L'ère de la com jalonnée de buzz, de déplacements-happening et de petites phrases gratuites est révolu. La communication politique ne doit plus voir le silence comme un vide mais plutôt comme un signe d’autorité, de calme et de force.
Le petit milieu de la «compol» n’échappera pas au monde d'après, celui des crises multiples, successives et imprévisibles. N'en déplaise aux conseillers, communicants et autres visiteurs du soir encore (trop) accrochés aux vieilles ficelles du marketing et des RP, il va falloir, dans le champ politique, vite se réinventer, faire preuve de créativité voire changer de logiciel au risque sinon de voir couler le bateau déjà touché de la démocratie.
Perdu entre le bandeau et le macaron des chaînes d’info, coincé entre le hashtag du jour et l’injonction de la punchline, l’homme politique est en train de voir et de vivre les limites de la com : cette com, pratiquée aujourd’hui par tous, qui se nourrit du temps court (3 ou 8 jours selon les séquences), de l’actu (le rebond systématique sur l’actualité quel que soit le sujet) et de l’émotion (la polémique ou le clash selon la stratégie). Pensée d’abord à des fins personnelles, pour exister médiatiquement, éviter le syndrome du ministre-fantôme ou rester dans le top of mind du Président, la com politicienne n’a plus sa place aujourd’hui.
Le temps de la com pour la com, jalonnée de buzz, de déplacements-happening et de petites phrases gratuites, est en effet révolu. D’abord à cause de la conjoncture actuelle. Parce que dans une ère multicrise (climatiques, démographiques, diplomatiques…), avoir «des paroles fortes», «des mots forts» et «des messages forts» ne suffit plus maintenant pour gouverner. Désormais, le citoyen veut des actes forts, pas des effets d'annonce, aussi bien scénarisés, vus et commentés soient-ils.
C'est le cas aussi à cause de la défiance globale et totale. Parce qu’à l’heure de la remise en cause tous azimuts de la parole publique (qu’elle provienne ici du politique, là du journaliste ou du scientifique), le citoyen ne croit plus a priori. La 11e édition de l’enquête «Fractures françaises», menée par Ipsos, est à ce titre intéressante quant à l’image perçue du personnel politique. Pour 58% des Français en effet, «la plupart des hommes et des femmes politiques sont corrompus» quand 75% des interrogés déclarent, dans le même temps, que les politiques «agissent principalement pour leurs intérêts personnels».
Enfin, c'est aussi en raison du paradigme structurel en vigueur. Parce que dans le cadre et le système actuels, la communication politique est, disons-le, clairement inadaptée. Si elle est bien adaptée à l’exercice relativement simple de la conquête du pouvoir, force est de reconnaître que la communication politique est aujourd’hui inapte à accompagner l’exercice du pouvoir. La récente crise autour de la réforme des retraites est venue, une fois de plus, le confirmer.
Règle des 3 M, hors médias et temps long
Alors, amis publicitaires, communicants, stratèges et autres spin doctors : commence-t-on à payer cash l’excès de com avec ses coups d’éclat, ses éléments de langage, ses notes et ses fiches pare-feu ? La réponse est oui, évidemment. La multiplicité et la succession des crises exigent donc au plus vite la mutation de l'homme politique et de l’homme de communication qui va avec. C’est pourquoi, voici venu le temps selon moi de passer d’une com politicienne à une communication politique qui s’appuierait sur la règle des 3 M, c’est-à-dire moins mais mieux, en ne voyant pas le silence comme un vide mais, dans une civilisation de verbiage et d’agitation, plutôt comme un signe d’autorité, de calme et de force. Pour réhabiliter la parole publique, il convient de recréer incontestablement du désir. Car que penser de l’interview donné le 2 octobre à France 3 d’un Président anytime-anywhere-anydevice qui, en termes d’audience au même moment, fait moins qu’une émission musicale ?
La communication politique aujourd'hui doit se faire aussi «hors médias», c’est-à-dire par delà les écrans de smartphone et de télévision. Le politique n’a pas d’autre choix. La complexité du monde doit le pousser à revenir au plus vite dans le réel. C’est à mon sens le grand enjeu de demain, ce liant d’avec la vie en vrai qu’il convient de retrouver pour regagner la confiance des électeurs et rendre de nouveau la politique attractive. Que le politique qui aime être vu soit ici rassuré : de lui-même, le citoyen-smartphone saura filmer, relayer et donner l’écho médiatique nécessaire s’il juge, en sa qualité de premier témoin, un propos intelligent ou une action courageuse. Dans l’univers commercial, les marques l’ont bien compris. S’il cesse d’être trompé et infantilisé, le consommateur peut devenir, du jour au lendemain, un vrai ambassadeur. Il en sera de même, demain, avec un citoyen sollicité et de nouveau respecté.
Enfin, il convient d'aller vers une communication politique pensée et construite sur du temps long, indispensable à l'homme d’État. Dans un avenir proche, la prime reviendra au politique capable, avec des thèmes non pas porteurs mais prioritaires, d’avoir une vision et de s'inscrire dans la durée. Autrement dit, l'action du temps long doit prendre le pas définitivement sur l'annonce du temps court. La «compol» est à un tournant. Une chose est sûre : en politique, la com est morte. Vive la communication.