A l'occasion du Festival de Cannes, Olivier Nusse, président d'Universal Music France, explique les relations fécondes qu'entretient sa major avec le monde du cinéma, de la télévision, des plateformes, des marques et de la publicité. Il se dit intéressé par la Star Academy, sur TF1.
Pourquoi et comment êtes-vous présent sur le Festival de Cannes ?
Olivier Nusse. Notre métier premier est d’accompagner les artistes, quel que soit leur genre, d’accélérer leur capacité à toucher des audiences différentes et d’apporter tous les relais qui permettent de nourrir leur storytelling. Dans ce cadre, on a lancé en 2008 une agence interne, A&R Studios (artiste & répertoire) qui accompagne les partenariats entre les artistes locaux et internationaux, et les marques sous toutes les formes : brand content, contrat d’égérie ou endorsement, placement de produits, événementiel. On est donc le partenaire privilégié pour ce type d’événement. Beaucoup de ces artistes ont des relations avec le cinéma et l’audiovisuel. Certains de nos partenaires, comme Chopard, sont aussi liés au Festival. Cette année, nous avons des rendez-vous avec des marques, et nous sommes présents sur la terrasse d’Albane Cleret qui a fêté ses vingt ans avec Benjamin Biolay et Clara Luciani le 20 mai. Par notre intermédiaire Juliette Armanet a aussi joué à la soirée Dior/Madame Figaro/Canal+ et Seal aux soirées Chopard les 21 et 25 mai.
Quels sont les rapports d’Universal Music avec le cinéma ?
O.N. Nous avons un catalogue extrêmement prestigieux de compositeurs qui ont accompagné des films mythiques (de Ennio Morricone, à Michel Legrand, ou Francis Lai…). On le fait découvrir ou redécouvrir au public sous tous les formats, en vinyle à l’occasion d’anniversaires et constamment sur les plateforme digitales et les réseaux sociaux comme TikTok. Et Il y a de nombreux jeunes compositeurs et interprètes qu’on signe et qu’on produit et/ou édite chez Universal Music et dont les œuvres viennent aussi régulièrement illustrer des films locaux et internationaux. C’est le rôle de notre service de synchronisation, leader sur le marché français, qui travaille beaucoup avec le cinéma et aussi pour la pub ou les séries. Ce département d’Universal Music Publishing défend les droits de nos œuvres tant pour la part Master (enregistrements) que pour la part éditoriale (auteurs compositeurs.) Le dernier James Bond s’est fait avec un titre de notre catalogue de Nirvana. Nous faisons aussi des créations originales comme celle de Lady Gaga pour Top Gun ou encore celle de Juliette Armanet qui chante « Les moulins de mon cœur » pour la dernière publicité Air France qui vient de sortir. Certains de nos artistes sont aussi des acteurs. La famille Bélier a été un révélateur pour Louane, qui avait participé à The Voice. Son premier album a dépassé 1,5 million d’exemplaires, elle a eu un César et a gagné 5 Victoires de la musique. La série de Canal+ Validé a révélé l’artiste Hatik qu’on a développé côté musique. Cela va donc dans les deux sens et c’est un moyen d’exposition très vertueux et un accélérateur de carrières pour nos artistes.
Quid des relations avec le groupe Vivendi et Bolloré depuis l’entrée en Bourse d’Universal Music ?
O.N. Vivendi a encore 10% d’UMG. Nous avons des relations proches avec Havas, Editis ou Canal+. Notre agence A&R Studios continue notamment monter de beaux événements avec le groupe Vivendi. Par exemple Nous avions commencé à faire jouer nos artistes lors de la finale du Top 14 au stade de France en partenariat avec Vivendi et Canal+, qui en est le diffuseur. The Black Eyed Peas, Mika, The Avener, Big Flo & Oli sont venus clôturer l’événement à la remise du trophée devant 80.000 spectateurs. Le 24 juin prochain, ce sera Kendji et Soolking deux de nos jeunes stars qui se produiront.
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En 2015, une alliance avait été annoncée avec Havas pour exploiter au profit des marques des données comportementales des fans de musique. Où en est-on ?
O.N. Ces dernières années nous avons surtout échangé des bonnes pratiques entre les équipes d’Universal Music et celles des entités de Vivendi. Aujourd’hui nous sommes avant tout de bons partenaires qui se connaissent très bien. Le marché de la musique a perdu près de 60% de sa valeur au début des années 2000 et nous avons réussi à repartir avec une très belle croissance depuis plusieurs années, en grande partie portés par le streaming par abonnement. Cela a été une source d’inspiration pour de nombreux autre business et chez Vivendi aussi.
