu en ligne, elles peuvent imaginer beaucoup de choses: sponsoring, placement de produits, podcast, création de services... C’est le moment de créer du contenu, de faire valoir son ADN de marque, et au-delà, son ADN «humaine». Il faut marquer les esprits surtout à un moment où les consommateurs en ont besoin. Faire valoir des initiatives comme LVMH, Petit Bateau et toutes les entreprises qui participent à l’effort collectif.
Vous leur recommandez donc de ne pas couper les budgets ?
Chaque situation s’analyse au cas par cas. Cela dépend des secteurs. Pour les compagnies aériennes par exemple, la crise va être longue. Et le branding, lui, peut résister plus longtemps. Prenez Air France, et surtout si le modèle économique est amené à changer [certains envisagent une nationalisation], le top of mind de la marque restera très bon. Il ne faut pas généraliser. En revanche les marques qui offrent des produits au cœur du quotidien des français doivent continuer le branding. Mais avec un marketing tiré par le sens [purpose led marketing] et l’utilité sociale.
Comment voyez-vous l’évolution du marketing après cette crise ?
La crise est arrivée au moment où les marques commençaient à se concentrer sur la sustainability. Je pense que cette tendance va se poursuivre, mais en intégrant davantage encore les questions de santé. Avec la différence que la santé, elle, concerne tout le monde. Nous allons vivre plusieurs secousses sismiques, très importantes, avec un questionnement de la globalisation, un retour en force de l’Etat Providence. Le Covid n’est sûrement pas la dernière embuche à laquelle nous allons assister. Alors il va falloir travailler pour transmettre aux générations à venir un monde plus stable.
Que cela changera-t-il sur la manière de travailler ?
Dans un monde plus instable, il va falloir renforcer encore le test & learn. On ne pourra plus se baser sur les modèles que l’on connaît ou l’on mesurait les relations de causes à effet entre un euro investi et un euro de chiffre d’affaires retrouvé.
Il va falloir revoir les modèles ?
Disons les détricoter. Comment combiner ensemble les modèles appris du passé et mettre en place de nouvelles approches pour comprendre ce qui a marché et ce qui n’a pas marché. Ces changements commençaient déjà à poindre. Mais la crise Covid va accélérer drastiquement toutes les transformations en cours. La donnée consommateur par exemple va devenir primordial pour mieux comprendre les changements des sociétés. Surtout si notre rapport au digital évolue.
Justement, qu’anticipez-vous comme métamorphose au sein de la société ?
Il y a aura des impacts court termes, comme le fait de se rencontrer et l’importance donnée aux relations humaines, à l’événementiel, au contact direct, une fois la pandémie calmée. Mais aussi, je pense, des traces plus profondes. Quel impact va avoir l’accélération digitale à laquelle nous assistons, dans le monde de demain ? Tous ces enfants en e-learning, que va-t-il en rester une fois sortie ? Et le télétravail, ne va-t-il pas modifier la densité urbaine, avec un exode citadin ? Il faut s’interroger sur l’impact à long terme de ces changements, et sur la consommation média. Si nous réindustrialisons en relocalisant de nombreuses industries, en ressuscitant d’anciens métiers, moins intellectuels, ou moins abstraits, cela affectera sensiblement nos modes de vie, et donc la consommation média, l’affichage par exemple. Et quelle place aura le digital pour ces personnes dans ce nouveau contexte ? Il faut s’attendre à des changements majeurs.