Dossier
En quête de nouveaux lecteurs et surtout de revenus publicitaires supplémentaires, les quotidiens sont de plus en plus nombreux à lancer leur magazine de fin de semaine, à l’image du Monde et du Parisien. Un fructueux relais de croissance.

Le projet était dans les cartons depuis des années; c'est finalement le 21 septembre dernier, presqu'un an jour pour jour après la refonte du Monde magazine et l'arrivée dans les kiosques de M, que Le Parisien a lancé sa propre déclinaison de fin de semaine sur papier glacé, Le Parisien Magazine. «Un vrai magazine, pas un simple supplément prétexte», assurait l'éditeur du titre, Frédéric Allary, lors de la présentation à la presse du dernier bébé des éditions Amaury. «Seul un newsmagazine offrant un traitement différent de l'actualité permet de conquérir de nouveaux lecteurs», expliquait alors l'ancien directeur général des Inrockuptibles.


Car c'est là l'un des principaux défis de ces magazines de week-end que les quotidiens français sont de plus en plus nombreux à lancer: offrir un contenu suffisamment intéressant pour justifier l'augmentation de prix qu'ils impliquent pour le lecteur. Pour Le ParisienMagazine, celui-ci doit débourser chaque vendredi un euro de plus, soit un total de 2,25 euros pour Le Parisien et de 1,90 euro pour son petit frère Aujourd'hui en France. La direction du Parisien espère que la baisse des ventes en kiosques ne dépassera pas les 15%, ce qui représenterait déjà une perte de plus de 40 000 exemplaires par semaine.


Le journal Sud Ouest en a fait les frais, lui qui était le premier quotidien régional à tenter l'expérience. Lancé en mai dernier moyennant une augmentation du prix du journal le samedi de 55% (50 centimes de plus, à 1,40 euro), Sud-Ouest Le Mag a dans un premier temps fait chuter les ventes en kiosques de 20%, soit 15 000 exemplaires de moins par semaine. Depuis, la baisse a été ramenée à 13%, pas de quoi satisfaire la direction du journal. «Beaucoup de lecteurs ont considéré que c'était de la vente forcée. D'autres ont dit que le bénéfice lecteur n'était pas assez important», explique Patrick Venries, directeur général délégué de Sud-Ouest.


Le quotidien bordelais va donc tenter de rectifier le tir en renforçant le contenu éditorial de son magazine. «Il ne faut plus s'en tenir à des sujets sur l'art de vivre, nous voulons en faire un vrai magazine d'actualité», estime Patrick Venries. Sur le plan de la publicité, en revanche, les recettes sont au rendez-vous. Cette année, Sud-Ouest Le Mag devrait rapporter 1,5 million d'euros de contribution nette au résultat d'exploitation de l'entreprise, preuve que le pari est loin d'être perdu.

 

Objectif publicitaire


«Ce type de magazines permet aux quotidiens de toucher des lecteurs différents, même si ça reste marginal. Ils ont surtout un objectif publicitaire. Ils permettent aux éditeurs d'élargir leur portefeuille publicitaire en repassant dans des catégories de presse magazine et donc d'être sélectionnés dans les plans médias», note Véronique Priou, directrice du pôle presse chez Vivaki. En ligne de mire, les annonceurs du luxe, de la beauté et de la mode, des secteurs attirés par le papier glacé et qui étaient jusqu'à présent la chasse gardée de la presse féminine. Sans parler du prix du ticket d'entrée, bien inférieur à celui d'un magazine féminin.


Dernière illustration en date, le remplacement du Monde magazine par M le magazine du Monde en septembre 2011. Grâce à un contenu mêlant savamment actualité et lifestyle, rédigé pour partie par les grandes plumes du Monde, le quotidien du soir a vu les ventes en kiosques de son offre week-end (datée du samedi) progresser de 1% au premier semestre, malgré une hausse du prix de vente de 23% à 3,20 euros (3,50 euros aujourd'hui). En diffusion, le numéro arrive en deuxième position après celui du dimanche-lundi, qui comprend le supplément Télévisions. Quant au chiffre d'affaires publicitaire de cette offre week-end, il a triplé en un an, tiré par M, pour une pagination publicitaire multipliée par 2,5 pour le seul magazine, s'enthousiasme Corinne Mrejen, patronne de la régie.

 
Avantage du magazine de quotidien, il permet d'élargir le portefeuille publicitaire aux annonceurs de la presse magazine. «M a permis au Monde de progresser sur les parfums, la joaillerie, les boissons alcoolisées et le prêt-à-porter, des secteurs peu présents jusque-là dans le quotidien», estime Véronique Priou. Selon l'institut d'études Yacast, sur les huit premiers mois de l'année, les trois premiers annonceurs de M ont été Procter & Gamble Prestige Products (parfums Gucci, Hugo Boss...), Christian Dior Parfums et Volvo, quand le quotidien du soir a d'abord attiré le loueur de voitures Sixt, Peugeot et Apple.


