Johnny s'en va, Alain revient. Alors que son rival Krys sort une nouvelle campagne qui met en scène cinq égéries de premier plan, Alain Delon en tête, l'enseigne Optic 2000 termine son contrat publicitaire avec Johnny Hallyday et son épouse Laëticia (lire l'encadré). Cela représente un tournant important: le rocker préféré des Français incarnait la marque depuis huit ans, en image et en musique. «Ils ne seront pas remplacés», précise Yves Guénin, secrétaire général d'Optic 2000.
Une orientation à contre-courant de la bataille à coup d'égéries à laquelle se livrent les principales enseignes de l'optique. Et aussi un chassé-croisé inédit entre un leader, Optic 2000, fort d'une des associations les plus réussies avec une vedette, et son challenger, Krys, qui, à l'inverse, fondait sa stratégie sur la mise en scène d'anonymes dans ses publicités depuis près de quatre ans.
Au cours de la dernière décennie, la tendance dans la communication des enseignes d'optique est le recours aux personnalités: Alain Afflelou lui-même pour sa propre marque; Johnny et Laëticia Hallyday, mais aussi Karl Lagerfeld pour Optic 2000; Antoine, Adriana Karembeu et désormais Matt Pokora pour Atol; Zinedine Zidane pour Grand Optical; Alain Delon et quatre autres vedettes pour Krys depuis la mi-novembre. Réalisée par l'agence H, la nouvelle campagne de cette enseigne joue cependant sur le contre-emploi des personnalités. «Nos confrères utilisent des égéries, si bien que nous faisons un clin d'œil à ce code de communication dans l'optique, mais dans un autre registre», précisent Joël Plat, directeur de l'enseigne Krys, et Laurence Defaux, directrice de la communication et du marketing.
La publicité de Krys montre quatre candidats à un casting en proie aux affres de l'attente: Jane Birkin, Frédérique Bel, Michel Blanc et Frédéric Beigbeder. Leur mine devient déconfite lorsqu'ils découvrent qu'ils sont en lice pour l'obtention du rôle avec Alain Delon. Cette course aux auditions pourrait être vue comme une métaphore de la vive concurrence, qui prévaut dans le monde de l'optique. Au premier semestre 2011, l'ensemble des achats d'espace publicitaires du secteur a progressé de près de 28% par rapport à la même période de l'an dernier. «Ils communiquent beaucoup si l'on s'en réfère à la taille du secteur, observe Benoît Tranzer, directeur général de Millward Brown France. Les places ne sont pas définitivement attribuées.»
Une étape à dépasser
Ce petit marché publicitaire (180 millions bruts en 2010) est-il victime d'un trop-plein de personnalités? «La course aux égéries a donné une image faussée de notre métier», regrette Yves Guénin, d'Optic 2000. La cohorte d'égérie est susceptible de prêter à confusion dans l'esprit des consommateurs. «Si l'on utilise les mêmes mécanismes publicitaires, la différenciation devient très compliquée, car l'on peut se poser la question de la reconnaissance des enseignes sur des critères isolés: réseau, rapidité, rapport qualité-prix etc., estime Benoît Tranzer. Cela risque de gommer la supériorité éventuelle des produits et des services d'une marque.»
Un homme a même associé son image à deux concurrents, puisqu'Alain Delon a aussi été l'ambassadeur d'Alain Afflelou. «Cela n'est pas un problème, car cela a été oublié, assurent Joël Plat et Laurence Defaux, de Krys. Nous nous sommes posés la question de la différenciation, mais nous n'avons pas signé une association avec des égéries sur dix ans, en aucun cas, il ne s'agit d'un mariage définitif avec des personnalités.»
Pour Eric Bousquet, président de Business, l'agence historique d'Optic 2000, l'emploi de vedettes correspond à une étape dans la communication d'une enseigne qu'il faut dépasser. «Le recours aux égéries s'use un peu, note-t-il. Dans l'histoire de la communication d'Optic 2000, on peut distinguer trois phases. D'abord, celle de la promotion, avec la deuxième paire gratuite, notamment, puis la mise en scène de vedettes et enfin, le retour aux services et à la proximité.»
Même si elles ont sollicité des vedettes de premier plan, Krys et son agence se défendent de chasser sur les mêmes terres que les concurrents. «Le contrat d'égérie est la règle de la communication de ce marché, mais nous n'évoluons pas dans ce registre là, car nous faisons appel à des stars qui évoquent le regard qu'elles portent sur elles-mêmes, avec une dose d'autodérision, ce qui les ramène à la normalité», analyse Christophe Lafarge, président de H.
Entre médical et esthétique
Plusieurs raisons expliquent cet appétit insatiable pour les égéries. Constitués de coopératives et de franchises, les réseaux de distribution de l'optique provoquent un effet d'entraînement sur la communication de leurs enseignes respectives. Lorsqu'un rival effectue une campagne remarquée avec une personnalité, il est difficile d'y résister.
«Pour rassurer un réseau, la tentation est grande de prendre une star afin de s'assurer une notoriété facile», constate un connaisseur de ce milieu. Autre raison, la double fonction, médicale et esthétique, des lunettes. Elles ne servent pas qu'à corriger la vue, mais peuvent être également des accessoires de mode.
Cet aspect renvoie à une problématique d'image, à laquelle les marques de mode et de cosmétiques sont aussi confrontées, et dont la résolution passe souvent par l'association avec une personnalité. «On peut établir un parallèle avec L'Oréal et ses ambassadrices, comme Sharon Stone par exemple, remarque Eric Bousquet. Autour des formes, du design et des couleurs des lunettes, le côté mode revient en force.»
C'est d'ailleurs un des points cardinaux des campagnes de Krys. «Nous voulons dépasser la simple problématique technique, car le métier d'un opticien est de vous embellir, malgré le port de lunettes», considère Christophe Lafarge. A l'avenir, les acteurs du marché envisagent une évolution vers les innovations techniques (nouveaux matériaux et caractéristiques des verres) et l'esthétique, si bien que les égéries pourraient être remplacées par des mannequins.