«Brand content», un mot valise dont tout le monde parle mais qui agace. Avant tout, parce qu'il a résisté à sa traduction française – «contenu de marque», en opposition à «publicité» – et qu'on sent bien que dans l'emploi du mot anglais suinte une volonté marketing de faire du «neuf avec du vieux». Un terme que nombre refusent d'employer, pour ne pas donner l'impression de céder à une mode tout en affirmant que «le contenu, tout le monde en fait et depuis longtemps». Ce qui n'est pas faux!
«Le contenu de marque consiste à s'émanciper du produit et de la communication commerciale et publicitaire pour les resituer dans un ensemble culturel plus global et ainsi transmettre une expérience qui apporte un bénéfice en soi, esthétique, informatif, utile ou divertissant», résume Daniel Bô, fondateur de l'institut Quali Quanti et du site veillebrandcontent.fr.
On a l'habitude de considérer que l'honneur d'avoir lancé l'une des premières opérations de «brand content» revient aux pneumatiques Michelin avec le lancement en 1900 des Guides Michelin dont l'idée de «faire user des pneus» en proposant une sélection rigoureuse d'hôtels et restaurants a fait chemin, devenue aujourd'hui une activité à part entière.
Dans la lignée du Guide Michelin, nombreuses sont les marques qui ont développé des contenus éditoriaux, de Seb et son livre de recettes, dans les années 1960, à l'encyclopédie 100 000 ans de beauté soutenue par la Fondation l'Oréal, éditée chez Gallimard, ou aux City Guides du malletier Louis Vuitton, complétés par l'appli Iphone Amble, qui propose de se créer un carnet de voyage par géolocalisation et de le partager.
Mais le «brand content» ne se résume plus au contenu éditorial et autres consumer magazines. Il englobe désormais des genres et des modes d'expression très variés, notamment audiovisuels et digitaux: programme court sponsorisé, documentaire, émission TV, fiction, film, webséries, site éditorial, site de services, réseau social de service de divertissement ou utilitaire, événement, radio, programmation musicale… «L'engouement pour le brand content correspond à de nouveaux besoins induits par la révolution digitale, souligne Aurélie Boué, co-directrice de BETC Content. Après l'équipement en sites Web puis la création de profil Facebook, les marques ont réalisé qu'elles devaient alimenter ceux-ci sur la durée avec du contenu.» Mais pas n'importe lequel.
L'ancienne présidente de l'agence de communication éditoriale Tagaro DDB retient quatre critères pour qualifier le brand content, façon de défendre son métier face à la concurrence: le brand content doit être conçu en cohérence avec la stratégie de marque pour qu'on le lui réattribue; correspondre à une idée créative forte, innovante et inédite («la captation vidéo d'un défilé de mode et sa diffusion en ligne n'est pas du brand content s'il n'y pas de scénarisation du contenu», affirme-t-elle); être de qualité dans sa production; être soumis à une mesure de l'audience et de l'impact générés.
«Face au consom'acteur qui reçoit les messages, les juge et les répercute, les marques ne peuvent plus tenir un discours condescendant, ajoute Anne-Cécile Ladegaillerie, directrice générale d'Havas Productions for brands. Elles doivent regagner de la légitimité et de l'intérêt auprès de leur audience en développant d'autres objets de communication plus appropriables, plus conversationnels, plus “expérientiels” et engageants.»
Philippe Massaut, directeur général de l'agence éditoriale Verbe (Publicis Consultant) abonde en ce sens: «Face à la standardisation des produits et des prix, les marques doivent raconter des histoires qui favorisent la préférence et la recommandation. Le brand content, c'est une mécanique de prise de parole des marques qui permet de créer de l'engagement avec ses publics via une démarche d'information, de service, de divertissement ou de pédagogie, sans mettre en avant le produit.»
Le contenu est devenu un marché frénétiquement concurrentiel. Bon nombre d'acteurs cherchant des relais de croissance s'y sont engouffrés, des agences médias aux éditeurs de presse, à l'instar de Prisma Publishing, aux sociétés de production audiovisuelle comme Telfrance, producteur des Maternelles, qui vient de créer Family Brand Content, un label de communication éditoriale et d'événement.
Historiquement, les agences de communication éditoriale avaient la main sur la production de contenus pour les marques. «Tout le contenu ne nous appartient plus, reconnaît Laurence Vignon, vice-présidente de Textuel-La Mine. Mais la question posée, c'est le modèle d'agence qui produit le contenu. Chez Textuel, nous sommes 150 personnes et, depuis trente ans, nous traitons toutes les problématiques de communication des marques à travers le prisme de l'histoire éditoriale à raconter.»
«Nous avons une approche journalistique du contenu de marque», complète Marion Combaluzier, directrice générale. «La légitimité des agences éditoriales est plus grande, car on est sur le long terme, le contenu est un moyen privilégié de tisser des liens et un puissant levier de valeur», renchérit Philippe Massaut, patron de Verbe.
