Face à la dégradation forte de leur situation économique, les magazines musicaux ont des revendications vitales, auprès des pouvoirs publics mais aussi de la filière musicale.
Avec plus d’une cinquantaine de titres et près d’un million et demi de lecteurs réguliers représentant toutes les sensibilités musicales, du rock au jazz en passant par l’électro, la presse musicale indépendante est un acteur essentiel de l’écosystème de la musique. Elle joue un rôle majeur pour donner de la visibilité et de la notoriété aux artistes, labels, ainsi qu’aux concerts, festivals, leur permettant d’être dans tous les kiosques à journaux de France et sur tous les canaux de diffusion : plateformes web et réseaux-sociaux.
Elle participe également pleinement au travail culturel de repérage, de défrichage, de décryptage des courants et des talents ainsi qu’à la promotion de l’enseignement, de la pratique musicale et de la facture instrumentale. Mais surtout, la presse musicale est le plus souvent le premier acteur de la chaîne permettant aux talents émergents de se faire connaître et de s’exprimer. Une alternative essentielle aux plateformes et à leurs algorithmes qui ne peuvent être l’unique force de recommandation et de découverte des artistes de demain.
Acteur majeur de la mise en valeur du patrimoine culturel et musical français, la presse est pourtant aujourd’hui en danger. Sa situation économique s’est, en effet, fortement dégradée. Impactée par une crise qui a touché le secteur du spectacle et toute l’industrie de la musique après le covid, elle est également touchée par les difficultés récentes de la presse dans sa globalité : d’un côté, l’augmentation spectaculaire du prix du papier (près de 100% selon les natures), des encres (jusqu’à 80%), de l’affranchissement … Et de l’autre la diminution des points de vente, la disparition des kiosques et l’enchérissement de l’accès aux lecteurs.
Et même si le digital se développe fortement, le tout numérique ne peut être la solution. Pour plusieurs raisons majeures. Dans ce segment de «presse passion», seuls 10% des lecteurs passent au tout numérique. De plus, les «Netflix» de la presse en ligne (Cafeyn, Epresse, Zinio...) ne reversent que quelques centimes par exemplaire aux éditeurs, bien inférieurs au prix de revient d’un journal et aux coûts normaux d’une rédaction. Idem sur les kiosques numériques iOS et Android, où les revenus sont insuffisants. Quant à Google, qui a promis de reverser aux éditeurs ce qu’il leur a «pillé», les journaux indépendants attendent toujours et ne voient rien venir.
Étrange paradoxe
Plus généralement, c’est un étrange paradoxe de voir l’argent public aider l’industrie de la musique à financer des campagnes publicitaires sur les réseaux sociaux des Gafam tandis que la presse musicale française, qui met en avant les artistes, ne fait pas partie des missions de l’État.
Pour ces raisons, le Collectif des Éditeurs de la Presse Musicale (CEPM)*, formé en association durant la crise du covid, a interpellé les pouvoirs publics. Le CNM, Centre National de la Musique, organisme de tutelle des professionnels de la musique, a apporté heureusement son soutien, par conviction que le rôle de la presse est essentiel pour la diversité culturelle.
Il a notamment diligenté la première étude nationale sur l’état du secteur. Celle-ci a été présentée le 13 octobre, à l’occasion du MaMA, le salon des professionnels de la musique.
Un statut pour la presse musicale
Reste que les magazines musicaux ont des revendications vitales, à savoir, auprès des pouvoirs publics, l’élaboration d’un statut pour la presse musicale avec une représentation auprès du CNM, la création d’un label «IPG culture» permettant à la presse musicale d’obtenir des subventions au même titre que la PQR et les magazines d’actualités et l’élargissement du «pass culture» aux abonnements imprimés.
Auprès de la filière, nous demandons un soutien de la part des structures subventionnées de la filière du disque et du live par l’achat d’espaces publicitaires, l’ouverture d’un kiosque et d’un magazine en ligne de la presse musicale animés par ses membres et la création d’un évènement, la Nuit de la presse musicale, qui défendrait la diversité et la découverte, toute esthétique, organisé par le CEPM.
Il faut garantir le maintien d’une presse culturelle de qualité et faire un choix de société. Soit on veut traiter l’univers culturel avec la diversité et les véritables choix éditoriaux que la musique mérite, soit on pense que la musique peut vivre uniquement sur les grandes plateformes américaines et que les algorithmes sont les maîtres du jeu. Et la presse musicale disparaîtra. Il en va également de l’avenir de la création musicale française. Quelle société voulons-nous ?
* Le Collectif des Editeurs de la Presse Musicale Française représente une trentaine de titres : Bassiste, Batterie, Batteur Magazine, Blues Magazine, DJ Mag, FrancoFans, Guitar Part, Guitare Classique, Guitare Sèche, Guitare Xtrême, Guitarist Acoustic Unplugged, Jazz Magazine, Jazz News, KR home-studio, La lettre du musicien, Les Inrockuptibles, Longueur d'Ondes, Metallian, MyRock, New Noise, Opéra, Plugged, Reggae Vibes, Rock Hard, Rolling Stone, Sono Mag, Soul Bag, Trax, Tsugi.