Dossier Santé
Confrontée à des crises à répétition, dont l'affaire du Mediator n'est que le dernier avatar, l'industrie pharmaceutique est contrainte de réviser en profondeur ses méthodes marketing et sa manière de communiquer.

«L'affaire du Mediator est une véritable déflagration dans le secteur. Elle remet en question la crédibilité de l'ensemble de la chaîne du système de santé: les laboratoires, mais aussi les organismes d'évaluation, les experts et les professionnels de santé», reconnaît Christian Lajoux, président du Leem (Les Entreprises du médicament), le syndicat de l'industrie pharmaceutique, et par ailleurs président de Sanofi-Aventis France. De fait, les enquêtes et procédures judiciaires sur le médicament antidiabète des laboratoires Servier, suspecté d'avoir provoqué la mort de 1000 à 2000 personnes en France, pointent du doigt des responsabilités à tous les échelons.

Mais ce sont bien les laboratoires qui sont en première ligne sur ce dossier. Une mise en accusation qui ne fait que renforcer la défiance à leur égard. Car les affaires n'ont cessé de se succéder ces dernières années: du scandale du Vioxx au tournant des années 2000 à la gestion de la grippe H1N1 l'hiver dernier, en passant par le désastreux procès de Pretoria de 2001 sur le prix des médicaments dans les pays en développement. Sans oublier l'intense lobbying prêté aux grandes firmes pharmaceutiques. Elles y consacreraient 200 000 à 800 000 euros par an, hors cabinets spécialisés dont les contrats tournent en moyenne à 1 million d'euros, selon une enquête publiée dans La Tribune le 4 février.

Le rachat en octobre par Publicis du cabinet-conseil en stratégie de François Sarkozy, spécialisé dans la santé, témoigne de l'importance, dans ce secteur étatisé, d'une bonne maîtrise des relations avec les pouvoirs administratifs et politiques. «L'image de l'industrie s'est dégradée ces dernières années, au point d'approcher celles des banques et des pétroliers, constate Michel Nakache, président d'Euro RSCG Life. Il y a vingt ans, Merck était l'entreprise préférée des jeunes diplômés. Les "Merck principles" étaient même à l'époque une référence marketing.»

Marché singulier

Les acteurs de ce secteur très rentable ont bien du mal à se remettre en cause. «Il existe une distorsion entre la valeur perçue du marché et sa valeur réelle. Mais il est vrai que nous n'avons jamais su expliquer le métier que nous faisons. En tout cas, nous l'avons mieux fait auprès des actionnaires qu'à l'adresse des patients», avoue Alain Clergeot, président de la filiale française du laboratoire japonais Chugai France. La spécificité du marché du médicament en France n'est pas étrangère à ce constat: non seulement l'utilisateur (le patient) ne choisit pas les produits (les médicaments sont prescrits par le médecin), mais de plus il ne les paie pas ou seulement partiellement (Sécurité sociale). «Dans un tel système mutualisé, il est mal perçu de faire des bénéfices, du moins pour les laboratoires. Car la question ne se posant pas pour les médecins et les pharmaciens», observe Patrick Errard, PDG du laboratoire Astellas Pharma et vice-président du Leem.

À cette singularité du marché français s'ajoute le débat sur l'innovation. «Du fait des avancées de la science, les progrès sont désormais moins spectaculaires», explique Patrick Errard. Et il est bien plus difficile de communiquer sur le «bien vieillir» que sur l'éradication d'une maladie planétaire. «Mais ceci n'est que transitoire, assure Christian Lajoux du Leem. Des solutions nouvelles apparaîtront d'ici à cinq ans. La révolution scientifique sera telle que la lecture que nous avons aujourd'hui des maladies aura radicalement changé. Il nous faudra rénover nos modèles de recherche et de production.» Une nécessité, de toute façon, face à l'essor des génériques: quand un princeps (médicament original) est «génériqué», son chiffre d'affaires chute en général de 75% en un an. 

En attendant, comme le rappelle cruellement l'affaire du Mediator, les laboratoires pâtissent de ne pas avoir suffisamment travaillé leur image corporate. Ils ont surtout privilégié leur communication financière à la suite de fusions en chaîne, au détriment des relations avec leurs différentes parties prenantes, dont leurs propres salariés. En témoigne le récent exemple de Lilly, largement repris dans les médias. L'un des cadres du groupe a pris l'initiative de plagier une publicité interdite d'Orangina présentant une femme déguisée en panthère (le visiteur médical) fouettant un homme apeuré (le médecin) dans une mise en scène sado-masochiste, en criant «Tu vas prescrire, tu vas prescrire!» –avec sur l'écran le logo du médicament Zypadhera de Lilly, contre la schizophrénie.