Face à la demande de contenu pour le Web, les agences médias ont lancé à leur tour des offres de brand content ad hoc: OMG avec Fuse, sur deux socles, «l'information, et le divertissement», d'après son directeur, Olivier Radanne; Vivaki/Publicis avec Newcast, qui se développe dans l'entertainement, du jeu vidéo au cinéma (rachat de l'agence de placement de produits Casablancas) et à la musique avec Music Lab; My Media avec Stratco; KR Media (Group M) avec Cubing et Arthur Schlovsky, et Aegis Media avec feu Blue AM.
Un marché encore balbutiant: trois ans après sa création, on ne sait ce qui va advenir d'Arthur Schlovsky, totalement incarné par ses deux fondateurs, Hugues Cholez et Franck Botbol, partis codiriger TBWA 365 en septembre dernier, alors que Blue AM – après la réalisation remarquée du documentaire Les Bleus pour Adidas – a bel et bien jeté l'éponge.
Volontariste pour structurer cette discipline récente, l'Udecam (union des agences média) a créé en 2010 une commission brand content présidée par Thomas Jamet, directeur général de Newcast, qui a défini le brand content selon quatres critères: pertinence de l'idée, qualité de la production, efficacité de la distribution media, et capacité à générer de la résonnance gratuite («earned media»).
«Les agences médias ont pris la main sur le brand content car, pour les agences publicitaires, ce contenu hors format et lié au digital n'avait pas de modèle économique, explique Hugues Cholez. Les agences médias ont saisi l'opportunité d'aller sur la création. En tant qu'acheteur d'espace publicitaire, elles avaient un atout majeur, leur relation privilégiée avec les régies médias et donc leur pouvoir de négocier de la visibilité pour des contenus hors loi Sapin.» Car un contenu qui n'est pas diffusé n'existe pas!
«Si elles ont le levier médias, les agences médias ne maîtrisent pas la stratégie de la marque, qui est aux mains des agences de création, ajoute Hugues Cholez pour justifier son arrivée chez le pure player digital TBWA 365. Pour nous, le brand content, c'est du divertissement digital, donc il y a une forte proximité ADN avec la création publicitaire.» BETC a aussi décidé à la rentrée dernière de «marketer» une offre éditoriale avec BETC Content, codirigée par Aurélie Boué, ex-Tagaro DDB, et Antoine Robin, patron d'Havas Production.
De leur côté, les agences digitales soucieuses de remonter sur la stratégie construisent aussi une expertise contenu au nom de leur «gestion de l'éco-système digital». À l'instar de Nurun, qui a créé un pôle dirigé par Olivier Binisti depuis trois ans et produit les contenus des sites de la Redoute, Bledina ou Tag Heuer.
Les sociétés de production audiovisuelle – Endemol, Capa, Élephant & Cie – ont également un pôle marques. Dans ce paysage, Havas Production for Brands se distingue par sa double culture marque et programme TV, grâce à son ancrage dans Havas Production, qui produit des documentaires pour Envoyé Spécial et Capital et du divertissement.
De nouveaux entrants émergent, comme Brandcasterz, créée en 2009, qui se définit comme une agence de communication cross-media spécialisée en marketing de contenu. Brandcastgerz travaille en direct ou en prestation et vient de réaliser la websérie Les Geeks pour Samsung. «Chez nous, le brand content, c'est de la production audiovisuelle qui doit être envisagée comme un levier marketing et être intégrée très en amont. Pas comme la cerise sur le gâteau», soutient Florian Pittion-Rossillon, cofondateur.
Ce n'est pas Antoine Robin qui le contredira. Le patron d'Havas Production se bat contre la frilosité des annonceurs et déplore la législation française, qui définit strictement la place des marques dans un programme TV. On lui doit l'émission pour son client Peugeot En route pour Roland Garros, diffusée sur France 2 en juin, traduite en 13 langues et vendue dans 23 pays, dans laquelle les figures du tennis mondial se laissaient interroger au sortir de leur hôtel dans une Peugeot qui les conduisait au stade. Et aussi le documentaire sur les «Baby rollers» d'Evian, un 52 minutes vendu dans 27 pays sur des chaînes publiques et diffusé en France sur Vivolta.
«Nous sommes dans une période d'évangélisation, explique-t-il. Le brand content audiovisuel, c'est du temps long, car il ne fait pas la promotion directe d'un produit mais travaille sur un territoire de marque et des valeurs qui s'oppose à une logique “ROIste” immédiate. Les annonceurs savent que les consommateurs attendent plus qu'un discours publicitaire, mais, en temps de crise, difficile de leur faire payer des honoraires éditoriaux et une webfiction (entre 300 000 et 500 000 euros) qui ne correspondent pas à leur schéma habituel d'achat média.» Le brand content confronté au principe de réalité!