Manager au pays des trolls, des dragons et des zombies… l’idée peut sembler saugrenue. Quel rapport peut-il y avoir entre un univers issu de «l’heroic fantasy», du médiéval fantastique, comme la série Game of Thrones (Le Trône de fer), ses personnages étranges, ses mondes irréels, ses guerres de pouvoir… et le monde de l’entreprise? Tim Philips, journaliste, et Rebecca Clare, éditrice dans l’univers des affaires, et fans absolus de la série, ont relevé le défi dans leur ouvrage qui vient d’être traduit en français: Game of Thrones, les stratégies des sept royaumes appliquées à la vie professionnelle (éditions Maxima, mars 2016). Voilà quelques leçons de management issues de leur livre.
Réseauter comme Lord Varys
Varys est surnommé l’Araignée, en raison de l’importance du réseau d’espions qu’il a su tisser dans Game of Thrones. Ses méthodes et ses agents sont bien connus, mais la plupart des gens ignorent l’importance qu’a pris l’espionnage. Cela lui donnera un temps d’avance sur ses rivaux et ce réseau permet, dans la série, à Lord Varys de quitter sa condition d’esclave pour devenir noble.
-> Le lien avec le management est évident: dans un environnent hostile, il est déterminant d'avoir un réseau d'informateurs et de pouvoir s'appuyer sur des alliés. Cela implique de construire et d'entretenir ces relations en temps de paix. Et cela demande un vrai investissement en temps.
Influencer comme Cersei Lannister
Dans la série, les femmes sont souvent cantonnées à des seconds rôles: sceller des alliances par leur mariage ou faire des enfants. Toutes sauf une, Cersei Lannister (Reine, puis régente) qui passe son temps à comploter et à tirer les ficelles. Elle a compris que l’influence pouvait primer sur la détention du pouvoir. Ou comme on dit dans Game of Thrones: «L’influence pousse comme la mauvaise herbe. J’ai patiemment cultivé la mienne pour qu’elle s’étende depuis le Donjon rouge jusque de l’autre côté du monde.»
-> Même si vous n’êtes pas aux commandes de l’entreprise, vous pouvez influencer votre manager. Mais pour que cela fonctionne, il y a quelques préceptes à respecter: utiliser le langage de votre interlocuteur, tenter de voir les choses de son point de vue, et choisir le bon timing pour lui parler.
Devenir un «leader-serviteur» comme Daenerys
Daenerys n’est pas née avec les qualités d’un leader, mais elle a dû affuter ses compétences dans ce domaine. A l’origine jeune fille nerveuse, paresseuse, terrorisée par son époux, ce personnage n’est pas animée par une soif de pouvoir mais par ce qu’elle pense être bénéfique pour son peuple. Elle incarne les idéaux du leader-serviteur, un profil décrit pour la première fois par le chercheur Robert Grenleaf dans les années 1970. Un modèle opposé au «moi d’abord» dans lequel l’objectif du leader est de prendre les commandes.
-> Un «manager serviteur» pense qu’une société fonctionne mieux si le leadership est au service des autres. Cela ne signifie pas une quelconque mollesse. Un leader faible ne saurait défendre son entreprise contre un concurrent, et en interne, un manager qui laisserait ses équipes faire ce que bon leur semble serait à la tête d’une organisation ingérable. Mais le gens sont prêts à soutenir une autorité qui sait se montrer attentive et leur inspire la confiance. Les auteurs citent en exemple Susan Wojcicki: la présidente de You Tube, qui se définit comme la «maman de Google», a su prendre des décisions radicales.
Etre prudent comme Lord Baelish
Dans Game of Thrones, le rythme des saisons est un peu farfelu: on assiste à des périodes imprévisibles et irrégulières en durée qui peuvent être tantôt de longs étés, tantôt d’interminables hivers. De nombreux jeunes n’ont connu que la chaleur de l’été et le calme de la paix, mais les plus âgés se souviennent d’une époque où l’hiver avait duré toute une génération. Lord Baelish se distingue par sa sagesse lorsqu’il avertit le conseil qu’il n’y a pas assez de vivres pour un hiver qui durerait plus de cinq années.
-> La leçon à tirer pour les managers est limpide: mettre à profit les périodes fastes pour faire des réserves et anticiper les revers de fortune. C’est la méthode des scenarii: élaborer la stratégie de l’entreprise en fonction de possibles événements extérieurs imprévisibles. Elle peut être employée via une analyse SWOT: forces (Strengths), faiblesses (Weaknesses), opportunités (Opportunities), menaces (Threats). Une façon de peser sur les événements plutôt que de les subir.
Prendre des décisions difficiles comme Ned Starck
«Tu comprends pourquoi il fallait que je le tue?... Celui qui prononce la sentence doit l’exécuter» Dans la série, Ned Starck explique cela à son plus jeune fils. Dans la série Game of Thrones, les mises à mort sont monnaie courante. Dans l’entreprise, elles prennent une autre forme moins sanglante...
-> Côté management, les leaders sont souvent confrontés à des décisions difficiles, comme sanctionner ou licencier un collaborateur. Comment être ferme sans perdre le soutien de ses équipes? Dans un contexte où l’intérêt collectif de l’entreprise prime sur celui d’un salarié licencié, il faut exécuter la «sentence» soi-même, être clair dans les motifs et penser aux personnes qui restent, en réorganisant le service si besoin, et en officialisant la nouvelle situation lors d’une réunion. On montre ainsi qu'on assume la décision, même si elle a consisté à couper une tête!
Avis d’expert
«La même déconstruction de l'autorité que dans l'entreprise»
Stéphane Hugon, sociologue, chercheur au Centre d'études sur l'actuel et le quotidien
Le parallèle avec le monde de l’entreprise, c’est la remise en question de l’autorité classique ?
Stéphane Hugon. Dans Game of Thrones, il y a un basculement très fort, avec des personnes qui n’acceptent plus la figure du père. Dans l’univers de l’ «heroic fantasy», il y a beaucoup de rapports de force, de remise en question du modèle patriarcal, une déconstruction de l’autorité. A l’instar de ce qui passe dans l’entreprise avec la remise en question de la hiérarchie.
Les séries participent-elles à une quête de réenchantement du travail?
S.H. La «start-upisation», la montée en puissance de la culture digitale a transformé très rapidement la question du travail et du travailler ensemble. Adieu le travail, au sens du latin tripalium (instrument de torture), il doit y avoir une notion festive, de plaisir au bureau, d’expérimentation, de créativité et l’on réinvestit le présent. Aujourd’hui le «no future» est devenu une valeur de masse, du coup redécouvrir l’immédiat, le minuscule, l’instant présent, est important. Et il y a un besoin de ré-enchantement. Les gens viennent au bureau pour vivre une expérience individuelle positive.