Culture commerciale

De fait, les laboratoires n'ont pas vraiment une culture de la communication. «Exception faite de la Semaine du médicament [manifestation annuelle grand public menée depuis quatre ans], le Leem est plutôt discret. Il n'y pas de prise de parole collective forte», regrette Alain Sivan, président de TBWA Worldhealth France. «Je ne crois pas à ces communications incantatoires, rétorque Christian Lajoux, président du Leem. Nous menons de nombreux débats interactifs sur notre site et travaillons avec des groupes de parties prenantes depuis trois ou quatre ans. Ceux qui estiment que le Leem n'est pas assez actif se baladent avec une canne blanche

L'effort est certes louable, mais les faits sont là: les laboratoires ont avant tout une culture commerciale. Les énormes budgets consacrés à la visite médicale en témoignent: chacun des quelque 20 000 visiteurs médicaux en activité coûte en moyenne 110 000 euros par an. Mais leur retour sur investissement est, il est vrai, autrement plus facile à mesurer que celui d'une campagne corporate.

Toutefois, sur ce sujet aussi, les mentalités évoluent: «Le fait d'avoir privilégié pendant trente ans un marketing de masse, sur un marché qui a toujours été basé sur une relation individualisée, notamment avec le médecin, a contribué à la mauvaise image de cette industrie», analyse Christian Lajoux, qui souhaite remettre le patient au cœur du processus. Une révolution en matière de communication qui sera d'autant plus difficile à mener que l'actuelle crise de défiance devrait accentuer les contraintes réglementaires sur un marché déjà très encadré.

Les laboratoires ont-ils vraiment le choix? L'exigence de transparence s'inscrit dans un mouvement de fond qui ne touche pas seulement l'industrie pharmaceutique. Ce qui inquiète le plus nombre d'acteurs du marché est la défiance croissante du public vis-à-vis du médicament. La diffusion par les autorités publiques de santé, le 1er février, d'une liste de 77 médicaments sous surveillance renforcée a créé un malaise. «Dans cette liste, de nombreux médicaments, notamment des antibiotiques, traitent de pathologies chroniques majeures. Du coup, certains patients ne veulent plus les prendre», s'inquiète Alain Sivan, de TBWA Worldhealth, qui milite pour une prise de parole collective de l'industrie afin de mettre en avant la question de la balance risques-avantages de tout médicament.

Former les professionnels, éduquer les patients

«L'innovation, l'efficacité thérapeutique et son coût, l'attractivité de la France et la déontologie professionnelle doivent être nos priorités en termes de communication», lance Patrick Errard, vice-président du Leem. En attendant, les laboratoires ont déjà saisi quelques occasions. À commencer par les campagnes de sensibilisation à certaines pathologies («disease awareness» en anglais). Communiquer sur ses produits auprès du grand public étant interdit, l'industrie s'est engouffrée ces dix dernières années dans des campagnes d'information, comme Sanofi Aventis sur le diabète («Under 7») ou les vaccins (exposition Epidemik à La Villette).

Autre piste: la formation médicale continue (FMC). «La loi sur le sujet votée en 1974 n'ayant toujours pas de décret d'application, les laboratoires ont depuis longtemps pris la relève, en récupérant au passage le sigle FMC pour organiser des congrès et des symposiums. Ceux-ci représentent aujourd'hui un très gros poste d'investissement», constate Hervé Bonnaud, président de l'agence Nex & Com.

Enfin, le développement depuis cinq ou six ans de l'éducation thérapeutique du patient, destinée à permettre de gérer au mieux sa propre maladie, est également l'occasion pour les laboratoires d'investir un nouveau champ de communication (par exemple le site Diabeteetados.fr de Roche).

Alors que le nombre de visiteurs médicaux ne cesse de baisser (18 000, voire 12 000 d'ici à 2015 selon Eurostaf), les solutions d'e-learning (téléformation) et d'e-detailing (vente à distance), mais aussi les «webinars» (séminaires en ligne) font florès. Sur le Web, les patients sont aussi en ligne de mire. «La santé est le premier sujet recherché sur le Net. La présence des laboratoires y est donc nécessaire. Or, la législation française leur interdit, contrairement à leurs concurrents étrangers, de communiquer en ligne sur leurs propres médicaments», se plaint Alain Clergeot.

Mais, au-delà d'une indispensable veille quant à leur réputation, les laboratoires essaient tout de même, dans le cadre de la loi, de développer des échanges avec les patients sur le Web, via notamment des sites ou des blogs comme Polyarthrite 2.0  (Roche et Chugai) et Ma santé en main (GSK) ou par le biais de communautés de patients. Celles-ci commencent juste à apparaître en France, avec le tout prochain réseau social Carenity.com qui s'inspire de son homologue américain Patientlikeme.com. «L'industrie pharmaceutique, qui en est trop longtemps restée à l'ère de la réclame, doit privilégier le contenu et se présenter en expert de la médico-économie. De nouvelles exigences s'imposent à elle. Elle a besoin de cadres et de contre-pouvoirs», conclut Christian Lajoux du Leem. 

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