Tribune
Guillaume Pannaud, président de TBWA\France a annoncé que le groupe TBWA et l'ensemble des ses entités quittent l'Association des Agences Conseil en communication. Voici la réponse de Laurent Habib, le président de l’AACC.

Lire aussi notre article TBWA\France quitte l'AACC.

 

Cher Guillaume,

 

Je te remercie de ta lettre que j’ai bien reçue et que j’ai eu tout le loisir de relire quelques heures plus tard dans la presse. Je t’ai demandé du temps ; tu ne m’en as pas donné. Je t’avais proposé un dîner des grandes agences pour aborder certaines de tes préoccupations - particulièrement celle de la rémunération -, et tu as considéré qu’il était déjà trop tard.

Te voilà donc, sacrifiant l’efficacité collective et la solidarité au profit de quelques coups d’épée qui risquent de s’avérer être des coups d’épée dans l’eau. Ta décision prive l’AACC de la force des hommes et des femmes de ton groupe qui, depuis des années, sont au cœur de notre action. Pour eux tous que je remercie, ta décision paraîtra comme une rodomontade sans justification sérieuse, et même nuisible à leur travail au quotidien.

Elle paraîtra aussi regrettable à tous ceux de tes salariés - et ils sont plus d’une centaine - qui ont pris l’occasion des Expert Class pour se former à l’AACC et s’ouvrir au monde des médias.

Nous voilà en désaccord sur trois points fondamentaux. Premièrement, l’identité de l’AACC. Voici des années que l’AACC recrute significativement. Nous comptons aujourd’hui près de 200 membres, et la délégation Digital compte à elle seule plus de cinquante membres. Nous nous sommes ouverts à des agences petites, mais aussi à des agences plus grosses, telle Serviceplan, qui compte plus de 200 salariés, et qui vient de nous rejoindre. Au total, nous avons recruté seize nouveaux membres cette année.

 

«Un lieu de rassemblement ouvert sur toute la diversité du marché»

 

Tu désapprouves cette ouverture et tu souhaites faire de l’AACC un club de grandes agences. Je souhaite au contraire faire de notre association un lieu de rassemblement ouvert sur toute la diversité du marché, et permettant au plus grand nombre possible de dirigeants de s’engager, de débattre et de participer avec énergie et dans le respect les uns des autres.

Je souhaite également que l’AACC s’ouvre à des collaborations avec d’autres associations du métier, et qu’elle nourrisse notamment un dialogue continu, même lorsque c’est difficile, avec l’UDA et avec les associations des directeurs de la communication. L’idée qui réside derrière tout cela est que - ainsi que la filière de la communication initiée par Mercedes Erra nous l’a montré -, nous avons bien plus intérêt à partager qu’à nous diviser, et à travailler ensemble sur les sujets importants tels le rôle de la créativité et la valeur des marques dans l’entreprise, ou la gestion de nos relations avec les nouveaux acteurs issus de la technologie et du conseil.

C’est au moment où nous sommes plus nombreux et plus unis que jamais, tu choisis de t’en aller. Curieux paradoxe.

 

«Sensibiliser sur le coût que représentent les compétitions pour les agences»

 

Deuxièmement, le combat pour notre rémunération. Au-delà du fait que l’AACC ne pourrait pas organiser une entente (c’est évidemment prohibé), il est absolument faux de dire que notre association ne se bat pas sur les conditions des compétitions et la défense des rémunérations des agences.

Ces dernières années, nous avons fait un travail considérable pour la défense du droit d’auteur, et, de façon plus globale, pour celle des agences dans toutes les phases de la relation contractuelle. Et nous l’avons également fait sur la question spécifique de l’activité digitale. A chaque fois, les salariés de ton groupe ont été actifs et engagés, et ont pu en tirer parti.

Nous avons essayé d’encadrer les conditions des compétitions avec la charte « La Belle Compétition » initiée et mise en œuvre par Catherine Michaud, qui est manager de ton groupe.

Par ailleurs, nous publions régulièrement une étude sur les compétitions pour sensibiliser notamment sur le coût qu’elles représentent pour les agences. Bien sûr, tout cela ne permet pas d’endiguer complètement la pression des services des achats, le nombre et le rythme des compétitions, pas plus que les inepties criantes de certaines d’entre elles.

Pour autant, ces problèmes ne peuvent se résoudre, selon moi, que par trois moyens : 1/ la force de notre association (ce qui passe évidemment par le fait de rester ensemble) ; 2/ la collaboration et la pédagogie auprès des annonceurs, notamment concernant la mutation du marché et le temps passé lors les compétitions (et pour cela il faut rester en bons termes avec l’UDA les associations des directeurs de la communication) ; 3/ la défense de la valeur de la marque, qui passe par la démonstration de la valeur de l’immatériel et du rôle stratégique des marques pour les entreprises (ce que nous avons fait notamment lors des rencontres sur le pouvoir économique des marques organisées en juillet dernier à Bercy devant près de 500 personnes).