Sur la télévision, vous avez créé l’émission Island Africa Talent avec Canal+ en Afrique francophone. Où en êtes-vous de votre développement ?
O.N. On est leader en Afrique francophone avec notre équipe Universal Music Africa basée à Abidjan qui développe une activité très portée par les concerts et les partenariats avec les marques. Le marché du streaming reste encore au début de son émergence dans cette région. Il y a encore des choses à adapter pour les plateformes de streaming dans les offres de prix et les capacités de paiement locales. On fait énormément d’échanges avec les artistes francophones qui émergent. Notre objectif est d’abord de développer un marché local, de faire en sorte que les artistes puissent vivre de leur art en Afrique. Et avec le groupe Canal en Afrique, nous avons monté une initiative pour incuber de nouveaux talents notamment dans le programme « La dernière voix », avec la chaine A+ depuis le 28 mars, c’est la première série de fiction musicale Panafricaine, une série de 52 épisodes de 26 minutes qui met en scène les coulisses de l’industrie musicale et audiovisuelle en Afrique à travers cinq jeunes mis en scène dans leurs répétitions, les concerts, leur début de leur carrière. Le gagnant signera avec Universal.
Serez-vous aussi partenaire de la Star Academy qui revient sur TF1, comme lors des précédentes éditions ?
O.N. C’est en discussion. On étudie la question avec les équipes d’Endemol. Il faudra voir comment un programme comme celui-là peut avoir une nouvelle vie quand entre temps l’émergence des réseaux sociaux qui permettent de découvrir la musique et l’histoire des artistes via des extraits courts a changé la donne et est très différente et certainement très complémentaire de l’audience touchée par ces primes télévisés.
L’offre télévisuelle est-elle satisfaisante pour votre industrie musicale avec The Voice ou Danse avec les Stars.. ?
Vous citez des talent shows. Toute capacité de révéler des talents nous intéresse. Et nous avons eu de vrais succès avec des artistes sortant de ces castings télévisés comme Kendji ou Slimane par exemple. Mais la manière de découvrir les nouveaux talents a beaucoup changé ces dernières années, et depuis cinq ou six ans, nous développons chez Universal Music France de nouvelles sources d’incubation de talents. Nous utilisons et développons beaucoup d’outils digitaux de veille en plus des multiples Tops comme Shazam et les Top viraux des différentes plateformes, nous continuons aussi à aller découvrir les artistes sur les petites scènes, mais nous essayons d’être beaucoup plus innovants et flexibles pour accueillir des artistes sans les enfermer dans de vieux systèmes pendant des années. Nous avons une démarche extrêmement agile tout en ayant des possibilités très développées d’analyser de nombreuses données.
Qu'est-ce qui a changé dans le manière de produire de la musique ?
O.N. Aujourd’hui Un jeune artiste peut dans sa chambre produire sa musique avec son ordinateur et faire des vidéos avec un téléphone portable qu’il poste ensuite sur des plateformes comme YouTube. Et il peut toucher une audience, créer une première base fan, avoir de l’influence avant même qu’on l’ait découvert. Notre valeur ajoutée chez Universal c’est d’avoir les équipes et les expertises pour savoir ensuite accompagner ces talents, enrichir le storry telling, créer le répertoire et les contenus et trouver le bon angle, le bon planning stratégique pour toucher un public large et accélérer son développement de carrière, c’est un savoir-faire unique utilisant de nombreux services à la carte. On attend surtout des émissions télévisées qu’elles permettent d’exposer les artistes qu’on développe. Le PAF est beaucoup trop pauvre en concepts de rendez-vous TV pour la musique . Et pour provoquer des rendez-vous impactants, singuliers, on doit bousculer les programmes, comme nous l’avons fait en janvier avec Stromae qui a incarné de manière exceptionnelle son titre « L’enfer » au JT de TF1.
Comment êtes-vous présents sur les plateformes Netflix, Amazon Prime Video ou Disney +
O.N. On travaille très bien avec elles. Des programmes que nous produisons ou accompagnons peuvent mettre en lumière avec succès le parcours d’un artiste ou faire connaître à un public nouveau un géant de la scène locale comme Johnny Hallyday sur Netflix. Et les plateformes de SVOD ont permis d’avoir des documentaires, du docu-fiction, des séries autour de jeunes artistes qu’on accompagne comme Big Flo & Oli sur Amazon Prime ou Angèle sur Netflix.
Sur Spotify ou Deezer comment parvenez-vous à valoriser vos talents ?
