Trouver et fidéliser un profil digital : la mission relève de la gageure. Selon Numeum, la structure réunissant depuis juin le Syntec numérique et Tech In France, une offre d’emploi de développe suscite actuellement 0,4 candidature en moyenne… « Tous secteurs confondus, sur les cinq prochaines années, les offres d'emploi devraient atteindre un volume de 500 000, précise Soumia Malinbaum, présidente de la commission emploi-formation de Numeum. L'ensemble des secteurs se numérisent et se mettent donc à internaliser des profils comme ceux que recrutent les entreprises du numérique. » La responsable estime que cette pénurie structurelle va probablement s'aggraver du fait des comportements des nouveaux candidats : « Les jeunes générations ne sont plus dans une perspective de carrières longues dans une seule et même entreprise. Cela rend le marché plus fluide et pose aussi la question de la fidélisation des talents, qui sont aussi attirés par l'international. »
Recrutement long
La situation est telle que même les start-up doivent redoubler d’efforts. WeWard, qui diffuse une application dédiée à la marche, compte aujourd’hui seize salariés et dix postes ouverts. Le recrutement est d’autant plus long qu’à l’instar de ses concurrentes, ce sont les candidats disposant d’au moins deux ou trois ans d’expérience qui sont recherchés. « Avec un profil sans expérience, il est très difficile de déterminer si la personne aura le niveau de performance attendu, explique Yves Benchimol, cofondateur de la start-up. Combien de temps lui faudra-t-il pour acquérir les compétences nécessaires pour remplir sa mission ? C’est une question difficile et un entretien de recrutement ne permet pas d’y répondre. »
Pour réduire cette pénurie ou atténuer ses effets, encore faut-il disposer d’une stratégie. Pour Tiphaine Du Plessis, présidente de BETC Fullsix Agency, les recruteurs doivent s’interroger sur les attentes des candidats. Parmi leurs priorités, figure le besoin de sens : « Ils veulent savoir ce qu'ils feront avec nous, ce qu'ils vont nous apporter et ce que nous – eux et nous – apporteront à la société. Il faut que nous soyons très vigilants sur cet aspect car il y a parfois un discours stigmatisant qui peut faire de la communication le bras armé du capitalisme qui pousse à la surconsommation et au dérèglement du monde », prévient la présidente.
Soif de connaissance et désir d'autonomie
Autres éléments majeurs à garder à l’esprit : la soif de connaissance des nouvelles recrues et leur désir d’autonomie. Sous ces deux angles, les agences ont des atouts à faire valoir, souligne Tiphaine Du Plessis : « Vis-à-vis des PME, nous avons un avantage : les agences disposent d'une plus grande diversité de métiers et de sujets à traiter. Mais il y a aussi l'enjeu de l'autonomie. Chez BETC Fullsix, nous avons un programme - BETC Fullsprint - qui donne l'opportunité à nos talents de développer un projet qui sera ensuite incubé et financé par l'agence. » La dirigeante reconnaît que les PME peuvent aussi proposer des opportunités similaires, d’où un nécessaire investissement : « Nous devons offrir un cadre qui offre ces opportunités de développement, d'autonomie pour rester attractifs par rapport aux PME. »
Pour les années à venir, la recherche de profils digitaux risque de mobiliser encore intensément tous les acteurs de la place, estime Lionel Curt, président de la délégation « Digital » de l’AACC : « Cette tension dans le recrutement ne va pas s'arrêter d’autant que les bouleversements digitaux actuels sont énormes : métavers, NFT, RA et RV. » Une dynamique qui aura un « corollaire » assez clair : « Toutes les parties prenantes doivent accepter de mieux valoriser ces métiers », estime Lionel Curt.
Aller vers les écoles d'ingénieurs
Mis au pied du mur, les acteurs en quête de talents digitaux n’ont pas manqué de lancer des initiatives. Déployé il y a six ans par Syntec Numérique, le programme Numéric’ Emploi Grand Est a réuni tous les acteurs concernés : Pôle Emploi, le conseil régional, mais aussi les entreprises qui participent à l'identification des candidats, à leur évaluation et offrent aussi des périodes d'immersion. Formant en moyenne chaque année 250 personnes avec des parcours allant de trois mois (400 heures) à 12 ou 18 mois, ce programme a montré son efficacité, estime Soumia Malinbaum : « Parmi les personnes qui l'ont suivi, le taux de retour à l'emploi a augmenté de 55 % la première année à 80 % la dernière année. » Numeum prévoit un déploiement à d’autres régions à partir de 2022.
L’AACC n’est pas en reste. La « place de rencontre » Beyond Talent lancée en 2019 a pour mission de faire découvrir et d'expliquer la diversité des métiers des agences de communication. Parmi les actions réalisées figurent 9 masterclass et la diffusion de 14 podcasts. « En moyenne, le site reçoit entre 30 000 et 50 000 visiteurs par mois », précise Lionel Curt. L’ambition du programme va s’étendre au-delà des parcours de formation directement liés à la filière, ajoute-t-il : « Les écoles d'ingénieurs peuvent fournir des talents, tout comme les écoles de management. En 2022, nous allons inviter les dirigeants d'agences membres de l'AACC à présenter nos métiers dans ce type d'écoles. C'est nécessaire car nos structures, qui sont essentiellement dans une relation B to B, sont finalement peu connues des jeunes générations. » Les diplômés, terre de mission pour les agences de communication ? Le scénario est pour le moins inattendu.
« Une palette de métiers très large »
Lionel Curt, président de la délégation « Digital » de l’AACC
« Je ne sais pas si on peut parler de pénurie [des profils du digital] mais il y a un rebond qui produit une sorte de frénésie autour du recrutement des profils digitaux. Sûrement amplifié par le fait qu'il y a quelques mois, certaines agences ont été contraintes de se séparer de collaborateurs et qu’aujourd'hui, elles doivent recruter rapidement dans un marché où les demandes des clients sont de plus en plus en "juste à temps". Jusqu'en 2010, le digital était presque exclusivement associé à des notions techniques. Aujourd'hui, au sein des agences digitales, la palette métiers est très large et ce sont avant tout des métiers de marketing communication, des profils hybrides, qui ont à la fois une culture digitale et une culture de conseil. Les social media strategists, par exemple, ont rarement fait des études techniques, mais sont considérés comme faisant partie du "digital". Au sein de cette diversité, nous observons un phénomène significatif pour certains métiers, en particulier les plus techniques, qui choisissent l'indépendance souvent pour pouvoir vivre en dehors des grandes villes et avec la quasi-certitude d'avoir du travail. À cela s'ajoute une concurrence accrue dans le recrutement entre agences, start-up, grandes entreprises... dont les périmètres métiers évoluent en permanence. Par exemple, les start-up sont des acteurs qui doivent souvent aller vite et sont prêts à investir fortement pour maximiser leurs chances de réussite car ils sont soumis à une contrainte de timing. Sous cette contrainte, elles peuvent proposer des niveaux de rémunération plus élevés. »