Dossier
Serge Papin, président de Système U, revient sur ses convictions développées dans son livre «Pour un nouveau pacte alimentaire». Pour lui, développement durable est synonyme de santé, de prix accessibles et d'emploi local.

A quand remonte la stratégie développement durable de Système U?

Serge Papin. Tous nos engagements remontent à quatre ans. Ils concernent nos magasins et nos produits. Pour nos magasins, nous avons décidé qu'ils adopteraient tout ou partie des critères HQE [Haute Qualité environnementale] au fil de leurs investissements. Celui des Arcs, écoconçu, nous sert de modèle pour les prochains. Il respecte l'environnement, il augmente le confort des usagers, il permet une bonne gestion de l'énergie. Nous souhaitons également que nos magasins s'intègrent mieux à leur environnement dans le respect des architectures et des matériaux régionaux. On revient aujourd'hui à des configurations plus humbles avec des magasins moins hauts et plus discrets. C'est une démarche globale, à la fois esthétique, écologique et économique.

 

Vous souhaitez également devenir le leader des produits sains…

S.P. Pour les produits, nous travaillons sur l'écoconception et la réduction des emballages à la source, mais aussi sur les ingrédients. Nous avons dressé une liste de 85 substances controversées, toxiques ou polémiques, à retirer de nos produits U, comme le parabène, l'aspartame, le bisphénol A ou l'huile de palme.

 

Vous avez initié et porté cette stratégie dans votre société coopérative. Etes-vous écologiste?

S.P. Le mot me gêne et la posture politique est discutable. En revanche, je suis intéressé par l'avenir de mes enfants, de la planète, de ma santé et de celle des autres. Je suis sûr qu'il existe un lien entre la façon dont on se nourrit, dont le produit est fabriqué et transformé et la façon dont on vit, dont on tombe malade ou pas. C'est aussi une affaire de dignité. J'ai envie de vendre des produits dont je suis fier et que j'ai envie de manger. Nous entrons dans une époque nouvelle où il est possible de tourner la page de pratiques qui n'ont pas toujours été bienveillantes pour les consommateurs et l'environnement. Nous avons fait des erreurs, distributeurs compris. Nous le savons. Ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est de corriger le tir.

 

Tous les distributeurs font la chasse aux ingrédients à risques, s'engagent et communiquent sur le développement durable, à commencer par un pionnier, E.Leclerc. En quoi votre démarche est-elle spécifique?

S.P. Tant mieux si tout le monde s'y met. C'est ainsi qu'on changera la donne. Mais tous n'agissent pas au même niveau. E.Leclerc a fait quelques coups sur les sacs de caisse ou le nettoyage des plages, c'est du registre de la communication. Ce que l'on fait sur les produits, c'est un vrai engagement. Système U a été parmi les premiers à retirer le parabène, il y a maintenant plus de quatre ans, de nos produits, bien avant Beiersdorf et L'Oréal. Et quand on enlève le bisphénol A des tickets de caisse, tout le monde nous suit. Aujourd'hui, cinquante de nos produits sont sans huile de palme, ce n'est pas rien. Enfin, si un commerçant ne doit pas être en retard, il ne doit pas non plus être trop en avance. J'ai des convictions, mais encore faut-il qu'elles résonnent positivement dans l'opinion.

 

Les consommateurs sont donc plus réceptifs aujourd'hui?

S.P. L'élément déclencheur a été le Grenelle de l'environnement. Il a permis une formidable médiatisation sur le sujet. Le gros reproche que l'on peut faire, c'est qu'au-delà des grandes déclarations, il n'a pas toujours été suivi d'effets. Et puis, le pouvoir des lobbies s'est mis en place pour freiner les évolutions. A nous de prendre nos responsabilités pour répondre à un consommateur poussé par la crise économique à revoir ses habitudes de consommation. Dans le fond, tout citoyen est aujourd'hui persuadé que nous allons dans le mur si notre modèle n'évolue pas. Et tout consommateur veut retrouver du goût, de la qualité, des bons produits respectueux de l'environnement et du producteur. On s'aperçoit d'ailleurs que les premiers prix se vendent de moins en moins malgré les difficultés financières des ménages. Ce qui veut dire que dans une période difficile, moins on a d'argent, moins on a envie de le dépenser bêtement. L'heure est à consommer moins, mais mieux.

 

Beaucoup de marques hésitent à communiquer sur le développement durable, de peur d'attirer les critiques sur leurs mauvaises pratiques. Pas vous?