O.N. Nos équipes de stratégie digitale travaillent étroitement avec les plateformes pour que nos artistes soient bien exposés, et nous montons avec elles de magnifiques partenariats sur le lancement de nos projets. Nos équipes travaillent aussi avec ces plateformes pour que notre répertoire soit bien exposé dans les bonnes playlists, en fonction de multiples critères de définition de chaque titre. Et c’est la grande richesse de nos bases de données et la qualité de nos équipes d’analystes qui nous permettent d’optimiser énormément la prescription de nos répertoires et d’augmenter sa consommation par des audiences multiples de consommateurs dont nous connaissons les goûts et les habitudes. Avant, en se basant uniquement sur le déclaratif, un jeune pouvait dire qu’il n’écoutait que du rap. Maintenant, avec nos analyses de données de consommation on sait qu’en moyenne, un consommateur de musique écoute en France six ou sept genres différents sur les plateformes de streaming. On sait quel type de musique est écouté par quelle type d’audience en fonction des moments de la journée et du types d’activité. Il y a cinq ans, on a travaillé en France avec l’Ircam et développé en première mondiale un moyen pour doter chacun des titres de notre repertoire de plusieurs centaines de critères pour les définir et pour pouvoir les prescrire à des consommateurs très différents. On peut recommander nos répertoires sur des bassins de consommateurs qui, sans ces outils, ne les auraient pas écoutés. C’est ce qui nous permet d’optimiser la découverte et la consommation des titres de nos talents sur les plateformes.
Comment assurez-vous le développement international de vos artistes ?
O.N. C’est la force d’Universal Music Group qui a une organisation mondiale mais s’appuie sur des équipes en prises avec les cultures locales. Stromae, Angèle ou Kungs bénéficient d’outils et d’équipes locales et internationales pour accélérer leur développement et nourrir leur histoire dans le monde mais il n’y a pas de formatage. Ce sont des initiatives locales qui sont ensuite accélérées mondialement notamment avec le soutien d’une équipe centrale basée à Los Angeles, une sorte de « spine team » formée d’experts de la stratégie digitale et de contenus, d’analyse de données et de marketing d’influence. Sur le marché américain, Stromae, qui chante pourtant uniquement en Français et qui vient de faire le festival Coachella et va remplir deux Madison Square Garden en novembre, bénéficie du soutien du label Interscope sur le marché américain (le label de Billie Eilish, Lady Gaga, Kendrick Lamar..). Avec l’incroyable accessibilité à l’ensemble des répertoires partout dans le monde via les plateformes de streaming et la démocratisation de l’usage de l’écoute en streaming, il y a beaucoup plus d’appétence du public pour les répertoires qui ne viennent pas de leur région propre ni dans leur langue locale. Un projet francophone peut avoir aujourd’hui bien plus de résonnance que par le passé dans le reste du monde.
Comment vous insérez-vous dans l’écosystème TikTok et sa plateforme SoundOn qui court-circuite le travail des éditeurs musicaux ?
O.N. On travaille excellement bien avec TikTok avec lequel nous avons des partenariats mondiaux pour avoir accès à des données sur ce qui remonte. Au-delà de sa capacité à faire émerger ou réémerger des titres, cette plateforme est un levier de découverte d’extraits qui vont ensuite être consommés sur les autres plateformes de streaming où l’on peut écouter les titres en entier. Une vidéo courte très virale permet de toucher un public qui n’aurait sans doute jamais découvert ce répertoire autrement. L'essor rapide des vidéos courtes sur de multiples services comme YouTube Shorts, Instagram Reels et TikTok a dynamisé l'écosystème musical, créant un nouveau canal vital pour l'engagement entre les artistes et le public mondial. SoundOn est une source d’incubation et Universal Music Group signe des artistes qui émergent via cette plateforme en leur offrant une large gamme de services et de leviers pour accélérer leur carrière et rendre leur projet pérenne.
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Vous associez des artistes à des marques comme Angèle à Chanel, Clara Luciani à Gucci, vous avez même livré des pizzas avec Mister V. Quelles sont les limites ?
O.N. Notre agence interne, A & R Studios, est unique en son genre car elle monte des partenariats sur mesure pour nos artistes. Elle est formée d ‘équipes qui sont à la fois en prise avec les différents partenaires potentiels et aussi au plus près des artistes et des labels. Tout y est analysé pour délivrer des propositions, des solutions totalement en ligne avec l’ADN et l’ambition de l’artiste, avec l’histoire du projet, la cible, l’audience définies… Les plus gros influenceurs mondiaux sont les stars de la musique. Avec nos artistes et leurs audiences, nous arrivons à monter des partenariats pluriannuels très efficaces, et cela va de l’automobile au textile en passant par le luxe. Cela peut partir de l’événementiel, passer par l’endorsement, et arriver aux collections capsules, au e-commerce, au pop-up store, aux produits dérivés sur mesure et très innovants... Le champ des possibles est énorme et notre agence délivre des cahiers de tendance aux artistes et aux partenaires, des analyses et stratégies de positionnement de projets, des solutions de création de produits et d’événements. On fait se rencontrer nos artistes avec des directeurs de collection et des responsables de communication pour qu’il y ait des créations communes. Ce sont des sources de revenus complémentaires pour les artistes mais aussi un moyen d’exposition et de starification des artistes. Certaines marques peuvent ainsi toucher des audiences qu’elles n’arrivaient à capter aussi facilement. Angèle, qui a chanté pour Chanel, est aujourd’hui devenue égérie de la marque et a participé à des campagnes mode et beauté. Il y a même une création sur mesure, une collaboration entre Angèle et Virginie Viard pour des pièces originales que l’artiste porte sur scène et dans ses vidéos.
