À RTE [Réseau de Transport d'électricité], une entreprise de 8500 salariés, l’indemnité kilométrique vélo est en place depuis juillet 2016. Même si elle ne concerne que 6 % des effectifs, Nathalie Devulder, directrice RSE du groupe, ne manque jamais de rappeler que ses cyclistes cumulent « 450 000 kilomètres, soit onze fois le tour de la Terre et trois fois la moyenne nationale des salariés (2 %) ». Dans cette entreprise pionnière de la bicyclette sur les trajets domicile-travail, les arceaux pour garer son deux-roues font partie des critères de sélection du site de la Défense où sont présents les 2100 collaborateurs du siège. On y trouve un atelier de réparation collectif, qui favorise vivre ensemble et lien social, et « une communauté de cyclistes très militante ». Cela n’a pas échappé aux RH du groupe qui ont inséré le vélo dans un plan inter-entreprises pour encourager les transports en commun, les mobilités douces et le covoiturage : tout faire pour offrir une alternative à la voiture individuelle.
Des salariés moins stressés
L’avantage n’est pas seulement pour la planète. La responsable décrit des salariés « plus dispos, moins stressés ». Et le forfait de 420 euros par an accordé pour entretenir son vélo ou investir dans l’électrique revient à peine plus cher que le remboursement de la moitié de la carte Navigo sur onze mois. « Les bénéfices sont plus nombreux à coût égal », souligne-t-elle. Reste à vaincre une réticence ultime : « Pendant longtemps, le vélo était vu comme quelque chose de dangereux, rappelle-t-elle. On est passé du tabou, qui consistait à ne pas en parler, à la meilleure façon de l’encourager et l’accompagner. »
Les chiffres montrent en effet que si les usages se sont multipliés, le nombre d’accidents s’est stabilisé depuis le début des années 2000. Le mérite en revient autant aux efforts de signalisation et de protection entrepris par les cyclistes eux-mêmes qu’aux aménagements de pistes cyclables. Dans la foulée de l’annonce du gouvernement d’un « Plan vélo », en septembre, un projet de loi Mobilités, présenté le 26 novembre, prévoit de doter de 350 millions d’euros sur sept ans un fonds destiné à soutenir la construction de pistes sur les trajets domicile-travail ou des parkings sécurisés ainsi que la mise en place d’un forfait mobilité durable allant jusqu’à 400 euros par cycliste - sous forme de réduction d'impôt.
Déclaration sur l'honneur
À Orange, le vélo s’intègre aussi dans la démarche RSE, dans l’objectif d’améliorer la qualité de vie au travail. Au printemps dernier, un plan de mobilité nationale a unifié les neuf accords régionaux afin d’accompagner les salariés en favorisant les transports dits doux ou publics. À côté d’une flotte de 3200 véhicules qui peut être utilisée en auto-partage pour rentrer chez soi ou d’un partenariat avec Klaxit, l’accompagnement des cyclistes se traduit par une subvention de 200 euros pour l’achat d’un vélo. Ce à quoi s’ajoute le remboursement du même montant à condition de faire 800 kilomètres par an. Mais, au fait, comment s’assure-t-on que l’employé pédale et ne dérape pas ? « C’est un mécanisme de déclaration sans trop de contrôle, reconnaît Jean-Paul Portron, DRH des services partagés d’Orange. Nous encourageons la responsabilité des salariés avec une déclaration sur l’honneur ». Depuis la mi-octobre, l’accord est effectif et, après quinze jours, 500 salariés ont déjà envoyé leur demande de remboursement. « Nous pensons atteindre 5000 salariés cyclistes, soit 6 % des effectifs. C’est moins que les pays nordiques et nous serons très heureux si nous atteignons les 9 %, ajoute le responsable. En accompagnant ainsi les salariés – et nous subventionnons aussi la trottinette électrique -, nous participons à la réduction de l’absentéisme ».
