Même Beyoncé sait de quoi il en retourne : «Hips TikTok when I dance/On that Demon Time, she might start an OnlyFans» («Remuer les hanches sur TikTok quand je danse / à l’heure démoniaque, ouvrir un compte sur OnlyFans»), chante la megastar sur le remix de Savage. Jadis, lorsqu’on était fan d’un artiste, on punaisait des posters dans sa chambre d’ado et on arborait des badges à son effigie sur son sac US. Aujourd’hui, on paie son tribut à l’idole sur OnlyFans.
Alors, en quoi consiste ce club privé ? Le site se présente comme une plateforme où les producteurs de contenus proposent des exclusivités à leurs fans. «Elle peut être considérée comme une plateforme social media car elle s’articule autour de finalités “social”, notamment les DM, mais aussi autour du live», résume Jean-Baptiste Bourgeois, planneur stratégique chez We Are Social.
Née en 2016 au Royaume-uni, la plateforme n’a séduit de nombreux utilisateurs que très récemment, notamment pendant le confinement. Dans une interview donnée à la chaîne YouTube, OnlyFans prétend : «Depuis le début de la pandémie, le nombre de nouveaux utilisateurs a augmenté de 75% avec actuellement 200 000 nouveaux inscrits tous les jours.» Avec un abonnement qui varie entre 5 et 50 euros par mois pour les visionneurs de ces sites, les contenus des utilisateurs se sont ouverts à d’autres usages. Dont le sexe. Beaucoup de sexe. Contactée par Stratégies, la plateforme ne nie pas cette allégation mais la nuance : «Les posts explicites représentent moins de la moitié du contenu total. Le pourcentage de posts qui contiennent du contenu adulte a réduit de 37% à 27%. Cela démontre bien une augmentation de la production de contenus qui n’est pas seulement pornographique.» Cachez ce sein...
Du X à Disney
Traité d’«Instagram du porno», ce mauvais élève des Gafa serait simplement l’expression d’une frustration des jeunes utilisateurs. Instagram étant vraiment (trop ?) puritain, ils se sont déplacés vers un autre réseau social plus ouvert. «Le porno s’est énormément démocratisé, les critères de pudeur ne sont pas les mêmes. Sur TikTok par exemple, les jeunes filles mettent en avant leur sensualité au profit de la créativité», avance Lennie Stern, head of creative and entertainment strategies de BETC. OnlyFans est tout simplement plus assumé. «OnlyFans établit une vraie stratégie d’influence. Ces deux derniers mois, ils ont fait venir l’actrice X Mia Khalifa ; pas longtemps après, c’est l’ancienne actrice de Disney Bella Thorne qui s’est invitée. Ils brouillent les pistes», ajoute-t-il.
Pas de censure
En France, peu d’influenceurs prennent leurs quartiers sur ces plateformes, en tout cas à visage découvert. Simon Vendeme y a néanmoins vu un eldorado où la censure n’existe pas. Dans une vidéo face caméra, le youtubeur explique pourquoi il s’est inscrit sur OnlyFans : «J’avais envie de proposer un contenu plus osé, je prends du plaisir à faire ça.» En effet, sur son compte – moyennant un abonnement –, il poste des contenus sensuels, osés mais pas pornographiques et assume : «J’ai fixé un prix avec lequel je me sentais à l’aise de faire ça.» L’influenceuse Emma CakeCup, elle, expliquait être victime d’un maître chanteur. Les photos d’un shooting nu auraient fuité. Pour lui couper l’herbe sous le pied, elle a décidé de les diffuser elle-même sur le site Mym Fans, homologue français d’Only Fans. Bien évidemment, pour voir ces photos, il faut être abonné et donc payer.
À la croisée des «cam girls» et des films pornographiques, ces plateformes vulgarisent la sexualité. Et font de l’ombre aux travailleurs du sexe. «Les utilisatrices adoptent la même démarche que les “cam girls”. D’aspect, le site ressemble à Instagram, on peut suivre gratuitement des profils mais si on veut profiter de leur créativité, il faut payer. Et dès qu’il y a de la monétisation, il y a de la dérive», note Lennie Stern. Jean-Baptiste Bourgeois ne dit pas autre chose : «La plateforme a un côté très sombre... On est à la limite de la prostitution. Je ne serais pas étonné qu’elle se retrouve au cœur de polémiques...» À tel point que pour l’heure, les marques ne s'y bousculent pas... «Elles ne s’y intéressent pas pour l’instant», lâche Jean-Baptiste Bourgeois. Sauf pour en parodier la mécanique : «Aviation Gins (la marque de Gin de Ryan Reynolds) a imaginé une version d’OnlyFans, OnlyGins, avec uniquement des bouteilles dénudées (sans étiquettes)», souligne le planneur.
Mateurs d'élite
Décidément, OnlyFans, qui attire et répugne à la fois, laisse perplexe. Avec Internet et ses contenus en libre-service, pourquoi donc payer à nouveau pour du porno ? «Même si cela reste encore tabou, les utilisateurs paieront toujours pour du porno, c’est le secteur le plus lucratif. Et ces huit dernières années, le business des “cam girls” a explosé. Les gens veulent de l’exclusivité et de l’attention. Comme à l’époque avec le téléphone rose. Finalement rien n’a vraiment changé si ce n’est le support», conclut Lennie Stern. «OnlyFans répond au besoin de proximité, de relation privilégiée avec une célébrité, abonde Jean-Baptiste Bourgeois. C’est la raison pour laquelle on est prêts à payer pour s’abonner à du contenu pornographique, alors que le web en offre des téraoctets en un clic et gratuitement : parce que ce contenu est “privilégié”, réservé à une fanbase de l’élite, presque VIP. OnlyFans répond, de plus, à un besoin de fierté lié aux médias sociaux : pouvoir montrer qu’on est “proche”, qu’on a été RT, ou qu’un artiste a repris sa story ou répondu à un DM. » Comme s’ils avaient un(e) petit(e) ami(e) virtuel(le), les «fans » reçoivent chaque jour du contenu personnalisé avec sa vidéo ou sa photo, donnant un peu d’authenticité à cette relation. Jusqu’à ce que l’écran se ferme. On se croirait dans un épisode de Black Mirror.