Métamorphosé par le virage digital, le CRM («Customer Relationship Management» ou gestion de la relation client) est passé du transactionnel au relationnel. Les acteurs de ce nouvel écosystème doivent en permanence s'adapter et acquérir d'autres compétences pour tirer leur épingle du jeu. Ainsi, les agences-conseils du secteur se sont tournées vers les nouvelles technologies et les «pure player» du digital se sont formées à l'exploitation marketing des «data» (bases de données). Aujourd'hui, ce qui les distingue ne réside peut-être plus que dans leurs parcours. Les agences spécialisées réaffirment pourtant la force de leur expertise. «Au-delà de la partie visible de l'iceberg, il faut mettre les mains dans le data!», lance Nicolas Zunz, coprésident de Publicis Dialog. Pour lui, les véritables acteurs du marché se situent dans l'univers du «data consulting», point sur lequel il assure n'avoir jamais cessé d'investir.
Car, attention! Une mauvaise exploitation des données peut être fatale. Emmanuel Miclo et Bertrand Forges, tous deux directeurs généraux de BETC 4 D, agence fondée sur «une expertise CRM pure et dure», précisent-ils, s'exclament en chœur: «Le digital m'a tuer!» Si environ 70% des canaux de relations sont digitaux, la mauvaise exploitation du volet data fait souvent baisser l'efficacité du système. Alors qu'il y a deux ans, 30 à 40% des e-mails étaient ouverts, ils ne sont plus que 10 à 20% actuellement. Pour ces dirigeants, il est primordial de retrouver du sens en revenant aux fondamentaux: data + planning stratégique + stratégie des moyens (choix des canaux en ligne et hors ligne) + ROI (mesure et retour sur investissements).
Anne Browaeys, directrice générale du groupe Fullsix, insiste également sur une utilisation plus pertinente des données. L'agence digitale de référence sur ce marché mise beaucoup sur cette dimension hautement stratégique. Avec l'arrivée d'Hélène Gombaud-Saintonge (ex-Mediapost Multicanal) en novembre 2010, l'agence a créé un département Marketing & Consumer Intelligence, qui regroupe une vingtaine de personnes, pour le suivi de la performance, l'«analytics» (mesure, collecte, analyse et présentation de données) et le «datamining» (analyse de bases de données à des fins marketing). «Nous sommes un acteur alternatif», affirme Anne Browaeys. Notre approche CRM est comportementale. Elle colle au changement digital. Nous nous servons au mieux du profil 4D du consommateur [partant de tous ses points de contacts], à qui l'on redonne de la valeur d'usage.» Olivier Rippe, président de Proximity BBDO, partage cette opinion: «On part du consommateur et ensuite on s'intéresse à l'ADN de la marque.» Le client a repris le pouvoir et le CRM redevient stratégique par le phénomène de bouche-à-oreille, amplifié notamment par le Web. La stratégie est ainsi passée du média de masse à la microsegmentation, l'éternel Graal du marketing direct.
Le CRM imprègne tous les domaines
Dans cet esprit, et surfant sur l'idée du ZMOT («Zero Moment Of Truth» ou moment de vérité zéro), théorisée par Google pour définir l'importance des réseaux sociaux dans la décision d'achat, en référence au premier moment de vérité (l'achat en magasin) et au second moment de vérité (l'essai du produit), l'agence Rapp a ainsi lancé sa toute nouvelle offre «Rapp engagement» laissant la maîtrise de la relation au consommateur.
Une approche qui n'est pas a priori inscrite dans les gènes des agences de publicité. Celles qui ont intégré une offre CRM sont-elles donc à niveau pour répondre aux attentes des clients en la matière? Philippe Simonet, président de TBWA 365, s'estime «légitime et performant pour les clients qui cherchent l'intégration du CRM dans un offre globale. Le data n'est pas intégré dans l'agence, on développe l'expertise CRM grâce à la transversalité.»
Antoine Pabst, directeur général Europe de l'agence digitale Nurun, le rejoint sur ce point et ne croit plus à un CRM à l'ancienne. Le digital est pour lui bien plus qu'un média, c'est un enjeu. «Nous ne sommes pas une plate-forme CRM, nous sommes acteurs de la nouvelle relation entre le client et sa marque, l'approche data pure et dure était la tarte à la crème des années 2000.»
Une vision que ne renierait pas Eric Masson, directeur des stratégies de MRM (McCann), pour qui le CRM imprègne aujourd'hui tous les domaines. Mais, ironie du sort, à force de gérer la relation client des autres, les agences en oublient souvent de gérer leur image. «Notre seule faiblesse, c'est que le marché ne nous reconnaît pas comme des agences modernes et créatives. Nous somme perçus comme des acteurs confinés à gérer des programmes de fidélisation», constate Stéphane Raoul, directeur général de Rapp.