IA, «deep learning», assistant personnel intelligent, chatbot, Siri, Google Now…, l’intelligence artificielle (IA) est au cœur de toutes les attentions chez les Gafa, dans les départements innovation des grands groupes, dans les start-up et autres. Immanquablement, une question se pose: à quoi ressemble (ou doit ressembler) une IA? Plus les ingénieurs en développent, plus les designers doivent imaginer des représentations de ces algorithmes. Quelles sont les IA ancrées dans l’imaginaire collectif? Comment les studios de design des Gafa et des start-up concernées ont-ils traité le sujet jusqu'à maintenant? Comment une IA sera-t-elle représentée à l’avenir? Doit-elle ressembler à un humain – anthropomorphisme – ou s’en éloigner, sous l’influence du «flat design» notamment?
Des synthèses variées
Influencés par les différentes représentations de la culture populaire, par les tendances du design digital (flat et material design, minimalisme, etc.) et par leur positionnement historique, les leaders de l’industrie high-tech ont réalisé des synthèses diverses: parfois très figuratives, parfois totalement désincarnées.
Cortana de Microsoft est certainement l'intelligence artificielle la plus humaine. Initialement, Cortana était un hologramme à forme humaine. Une jeune femme de couleur bleu et peu vêtue, apparaissant dans les célèbres jeux Halo sur Xbox (2001). L'assistant personnel a conservé le nom, mais a finalement opté pour un design moins figuratif. Cortana est désormais représenté par des cercles concentriques bleus en mouvement. Cela a ainsi permis à Microsoft de faire oublier son assistant historique Clippy, le petit trombone qui tentait de vous aider, avant sa disparition en 2001.
La technologie cognitive d'IBM se prénomme Watson. Parmi les intelligences artificielles les plus en vue du marché (utilisée notamment dans l'opération «Young Pope» de Canal+), Watson possède une identité visuelle hybride. En utilisant le prénom «Watson», nous attendions nécessairement une certaine forme de personnalisation. IBM a alors confié à Carl De Torres la création d'un avatar. L'agence a alors créé un pictogramme en forme de sphère entourée de cercles concentriques en réseau et surmontée de cinq traits rappelant évidemment… des cheveux.
Chez Apple, l'IA prend principalement la forme de l’assistant personnel Siri. Initialement limité à la reconnaissance vocale, Siri a élargi ses compétences et propose désormais des interactions avec les applications tierces, des suggestions d'applis, etc. Graphiquement, Siri apparaît principalement sous la forme d'une onde multicolore qui n'est finalement pas sans rappeler… KITT dans la série K2000.
Chez Google, les assistants Google Now (apparu en 2012) et désormais Google Assistant ont des formes minimalistes. Ils ressemblent à des «loaders» en forme de barres ou ronds colorés en mouvement. Le robot représentant le système d’exploitation Android semble passé de mode. Désormais intégré à Google Home et au smartphone Google Pixel, l'IA de Google est certainement celle présentant la forme la plus minimaliste. Cela n'étonnera a priori personne, tant Google s'est illustré jusqu'à maintenant par son design minimaliste. Par ailleurs, la start-up Deepmind spécialisée dans le deep learning et rachetée en 2014 par Google est représentée par un logotype en forme de cercle en mouvement, entre Google Chrome et le tao.
Chez Amazon, l’intelligence artificielle se nomme Alexa et est principalement disponible à travers l’enceinte connectée Amazon Echo. Le grand succès rencontré au CES de Las Vegas 2017 n’est certainement pas dû au design de la «dame». Alexa ne possède pas de réelle identité visuelle. A peine peut-on citer la forme d'Amazon Echo, principal appareil embarquant Alexa. L’enceinte connectée est en forme de cylindre avec deux boutons sur sa face supérieure, rappelant légèrement un visage rond et deux yeux. Amazon n’est pas connu pour le soin accordé à la qualité esthétique de ses interfaces. Simplicité et efficacité priment avant tout. Les IA actuelles ont donc été particulièrement influencées par la tendance du flat design, qui établit une dichotomie quasi-complète entre le représentant et l’entité représentée.
La question de l'interaction avec le grand public
Les ingénieurs cherchent à mettre en place des outils simulant le comportement humain. Humour, empathie, curiosité, colère sont des notions étudiées avec attention, mais cela exclut actuellement l'apparence. Le flat design a pour but de simplifier à l’extrême les interfaces pour se concentrer sur l'essentiel: les fonctionnalités. La quasi-totalité des studios de design (hormis Carl De Torres pour Watson/IBM) ont considéré que la qualité des interactions ne nécessitait pas une apparence humaine. L'industrie n'est-elle pas allée trop vite en besogne? Rappelons-nous que le «skeumorphisme» (interface informatique reproduisant des objets physiques) n'avait pas émergé sans but. Il s'agissait à l'époque de familiariser le grand public avec la technologie en lui donnant une apparence familière. Si l'adoption par le grand public des assistants artificiels se fait rapidement, le design d'IA ne connaîtra certainement pas de forte évolution et restera minimaliste. En revanche, si malgré les efforts démesurés des Gafa dans l'IA, l'adoption par le grand public n'est pas au rendez-vous, il ne serait pas étonnant qu'un retour en arrière ait lieu vers des représentations à forme humaine.
Malgré le buzz médiatique autour de l’IA, la partie ne semble pas gagnée d’avance. Demandez-vous combien de fois vous avez parlé à un chatbot sur Facebook ces derniers jours? Ou combien de discussions sérieuses vous avez eu avec Siri ou Google Assistant cette semaine? Le design n'est-il pas, au final, qu'un éternel recommencement? Google n’aurait alors plus qu’à ressortir son bon vieux robot vert «Android»…