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Pour le Sénégalais Alioune Ndiaye, CEO d’Orange Middle East and Africa (OMEA), l’engagement sociétal est au cœur d’Orange Afrique où une croissance à deux chiffres est attendue cette année.

Orange Afrique a terminé l’année 2020 avec une croissance de 5,3 % malgré le covid. Y-a-t-il une résilience particulière sur le continent ?

Alioune Ndiaye. Oui. Les gouvernements ont bien géré la propagation de l’épidémie. Les confinements n’ont pas été aussi stricts qu’en Europe, mais la crise a accéléré les usages. Il y a une recrudescence de la demande de connectivité et de digital qui fait qu’on est à 11% de croissance au premier semestre 2021. Raisonnablement, on peut penser qu’on terminera l’année avec une croissance à deux chiffres. 

 

Comment faites-vous vivre la marque Orange en Afrique ?

Nous avons fait le choix stratégique de nous installer sur le continent il y a plus de vingt ans, en commençant par la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Nous sommes aujourd’hui présents dans 17 pays. En 2015, le groupe a décidé de structurer une filiale, OMEA SA, qui est une entité de plein exercice dotée d’un conseil d’administration pour mieux identifier ses activités en Afrique. Cela a permis de doter Orange d’un ancrage plus fort qu’avant. Avec 18 000 salariés, nous servons 130 millions de clients mobiles, 2 millions de clients fixes très haut débit et 55 millions de clients sur Orange Money, qui permet de transférer ou de recevoir de l’argent comme de payer ses factures. Notre activité est pilotée par des entités locales essentiellement dirigées par des Africains. Nous avons lancé un programme de recrutement de talents qui compte déjà une trentaine d'Africains issus des meilleures universités et qui viennent du continent ou de la diaspora. Nous accompagnons notamment les femmes dans ce programme pour leur donner plus de visibilité. Nous visons 40 % de femmes dans les instances dirigeantes d’ici à 2024.

 

Comment se vérifie cet ancrage ?

Nous contribuons au développement socio-économique. En Côte d’Ivoire ou au Sénégal, nous représentons 11 % du PIB, ce qui est considérable. Nous avons aussi un engagement sociétal à travers nos fondations où nous réalisons diverses actions de mécénat envers les populations. Nous avons par exemple construit 1 200 écoles numériques et 172 maisons digitales dédiées aux femmes pour les former aux techniques du numérique. Plus l’ancrage est fort, plus le client est susceptible de préférer Orange à une autre marque. De plus en plus, nous pensons depuis l’Afrique pour les Africains. Orange Money aurait difficilement été imaginé en Europe. Sur le terrain, on sait que moins de 10 % de la population est bancarisée. La direction d’OMEA est à Casablanca, on trouve des centres d’expertise et de services partagés à Dakar, Abidjan ou Rabat pour être le plus proche possible du terrain. L’idée est de combiner la puissance d’innovation du groupe avec la proximité.

 

Orange en Afrique ne se résume donc pas à un rôle d’opérateur… ?

Nous sommes plus qu’un opérateur télécom puisque nous fournissons de la connectivité et des services digitaux. Et nous sommes un acteur socialement engagé. De plus, nous sponsorisons la Coupe d’Afrique des nations et de nombreuses équipes nationales de foot.

 

Vous avez lancé il y a un an un smartphone, Sanza, à moins de 30 dollars. Comment se développe cette activité ?

D’après la GSMA, il y a 413 millions d’utilisateurs d’internet à la fin 2020 mais 530 millions d’habitants qui sont couverts par un réseau mobile haut débit n’utilisent pas internet. Outre l’alphabétisation et le coût des services, le prix du terminal en est une des raisons. Nous avons travaillé avec de gros partenaires comme Google pour avoir un smartphone avec une version allégée d’Android qui comprend toutes les applications essentielles en natif et des commandes vocales. Nous avons vendu 200 000 smartphones à la fin septembre 2021.

 

Les géants comme Facebook – avec WhatsApp - sont-ils pour vous des alliés ou des concurrents ?

Ces acteurs ont été disruptifs en proposant la voix gratuite. Quand ils sont arrivés sur nos marchés, 80 % de nos revenus venaient de la voix et des SMS. Aujourd’hui, c’est 34 % tandis que 36 % de nos revenus viennent de la donnée. Nous investissons 1 milliard d’euros tous les ans pour déployer les technologies haut débit : 3G, 4G, fibre et bientôt 5G. Les plateformes nous apportent de la valeur car nos clients achètent du crédit pour surfer sur internet ou utiliser WhatsApp, YouTube, etc. Nous avons pris le virage du haut débit mobile et fixe.

 

Mais les géants du numérique participent-ils à la construction des autoroutes qu’ils empruntent ?

Nous avons investi dans des câbles sous-marins ou en fibre optique terrestre. Nous sommes dans le projet ACE qui relie la côte africaine à l’Europe et qui a été porté par Orange avec une quarantaine d’autres opérateurs. Il y a aussi d’autres projets internationaux et Djoliba, qui relie huit capitales d’Afrique de l’Ouest avec un réseau et un guichet uniques. Enfin, nous sommes membre du consortium 2Africa qui construit pour la fin 2023 le câble le plus long au monde (45 000 km). Le principal acteur en est Facebook.