 

«Havas et Publicis ont su constituer parmi les meilleures agences françaises»

 

Nous en arrivons à notre troisième point de désaccord : la fragilité du marché. Tes critiques visent d’abord la santé économique de notre secteur (nous cacherions, à l’AACC, « une crise du marché »), et ensuite Havas et Publicis (qui seraient « un duopole » néfaste). Sur ces deux points tu fais fausse route.

Concernant notre situation économique, tu fondes ton jugement sur des liasses fiscales qui intègrent notamment les dépréciations. Cela n’a pas de signification économique.

Par ailleurs, nous avons réalisé, voici moins d’un an, un observatoire économique de la communication sur la base de 415 agences ayant régulièrement publié leurs comptes, et qui représentent 77% du marché. De 2007 à 2015, le chiffre d’affaires réalisé par l’ensemble du marché a progressé de 34%. Et entre 2010 à 2015, la croissance a été de 15%. Quant au résultat d’exploitation, il s’est maintenu à 5%, sans variation significative tout au long de la période. J’ajoute que les cotisations des membres de l’AACC n’ont baissé, à périmètre constant, que sur la base des chiffres de 2017 et seulement de 3%, et qu’elles devraient augmenter à nouveau sur la base des chiffres de 2018.

Que cherches-tu à justifier ainsi, en suggérant l’existence d’une crise qui n’existe pas ? Quant au soi-disant duopole que formeraient Havas et Publicis, tu prends appui, pour étayer ton raisonnement, sur les 60% du marché de l’achat d’espace que détiendraient ces deux groupes.

Dans les faits, ils détiennent respectivement 23 et 22% du marché, tandis que GroupM les devance, et que DentsuAegis les suit de peu. On fait mieux comme duopole…

En réalité, dans notre activité, Havas et Publicis ont su constituer parmi les meilleures agences françaises. Nous savons tous, et toi comme moi en particulier, qu’il faut être excellent pour les battre. Mais cela n’est jamais impossible. Tu te plains d’une préférence nationale, mais hésiterais-tu à arguer de la force de ton réseau ?

 

«Défendre la résistance à l’appel de la radicalité»

 

Un dernier mot enfin, Guillaume. En adoptant une attitude solitaire, tu dis espérer provoquer une réaction de l’AACC pour la faire évoluer « vers des prises de positions plus radicales ». Par ce geste spectaculaire, tu as choisi la voie de ce que l’essayiste Christian Salmon appelle « l’ère du clash »: la voie de la radicalité et du choc, plutôt que du dialogue. Le problème c’est que, aussi séduisante qu’elle soit, cette voie conteste notre raison d’être: la communication.

La communication au sens noble, celui d’Habermas, selon qui elle est l’activité par laquelle plusieurs sujets sont capables de se mettre d’accord sur un projet d’action commune ou sur une réalité partagée. « Communiquer », autrement dit créer du lien, se placer dans l’intersubjectivité. Or, si quitter la pièce peut être efficace et faire le buzz, c’est précisément choisir de ne pas communiquer. Comment, dès lors, prétendre créer de la valeur par la communication, si nous nous montrons incapables d’y avoir recours entre nous, pour régler nos problèmes ?

Tout est en train de changer dans notre métier, parce que tout est en train de changer dans notre société et nos vies. Ce changement est inéluctable et certains de ses aspects sont très positifs, d’autres plus inquiétants. L’ère du temps voudrait que nous nous mettions tous à chercher des boucs émissaires et à crier « changeons tout ! », « plus rien ne doit être comme avant ! ». Pourtant, au risque d’en agacer certaines, au risque d’en frustrer certains - au risque de te décevoir, Guillaume -, je vais plutôt défendre la résistance à l’appel de la radicalité.

Non seulement je vais appeler chacun de nous à résister à cet appel, mais je vais me battre pour aborder les sujets urgents et complexes qui sont les nôtres - comment défendre la spécificité, la créativité et la valeur de notre métier ? comment faire face à la montée aux géants du numérique ? comment assurer une véritable égalité entre les hommes et les femmes ?, etc. -, je vais me battre donc, pour aborder ces sujets avec les moyens de la communication : l’écoute, la concertation, le dialogue, la délibération et la recherche de consensus.

Parce que je ne crois pas un seul instant que ce soit en opposant les petites agences aux grandes agences, les agences françaises aux grands réseaux internationaux, les anciens aux modernes ou les sincères aux insincères… que nous réussirons à répondre à nos défis collectifs. Je ne crois pas à la déliaison. Je crois à la cohésion. Je crois au commun, qui est la racine du mot « communication ». Aussi, sache, Guillaume, que la porte de l’AACC te reste grande ouverte pour mener ces combats avec nous.

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