Reste que le magazine du Monde est encore loin de ses concurrents Madame Figaro et Le Figaro magazine, lancés par Robert Hersant il y a respectivement 32 et 34 ans. Meilleure vente de la semaine avec une diffusion supérieure d'un tiers à la moyenne du Figaro, l'offre week-end du quotidien de Serge Dassault, en kiosque le samedi mais aussi le vendredi depuis le début de l'année au prix de 4,50 euros, tire également les recettes publicitaires du groupe.


Madame Figaro et Le Figaro magazine génèrent à eux deux un chiffre d'affaires publicitaire annuel supérieur de 10 à 15% comparé au quotidien, estime Pierre Conte, patron de la régie. Permettant de toucher des femmes à fort pouvoir d'achat et tiré par la bonne santé de l'industrie du luxe, Madame Figaro génère à lui seul presque deux fois plus de recettes publicitaires que Le Figaro magazine. «En plus de permettre au Figaro d'aller mordre sur le marché des magazines, ces deux titres offrent aux annonceurs de la répétition mais aussi de la couverture supplémentaire puisqu'ils permettent de toucher des lecteurs exclusifs», souligne le président de la régie Figaro Médias.

 

Innovation éditoriale


Autre avantage, les magazines de fin de semaine permettent aux quotidiens nationaux de développer les opérations spéciales, en plein expansion. «Les publi-rédactionnels sont plus évidents à trouver sur un magazine que sur un journal», estime Véronique Priou, de Vivaki. Au Monde, les revenus qu'elles génèrent devraient augmenter cette année de 35%, chiffre Corinne Mrejen, selon qui la moitié provient de M et un tiers du digital.


Pour s'imposer, ces nouveaux magazines de fin de semaine ont dû innover sur le plan éditorial, à l'image des suppléments week-end chers à la presse étrangère, New York Times en tête. «Nous avons fait le pari d'inventer un nouveau type de magazine, qui mêle actualité et lifestyle, avec une mise en scène et une écriture très magazine, se souvient Erik Izraelewicz, directeur du Monde. Nous ne voulions pas doublonner avec le quotidien en faisant un magazine d'actualité.»


Même ambition pour Le Parisien magazine, même si le titre revendique son appartenance à la catégorie des newsmagazines. «Nous sommes en train de voir émerger de nouveaux produits du point de vue publicitaire, des produits hybrides, à mi-chemin entre les magazines féminins et les newsmagazines», analyse Pierre Conte, de la régie Figaro Médias. «Ces nouveaux produits veulent satisfaire tous les publics, mais je m'interroge sur le contrat de lecture. Il faut se demander si ces magazines marcheraient s'ils étaient vendus de façon autonome», renchérit Marc Feuillée, directeur général du Figaro.


L'autonomie, c'est le pari qu'a tenté Madame Figaro en mars 2011, avec son arrivée solitaire en kiosque, au grand dam des groupes Mondadori France, Prisma Presse, Marie-Claire et Condé Nast, qui ont fait condamner Le Figaro pour concurrence déloyale. Selon nos estimations, le titre a gagné ainsi autour de 20 000 exemplaires, pour une diffusion payée de plus de 450 000 exemplaires.


Parmi les historiques, Version Femina, distribué le samedi et le dimanche avec 37 quotidiens régionaux et le JDD, ainsi que L'Equipe Mag, victime d'une baisse de diffusion en 2011-2012 (-7,3%) poursuivent leur chemin. Reste à voir combien de magazines de fin de semaine le marché publicitaire peut entretenir...

 

 

Portraits:

 

Frédéric Allary, éditeur du Parisien Magazine

C'est à Frédéric Allary que les Editions Amaury ont confié la conception éditoriale du Parisien Magazine. Âgé de 36 ans, il a assuré pendant dix ans la direction générale de l'hebdomadaire Les Inrockuptibles, qu'il a quitté en 2010 suite au rachat du titre par le banquier d'affaires Matthieu Pigasse. Diplômé de l'IEP de Paris et de HEC, il a co-fondé début 2012 le site Quoi.info, qui se propose de décrypter et d'expliquer l'actualité.

 

Marie-Pierre Lannelongue, rédactrice en chef de M le magazine du Monde

Le Monde a fait appel à une spécialiste de la presse magazine issue du monde des féminins et des news pour relancer son supplément de fin de semaine, M le magazine du Monde, en septembre 2011. Âgée de 42 ans, diplômée de l'IEP de Toulouse et titulaire d'un DESS de l'IFP, Marie-Pierre Lannelongue a été rédactrice en chef au Nouvel Observateur en charge de la rubrique «Air du temps» entre 2007 et 2011, après avoir longtemps travaillé à Elle, notamment comme chef des informations magazine.

 

TABLEAU :

Les principaux magazines de fin de semaine des quotidiens

  Diffusion France payée OJD 2011/12 (en ex.) Evolution (vs 2010/11) Budget publicitaire brut (janvier-août 2012, Yacast)
Evolution (vs janvier-août 2011)
Version femina
 3 239 607  -2,7% 43 526 000
 +16%
Madame Figaro  453 694  4,3% 57 325 000
 +7,9%
Le Figaro magazine  431 329  -1,1% 43 019 000
 +2,6%
L'Equipe mag  299 671  -7,3% 32 895 000
 -1,5%
M le magazine du Monde  248 808  -1,1% 18 889 000
 +31,8%
Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.