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Et il n’y a pas une petite réticence des artistes eux-mêmes d’être associés à des marques ?
O.N. C’est très variable. C’est une question ni de génération ni de genre musical ni de typologie d’artistes. C’est avant tout lié à la capacité des équipes à comprendre les projets et adopter la bonne approche et le bon discours avec les artistes. Et puis la qualité des réalisations fait la réputation de l’agence, elle attire même les talents, certains artistes de la concurrence (comme Mister V) viennent chez A&R Studios. L’important, c’est que ça corresponde à ce qu’il a envie de raconter et que cela lui permette de rayonner. L’agence à aussi beaucoup contribué à faire que les marques s’ouvrent à des partenariats avec des artistes de musiques urbaines qui permettent de couvrir des bassins de population jeunes et très réactifs. Les limites tant pour les artistes que pour les marques sont très subjectives.
Sur le placement de produits, vous travaillez toujours avec Mirriad ?
O.N. A&R Studios peut travailler avec plein d’intermédiaires. C’est une agence qui est avant tout une force de propositions originales, ce n’est pas un bureau qui gère juste des appels entrants.
Et dans les spots de pub ?
O.N. La grande majorité des synchronisations se fait sur des titres préexistants. Avec des artistes en développement qui chantent en français, c’est rarissime. Pourtant nous avons réussi à proposer deux de nos dernières révélations aux Victoires de la Musique pour les associer à des marques de façon optimale. Terrenoire pour Intermarché dans un spot magnifique de trois minutes sur TF1 avec le titre « Jusqu’à mon dernier souffle » . Cela a été très vertueux pour le rayonnement de ce duo d’artiste. Et Hervé qui a illustré toute la dernière campagne Carte Noire avec son titre « Si bien du mal ». Et cela a été un accélérateur pour sa carrière.
En quoi le métavers et les NFT peuvent être des relais de croissance pour vos catalogues ?
O.N. C’est un nouveau terrain de jeu. Nous sommes encore en train d'apprendre, mais nous avons structuré une série d'accords qui sont cohérents avec notre objectif à long terme de partenariats commerciaux, d'innovation de produits et de catégories évolutives, où nous adoptons une approche privilégiant les artistes et la pérennité de nos projets. La clé est d’apporter des nouvelles opportunités d’une manière intégrée qui complète tout ce que nous faisons pour développer et commercialiser les propositions artistiques de nos artistes.
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Quels sont ces accords ?
O.N. Universal Music Group est la première grande société de musique à s'associer à Curio, une plateforme de premier plan pour les NFT axés sur les marques de divertissement, qui nous permettra d'exploiter nos œuvres d'art, notre musique et notre contenu audiovisuel pour des objets de collection haut de gamme destinés aux fans. Curio dispose d'une solide expérience dans le domaine des médias et de la technologie, ayant publié plus de 75 000 NFT avec de grandes marques de cinéma, de télévision et de bandes dessinées. Le premier projet UMG mettra en scène Calum Scott, artiste de Capitol Music Group. Nous avons récemment annoncé un partenariat avec Snowcrash, un service de NFT créé par des pionniers de la musique et de la technologie. Nous sommes aussi les premiers dans la musique à conclure un accord avec ChartStars de Billboard pour faire une série d’objets de collection numériques NFT en fonction du classement des artistes dans les Tops des ventes. 30 % des gens qui consomment la musique par abonnement seraient intéressés par des objets de collection liés à la musique. On a en France monté une opération d’NFT avec Booba première du genre sur le territoire français : 25 000 exemplaires ont été vendus en un rien de temps. Ces nouveaux partenariats ne sont pas de simples cadres ; ils sont mis en œuvre avec des engagements importants en matière de produits, en collaboration avec nos artistes et les labels. Nous pensons que nous sommes en train de nous positionner avec les bons partenaires pour chaque évolution de cet espace et pour toutes les nouvelles opportunités qui se présentent.