Le chiffre de l’inflation invite à des ajustements salariaux. Et le sujet se révèle être un vrai casse-tête pour les dirigeants qui cherchent à aider leurs collaborateurs à faire face sans mettre en péril leur entreprise.
L’intersyndicale des entreprises des télécoms a fait le calcul : entre l’inflation de 2022, et celle attendue en 2023, les salariés de la branche pourraient perdre entre 8 et 10 points de pouvoir d’achat, malgré la proposition de leur syndicat patronal (HumApp Télécom) d’augmenter les salaires de 3,5 % minimum pour les effectifs les plus représentatifs. « La CFDT, la CFE-CGC, FO, la CGT et la CFTC ne peuvent pas accepter que les entreprises de ce secteur, pourtant profitables et relativement épargnées tant par la crise covid que par les effets de l’inflation, puissent profiter de la situation pour ne pas maintenir le pouvoir d’achat des travailleurs de ce secteur », écrit l’intersyndicale le 25 janvier.
Que dire alors des entreprises moins profitables ou plus affectées par la crise post-covid ? À 5,9 % en décembre 2022, selon l’Insee, l’inflation est souvent très difficile à compenser intégralement, et le risque est donc l’appauvrissement des salariés. Selon Walters People 2023, 68 % des salariés prévoient d’appuyer leur demande de hausse de salaire sur ce taux. Et 69 % envisagent de changer d’entreprise en cas de désaccord. « Le sujet est sensible, témoigne Étienne Demouy, directeur général de JBL Com & Cie, président de Place de la communication, réseau de professionnels de la communication du marketing et du digital des Hauts-de-France. Les augmentations vont être de 5 % à 6 %, dans le secteur, pour couvrir ou neutraliser l’inflation. Mais, on en parle peu… ou après. Cela reste confidentiel. »
Quid du digital ? Les bonds de 10 % à 20 %, selon les postes, ne sont pas légion. Aussi, les dirigeants explorent toutes les autres pistes en matière de rémunération, quitte à créer un package confus. « On est obligé de faire preuve de créativité dans le management, explique Wajdi Hadj Ameur, codirigeant de l’agence La Jungle, spécialisée dans la conception de solutions digitales. On essaie de faire des choses. Mais, l’inflation n’est pas le seul moteur. Une agence sans ses salariés n’est rien. Il faut savoir les garder. » Toutefois, gare aux usines à gaz. « Certains avantages sociaux sont complexes à administrer, note Khalil Ait-Mouloud, directeur de l’activité enquêtes de rémunération chez WTW, société de conseil en assurance. C’est un vrai jeu d’équilibriste, entre politique sociale, expérience salarié et la formation. Le nombre importe moins que leurs niveaux. »
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Première alternative à la hausse salariale, la prime de partage de la valeur. Créée en août 2022, sa notoriété reste encore limitée. Elle a remplacé la « prime Macron ». Facultative, elle est liée au contrat de travail. Son montant peut atteindre 3 000 euros par an, pour une entreprise de moins de 50 salariés. Au-delà, le montant peut être multiplié par deux. Elle est exonérée de charges salariales et patronales. Le dispositif est pérenne.
Vient ensuite l’actionnariat salarié, même si le partage de la valeur à travers des actions vise à favoriser l’engagement des salariés « C’est un peu une surprise, reconnaît Jean-Philippe Debas, président d’Equalis Capital, cabinet spécialisé auprès des PME-ETI, c’est la première fois qu’on en parle comme d’une source supplémentaire pour rémunérer le travail. Or, ce rôle est dévolu normalement au salaire. L’intérêt de l’opération : la perte entre le montant de départ et la somme perçue par le salarié est de 20 %. » Moins de 4 % des ETI non cotées l’ont adopté. Mais la formule a le vent en poupe. Vingt nouveaux dossiers ont été confiés à Jean-Philippe Debas en 2022, un de plus tout début janvier 2023. Jusqu’à 100 salariés, s’adresser à son expert-comptable reste la meilleure solution.
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On peut jouer aussi sur la fréquence des augmentations. « Comme pour le Smic qui a été réévalué trois fois en un an, le rythme de progression salariale devra être accéléré, au moins deux fois par an, explique Coralie Rachet, directrice générale France chez Walters People, cabinet expert du recrutement. À défaut, si le décalage est trop grand avec les attentes, les collaborateurs sont prêts à changer. » Il est aussi possible de rehausser la part patronale dans les frais d’adhésion à la mutuelle. Le taux plancher est de 50 % minimum. Des accords de branche peuvent le relever. La prime de cooptation peut également être majorée. À Eurecia, entreprise de solutions RH, la prime est passée de 600 à 5 000 euros brut « On aurait dû payer un cabinet de chasse extérieur, indique Marianne Cordray, DRH, donc à un tiers. Autant en faire profiter nos collaborateurs. » Le taux de transformation a progressé de 25 %.
Mais le plus attendu, hors salaire, est probablement l’épargne salariale. L’édition 2023 de la semaine dédiée, du 27 au 31 mars, connaîtra sans doute un vif succès. À peine 53 % des salariés du secteur privé disposent d’une épargne salariale. La marge de progression est donc grande, tout particulièrement dans les entreprises de moins de dix salariés. Mais, cette épargne est bloquée cinq ou neuf ans, selon le produit. Il s’agit d’un outil d’investissement. Pas conjoncturel.
Enfin, la réforme des retraites s’invite dans le débat. Selon l’étude Workmonitor de Randstad, l’inflation se révèle être une alliée de taille pour le gouvernement. Près d’un tiers (30 %) des baby-boomers en France retardent, en effet, leur départ à la retraite en raison de leur situation financière (26 % au niveau mondial). Si l’an passé, 61 % des répondants pensaient prendre leur retraite avant 65 ans, ils ne sont plus que la moitié aujourd’hui. Par peur d’un pouvoir d’achat trop dégradé.
Le contexte économique a-t-il dopé votre activité ?
Quand, il y a quelques mois ou années, il fallait douze prospects pour une signature, aujourd’hui, le rapport est de quatre pour un. Le chiffre d’affaires de l’année 2022 est en progression de 40 %. Offrir des avantages d’un comité d’entreprise, même quand on est une petite entreprise, constitue une forme de rémunération indirecte. C’est s’atteler au pouvoir d’achat sous un autre angle, ou comment enrichir le package, avec des tickets-restaurants, des abonnements culturels, sportifs, des chèques vacances… Ne rien faire pour les équipes n’est pas possible aujourd’hui.
Combien d’entreprises travaillent avec WiiSmile ?
On compte pas moins de 100 000 bénéficiaires, et 8 500 entreprises. Une piste intéressante pour des sociétés, non pas dans le rouge, mais dans l’orange, les yeux rivés sur leurs charges, par exemple. Mais, l’inflation n’est pour rien dans la création de WiiSmile. Notre société a plus de 20 ans. Il y avait une injustice à combler, avec une question en tête : suis-je un salarié moins méritant dans une TPE ? Et, en 2023, avec un marché de l’emploi difficile, « avoir tout d’une grande » - pour reprendre un slogan publicitaire - permet de gagner des points, de travailler son attractivité.
Et les entreprises partenaires sont-elles généreuses ?
Avec un comité d’entreprise, la moyenne des budgets pour les œuvres sociales oscille entre 0,8 % et 1 % de la masse salariale (là, où l’obligation légale la fixe à 0,2 %), soit entre 250 et 300 euros par an et par salarié. Avec les TPE, le budget moyen atteint le double. La générosité s’exprime plus, quand on n’est pas sous contrainte.