Davantage de digital, de télétravail… On a coutume de dire que la crise accélère des tendances déjà dans l’air du temps. La RSE (responsabilité sociétale des entreprises) n’échappe pas à cette règle. Les entreprises n’ont pas attendu le Covid pour mesurer l’impact de leurs actions en la matière ou encore l’appétence des consommateurs pour ces sujets, mais le mouvement s'est amplifié avec la crise sanitaire. « La RSE n’est pas un phénomène nouveau mais j’observe que son champ s’élargit, explique Gaïdic d’Albronn, directrice générale de Kantar Worldpanel. Il y a quelques années, lorsque l’on parlait RSE, on parlait surtout bio. Aujourd’hui, il existe de nombreux champs d’expression de cette RSE, ce qui permet aux entreprises de s’exprimer sur d’autres terrains et à davantage de profils de marques de porter ce discours. »
Moral des salariés
Cette ouverture des entreprises est à mettre en parallèle avec un certain besoin de sens, à l’heure où tous les repères tombent et que les Français sont toujours plus en attente sur ces sujets. Il existe toutefois un risque du côté des entreprises : par temps de crise, la RSE peut être vue comme une variable d’ajustement et ainsi se retrouver reléguée au second plan au profit de sujets jugés plus business.
« La crise a généré davantage de demandes d’études sur les sujets RSE avec ce qui a vraiment émergé en 2020, la grande question autour de la raison d’être, plante Delphine Martelli-Banégas, directrice du département Corporate de Harris Interactive. Avec deux objectifs majeurs pour nos clients : (re)trouver des leviers de croissance ou de reprise de l’activité mais aussi, à plus long terme, créer de la différenciation autour de l’utilité. » Au-delà du nombre d’études commandées, la nouveauté est que, en plus des préoccupations environnementales, les entreprises ont ouvert leur spectre et ont eu davantage tendance à se pencher sur leur engagement employeur, à travers des sujets comme le moral des salariés, la sécurité de l’emploi, le maintien de l’activité ou encore la protection via les mesures sanitaires au travail.
Mesurer la peur
« Nous avons réalisé moins d’enquêtes sur l’image de l’entreprise auprès des salariés ou sur la conduite du changement, mais davantage d’études RH, sur la façon dont les salariés vivent la période, les réactions des DRH ou des enjeux de santé ainsi que sur des thématiques que nous n’abordions pas avant, comme l’organisation de l’espace de travail », illustre Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop. Le pari n'était pas gagné d'avance, selon lui. Avec la crise et les tensions sur l’emploi, les entreprises auraient tout aussi bien pu ne pas estimer utile d’écouter leurs collaborateurs.
« Nous avons réalisé beaucoup plus d’études sur l’interne, facilement 15 % de plus qu’une année classique, renchérit Assaël Adary, président d’Occurrence. Les sujets portaient sur la compréhension de l’organisation, la qualité de la communication interne, la présence ou non du management. C’est la première fois en 25 ans que je demande aux gens s’ils ont peur [d’attraper le Covid au travail]. » Ce type d'enquête peut aussi montrer la façon dont la crise sanitaire a pu mettre à rude épreuve la responsabilité sociale et sociétale des entreprises. Selon une étude du Boston Consulting Group et d’Ipsos portant sur l’impact de la pandémie sur les salariés français et leurs perspectives de carrière, publiée en février, les femmes ont 1,5 fois plus de risques d’être fréquemment interrompues en télétravail.
Webinars RSE
Face à cette demande croissante pour des études sur des sujets de RSE, les instituts ne sont pas en reste pour se différencier les uns des autres. En plus d'une offre sur la raison d’être des entreprises, OpinionWay par exemple a créé une communauté dédiée aux nouvelles pratiques éco-responsables et solidaires, baptisée GreenLab. Harris Interactive, de son côté, réalise des post-tests de campagnes de communication corporate, avec de nouveaux indicateurs RSE. Strategir a inauguré en avril 2020 une série de webinars d’acculturation et a développé un outil de mesure de la perception des consommateurs sur les piliers de la RSE. Et pour asseoir sa légitimité sur ces sujets, l’institut se penche actuellement sur sa propre raison d’être et envisage de se lancer dans une certification B Corp en 2022. Dernier exemple en date, NielsenIQ, qui a annoncé en mars dernier un partenariat avec ConsoTrust, plateforme spécialisée dans l’analyse et le traitement des données produits B to C par l’intelligence artificielle, pour garantir un suivi des ingrédients et de l’origine des produits achetés dans les enseignes de distribution. « L’idée est de continuer dans cette logique de partenariats », confie Xavier Ségalié, directeur pour la France de NielsenIQ.
Au-delà des offres spécifiques, la démarche RSE des instituts tient aussi aux questions posées, à la façon de les poser ainsi qu’à la collecte de données en elle-même. On se souvient de ce sondage Ifop pour le magazine Marianne sur la « tenue correcte » des lycéennes, qui avait suscité un tollé à sa publication en septembre 2020. Autre exemple, « dans nos questionnaires, nous donnons, avec l’autorisation du client, la possibilité aux répondants de préciser s’ils sont un homme, une femme ou une personne non-binaire », expose Assaël Adary.
Et quitte à rendre des conclusions sur la RSE, le secteur des instituts d'études s’est lui-même lancé dans une démarche d’écoute. Le Syntec Conseil, organisation professionnelle réunissant l’ensemble des métiers du conseil, y compris les études, a démarré une enquête pour savoir comment les salariés du conseil vivaient la période. 167 sociétés ont été sollicitées, dont une soixantaine d’instituts. La livraison des résultats est programmée autour de début mai. La RSE est l'affaire de tous.