Événement
Le 22 septembre, Stratégies a organisé une matinée pour parler des enjeux actuels et à venir du design, autour du lien social, de l’éco-conception et de la créativité.

À l’occasion du Festival Stratégies et de ses 50 ans, le magazine a invité des marques et des agences à parler des « tendances 2022 » du design, un intitulé suffisamment large pour englober les enjeux de ce métier. Parce qu’il est fondé sur l’observation des comportements et l’amélioration des usages, le design est souvent le mieux placé pour apporter des solutions aux problèmes contemporains, à commencer par la perte du lien social. En effet les discours de division envahissent le débat public à l’approche de l’élection présidentielle, et la crise sanitaire, si elle a suscité des élans de solidarité, a aussi entraîné une tentation du repli sur soi. Il est important de retrouver le sens du collectif dans la ville, dans les transports, dans les bureaux. Olivier Saguez, président fondateur de Saguez & Partners, est installé depuis 18 ans à Saint-Ouen en lisière de Paris, une ville qui cumule les difficultés sociales mais attire aussi les investissements, le siège du conseil régional d’Île-de-France, l’extension de la ligne 14 du métro, le village des athlètes des Jeux olympiques 2024. À travers la fondation Saguez, l’agence est impliquée dans la vie locale. Elle réalise aussi des projets fédérateurs comme la conception d’une halle gourmande dans un ancien site industriel ou l’installation d’une laiterie pour fabriquer le « claquos » de Saint-Ouen. Le nouveau maire Karim Bouamrane élu en 2020 était présent à travers une vidéo dans laquelle il a affirmé son soutien au design au sens du beau « qui donne de la fierté aux habitants et contribue au sentiment d’appartenance ». Un message fort de la part d’un élu que l’on attendait plutôt sur des considérations de signalétiques ou de mobilier urbain.

Les tiers lieux, bâtiments nouvelle génération

Fédérer et faire cohabiter des populations différentes, c’est aussi la mission d’Arep, filiale de SNCF Gares & Connexions qui réalise des aménagements de gares, récemment à Nîmes et à Paris Montparnasse. « L'usage, l’éco-conception et l’appropriation sont les défis à relever quand on conçoit de nouvelles gares », a rappelé Isabelle Le Saux, directrice du design d’Arep. Ainsi la notion de confort n'est pas la même dans une salle d’attente ou sur un quai, où l’on souhaite avant tout se sentir en sécurité, à l’abri des courants d’air, à bonne distance des autres voyageurs. Une esthétique douce, intemporelle, faite pour durer passe avant la réalisation d’un grand geste artistique.

Du plus général au plus particulier, Sophie Darriere, cofondatrice de l’agence Label Expérience, est venue parler des tiers lieux, ces espaces hybrides où cohabitent bureaux, restaurants, résidences hôtelières, étudiants et actifs, start-up et grandes entreprises. Dans ces bâtiments nouvelle génération qui essaiment en région – le Connecteur à Biarritz, Moho à Caen –, le design est là pour générer l’inspiration et les rencontres, associé à une programmation pour animer les différents publics. 

Pour le deuxième thème de cette matinée, l’éco-conception, le plateau réunissait Émery Jacquillat de Camif, Stéphanie Langard, designer chez Malherbe Design venue présenter la nouvelle Samaritaine, Madeleine de Lisle, directrice développement retail de La Ruche qui dit oui, et son agence Market Value, représentée par Philippe de Mareilhac. Camif est une entreprise qui a été entièrement repositionnée autour de l’éco-conception avec une fabrication française et des matériaux locaux. Une stratégie gagnante puisqu’elle a enregistré 44% de croissance en 2020. Pour son président, « il faudrait une TVA responsable pour encourager l’éco-conception, et passer du design to cost au design to impact », soit envisager l’impact social et environnemental global avant de penser réduction des coûts. « Un design durable qui permet de gagner trois ans de vie d’un lieu permet au final de dépenser moins d’argent », a souligné Philippe de Mareilhac. Madeleine de Lisle a rappelé les fausses bonnes idées du design écoresponsable, comme des cagettes en bois dans un magasin d’alimentation bio : « Elles se recyclent mal, alors que les cagettes en plastique, faites en France, sont finalement plus écolo. » Dans ses projets dans le luxe aussi, comme pour Tag Heuer, Malherbe Design a recours aux matériaux éco-conçus.

La diversité des recrutements en question

Pour la troisième table ronde, il était temps de donner la parole aux créatifs, ceux qui font la chair et l’âme de ce métier. Maud Mulder, directrice de création de BETC Design, Valentine Proust, directrice artistique de Pixelis, et Kheireddine Sidhoum, directeur de la création du groupe Dragon Rouge, ont échangé sur le processus d’inspiration qui s’enclenche face à un nouveau brief. « On a comme une bibliothèque dans le cerveau dans laquelle on va piocher nos idées », a entamé Maud Mulder. Contrairement aux idées reçues, les designers ne pensent pas forcément en images mais aussi en mots, en concepts, aidés par les planneurs stratégiques de l’agence. D’autres conventions doivent être surmontées, comme l’idée que la nature s’exprime forcément par du kraft, un vert doux. « La nature, je la vois en RVB (rouge vert bleu, comme sur l’écran d’ordinateur). Le babouin a des fesses bleues ! », s’est exclamée Valentine Proust. La question de l'inspiration pose aussi celle de la diversité des recrutements : comment faire pour que des profils différents rejoignent les agences, comme Kheireddine Sidhoum, venu du rap et du street art ? Les frais de scolarité dans les écoles privées sont un véritable frein à la diversité sociale et culturelle de ce métier.

À l’issue de cette matinée, avant la remise du Grand Prix Stratégies du design dont il était le parrain, le designer Patrick Jouin a présenté ses réalisations lors de la crise sanitaire et les leçons qu’il en a tirées. Un système de renouvellement de l’air pour la brasserie Allard d’Alain Ducasse, l’installation de distributeurs de gel hydroalcoolique sur les mobiliers JCDecaux, autant d’actions dans l’urgence qui montrent le rôle social du design. « Cette crise nous fait penser à celle qui arrive, la crise environnementale, qui nous fait redéfinir l’idée du progrès. Je propose le terme d’harmonie qui nous met en résonance avec la Terre. » Un beau projet pour l’avenir.

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