Challenges inter-entreprises
Bon pour le moral de l’employé et de l’employeur, le vélo permet aussi de dresser un bilan RSE plus présentable. Au Crédit agricole Normandie comme au Crédit mutuel Arkéa, on mesure son bilan carbone et l’on constate que les déplacements – à 80 % domicile-travail - constituent le premier poste de production de gaz à effet de serre. D’où l’idée d’Anne Katell-Quentric, responsable RSE d’Arkéa, d’inciter financièrement à la baisse du bilan carbone, actuellement de 6,2 tonnes par équivalent temps plein. « Un des critères de l’intéressement collectif pour 70 % des salariés est le bilan carbone », précise-t-elle. L’entreprise y contribue en encourageant le covoiturage mais aussi la bicyclette, qu’elle rembourse en IKV [indemnité kilométrique vélo] dans la limite de 220 euros depuis deux ans. Elle participe aussi à des challenges inter-entreprises comme « Au boulot à vélo » à Brest ou à Strasbourg où des dizaines de collaborateurs cumulent les kilomètres sur quinze jours.
Si Arkéa n’a pour l’instant convaincu qu’une centaine de salariés de passer au vélo, soit 1 % de ses effectifs, la banque expérimente le vélo électrique comme moyen de déplacement dans une de ses filiales. LCL, qui s’est engagée dans le crédit à taux zéro auprès de 15 000 clients achetant un vélo électrique, a mis en place une flotte d’une quinzaine de ces deux roues sur trois agences, à Paris, Bordeaux et Grenoble. Enfin, à Decathlon, les collaborateurs ont droit à un quart de réduction sur le prix d’un vélo affiché à la vente. « Avec divers blocages de nos magasins dus aux gilets jaunes, on survit dans la crise ambiante grâce à nos ventes de vélos, et notamment électriques », sourit Xavier Rivoire, son directeur de la communication humaine et du recrutement.
Avis d'expert
« Des messages contradictoires entre RSE et RH »
Olivier Schneider, président de la Fédération française des usagers de la bicyclette
Y-a-t-il un effort réel des entreprises en faveur du vélo ?
Il y a une minorité, de plus en plus grande, qui y est très sensible. J’étais par exemple au Bon Coin pour parler de lutte contre le vol de vélo. Ses salariés étaient très intéressés. À Paris, cela marche mieux, mais dans la majorité des entreprises, les DRH ont peur de l’accident et du collègue qui manque. Il y a quelques années, le vélo relevait de l’exception. Aujourd’hui, il y a beaucoup de pratiques itinérantes, mais elles sont très loin d’être bien réparties. Et il y a souvent des messages contradictoires avec une RSE à fond pour et les RH qui trouveront cela dangereux.
L’indemnité kilométrique [IK] vélo a-t-elle servi de déclencheur ?
Pour certaines entreprises oui. Il faut maintenant que ce soit cumulable avec le remboursement de la moitié de la carte de transports en commun. L'IK vélo marche beaucoup mieux dans les villes moyennes que dans les grandes villes car il y a moins besoin de remboursement de transports publics. Nous avons besoin d’une offre multimodales pour faire moins de trajets en voiture ou passer à une seule voiture.
Y-a-t-il suffisamment de pistes cyclables sur les trajets domicile-travail ?
Oui et non. On a un kilométrage et une croissance énormes. Mais à la différence des Pays-Bas ou du Danemark, il y a un problème de qualité car ces pistes s’arrêtent brusquement, il n’y a pas de réseau continu. Est-ce que ces bouts vont se coordonner pour faire un réseau cyclable ? J’ai peur que l’infrastructure ne soit pas à la hauteur. Plus il y a de bons aménagements, plus les gens font du vélo. Et ce ne sont pas les 140 ou 150 tués par an qui changeront cela. Le coût social de la sédentarité, c’est 67 milliards d’euros. L’activité physique évite des milliers de morts, fait 15 à 20 % d’arrêts maladie en moins. Les RH feraient mieux de se poser la question des deux-roues motorisés, beaucoup plus dangereux.