 

Vous payez dans certains pays 40 % d’impôts. Ce n’est pas leur cas…

Il serait bien que tous les acteurs qui tirent des revenus du marché puissent contribuer aux impôts. En Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Mali et dans d’autres pays, nous sommes le premier contribuable.

 

Votre stratégie est-elle de faire évoluer les clients d’Orange Money vers Orange Bank ?

Orange Money a été lancé en 2008 pour répondre à un non accès à des services financiers. Un Africain sur trente en est client. Avec Orange Bank Africa, créé en juillet 2020 et qui s’adresse essentiellement à nos clients Orange Money, nous avons étendu notre palette de services à l’épargne et au crédit. Énormément de personnes travaillent dans le secteur informel – tailleurs, maçons, boutiquiers – et ont un problème de fonds de roulement. Il leur faut 75 ou 100 euros pour acheter leur matière première, travailler toute la journée et réaliser les bénéfices. Par le micro-crédit, on répond à ce besoin-là. 83 % des crédits alloués sur le continent se font en dehors du système bancaire. Il y a donc un grand potentiel en même temps qu’on préserve et crée du travail en permettant de développer une activité. Nous avons déjà délivré un million de crédits en Côte d’Ivoire. Dès que nous aurons les licences du régulateur bancaire, nous ouvrirons au Sénégal, au Mali et au Burkina Faso.

 

Stéphane Richard a appelé à être plus offensif en Afrique. Où en êtes-vous en Éthiopie ?

Nous étudions toutes les opportunités et si elles peuvent créer de la valeur pour Orange nous essayons d’acheter ou d’entrer au capital. Nous sommes intéressés par l’Éthiopie qui a plus de 100 millions d’habitants. Ethio Telecom est l’un des rares monopoles qui subsistent au monde. L’État ouvre son capital à 40 %. Nous avons fait une lettre d’intérêt. Par ailleurs, le fait d’être absent du Nigeria et d’Afrique du Sud nous empêche peut-être d’avoir un leadership en Afrique. Nous étudierons toutes les opportunités.

 

Un opérateur télécom a-t-il vocation à être une plateforme multi-services ?

 

Oui, et nous sommes parmi les plus avancés. En plus de services financiers, nous nous intéressons fortement à l’e-santé. Nous avons lancé l’appli M-Vaccin avec le ministère de la Santé et l’alliance Gavi en Côte d’Ivoire. Nous sommes entrés au capital de Dabadoc, une start-up marocaine comparable à Doctolib. Nous investissons aussi l’éducation avec des offres dédiées permettant d’accéder à des cours en ligne. Sur l’énergie, alors qu’une personne sur deux n’a pas accès à l’électricité, nous permettons via Orange Money de payer au jour le jour sur la base d’un kit solaire dont on peut être propriétaire en deux ou trois ans. 500 000 personnes utilisent cette solution dans neuf pays.

 

Free, qui est présent au Sénégal sur le métier d’opérateur et celui des services de « money », reprend-il votre modèle en appliquant ses méthodes ?

La concurrence nous permet de nous améliorer plus vite et de changer de business model quand c’est nécessaire. Free est arrivé avec une offre de prix plus bas. Cela a entraîné une guerre des prix et nous avons perdu des parts de marché. Mais nous en avons repris depuis. Nous n’avons pas été dépositionné. Cela mérite d’être creusé ! Nul n’a intérêt à avoir une baisse des investissements et donc des services en raison de prix cassés. On s’attend à avoir plus de concurrents disruptifs. On est prêts !

 

N’êtes-vous pas une citadelle assiégée, en position défensive un peu partout ?

On est un acteur de terrain capable de s’adapter aux marchés et de répondre à la disruption.

 

Y a-t-il un style de management d’Orange en Afrique ?

Il n’y a pas de différence si ce n’est culturelle. Quand le management est originaire du pays, cela permet d’intégrer plus facilement cette composante culturelle. Cela ne veut pas dire que les méthodes de management changent. Ce qui est important, c’est l’ancrage, et l’engagement social. Cette activité est hautement capitaliste et il nous faut contribuer encore plus au développement socio-économique des pays. C’est ce que nous faisons déjà avec les Orange Digital centers, qui permettent de former gratuitement des jeunes au codage ou d’accompagner les start-up, ou avec les écoles qu’on construit. Les États nous le reconnaissent.

 

Le fait que le groupe soit français, n’est-ce pas un handicap dans des pays où il y a des difficultés avec la France comme le Mali ?

 C’est pourquoi on veut qu’Orange Mali soit perçue comme une société malienne, certes, filiale d’un grand groupe international, mais avec des Maliens. Orange n’est pas l’entreprise la plus ciblée par les activistes anti-français en tant qu’entreprise française. Nous venons après Total ou Eiffage peut-être à cause d’un engagement sociétal qui est assez bien perçu par nos populations.

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