S.P. La perfection n'est pas de ce monde. En revanche, nous communiquons sur une démarche sincère, sur des sujets factuels comme le prix d'achat et de revente de notre lait. Etre transparent, c'est un des éléments du développement durable. J'ai par ailleurs horreur du marketing mensonger. Avec la communication, les enseignes de fast food vont nous faire croire qu'elles sont les reines de la nutrition, les sodas qu'ils n'ont rien à voir avec l'obésité et que, pour nourrir nos enfants, il faut leur donner des pâtes à tartiner…

 

Pas de vert pâturage ni de petites fleurs dans votre communication. Vous semblez plus porté sur l'aspect économique et social du développement durable…

S.P. Quand vous demandez aux consommateurs ce que signifie le terme développement durable, ils répondent en premier l'emploi durable dans ma région. L'économie locale est une clé d'entrée, c'est la nôtre. Les groupes capitalistes se développement à l'international, prennent de l'argent à un endroit pour l'investir dans un autre. Système U est un groupement franco-français de commerçants indépendants, du pays, qui transmettront leur magasin à leur famille ou à un proche. Cet attachement local les incite à favoriser la production locale, à soutenir les associations du coin. Aujourd'hui, nous nous engageons auprès de PME locales sur le long terme pour une présence de leurs produits dans nos linéaires. Nous contribuons ainsi à l'emploi régional et au développement d'une économie dite «résidentielle». D'où, d'ailleurs, notre slogan publicitaire «Le commerce qui profite à tous» [agence TBWA Paris].

 

Vous cherchez également à développer les produits biologiques…

S.P. Depuis plusieurs décennies, le budget de l'alimentation a servi de variable d'ajustement. On a demandé à la nourriture d'être moins chère pour pouvoir accéder aux loisirs, s'offrir Internet, changer régulièrement de téléphone portable… D'où une production moins qualitative occasionnant des dégâts sur la santé et l'environnement. Le biologique donne le signe d'un renouveau sur le développement qualitatif. Nous poussons donc à fond cette démarche, mais aussi l'idée d'une troisième voie, moins élitiste, entre agriculture biologique et agriculture conventionnelle. Les exploitants s'engagent à produire plus avec moins: moins d'énergie et de pesticides, en respectant l'environnement et le bien-être de l'animal.

 

Vous communiquez également sur les prix avec l'idée que bien manger ou acheter du bio n'est pas forcément réservé aux riches…

S.P. Notre lait U bio est vendu 99 centimes d'euro la bouteille quand le lait conventionnel est à 90 centimes d'euro. Cet écart minime est rendu possible grâce au partenariat passé avec le groupement de producteurs Biolait. C'est ce qu'il faut arriver à faire. Le biologique est forcément plus cher, mais nous nous battons pour qu'il tire le marché, comme le premium, tout en restant accessible. Je défends aussi l'idée que ce qui est cher dans l'alimentation c'est le prêt à manger. Pour bien manger à peu de frais, il faut acheter des produits de saison, des fruits et légumes produits en France, retourner en cuisine, privilégier le fait maison.

 

Grande distribution rime avec surconsommation. Remettez-vous en cause les modèles promotionnels poussant à l'achat, au gaspillage?

S.P. Nous sortons de ce modèle petit à petit. La profusion et le débordement ne correspondent plus à l'air du temps. Par recherche d'équilibre budgétaire, les consommateurs demandent aujourd'hui d'acheter des produits à l'unité, chaque jour et en petite quantité. C'est un profond changement. Ils privilégient donc le magasin de proximité à l'hypermarché. C'est lui, le roi de la grosse promotion, des paquets de quatre pour le prix de deux qui restent dans un placard et finissent par être jetés parce que périmés… Nous sortons de ce système depuis deux-trois ans et nous sommes plutôt suivis. Le consommateur régulier finance en effet le prix barré offert au chasseur de promotion. Ce n'est pas normal. Aujourd'hui, nous diminuons la démarque promotionnelle pour avoir un prix permanent plus bas et plus juste. Ce qui a contribué à améliorer notre image prix.

 

Le modèle de l'hypermarché s'essouffle. Comment voyez-vous le magasin de demain?

S.P. Trop grand, trop loin, ce modèle a en effet du plomb dans l'aile. La force du grand hyper était de vendre des offres en non-alimentaire, de l'habillement au bien d'équipement. Or il est fortement concurrencé, notamment par Internet et les sites de vente spécialisés. Le magasin de demain utilisera tous les canaux de distribution possibles. Il sera à deux vitesses. D'un côté, Internet avec le drive ou la livraison à domicile pour les achats corvés, de l'autre, le magasin de proximité pour les achats plaisir. Il mettra en avant les métiers de bouche, le service, le conseil…

 

Globalement, quel est l'impact de votre stratégie de communication?

S.P. Communiquer sur ces sujets nous a permis de préempter un territoire spécifique, d'entraîner notre groupement, de mobiliser l'interne comme l'externe. Cette démarche est aujourd'hui une des valeurs de l'entreprise. Elle est validée par nos résultats et la croissance de notre part de marché. Tous nos commerçants réunis cette année à Deauville ont voté pour continuer dans cette voie.

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