L’arrivée de la nouvelle patronne de Franceinfo a été précédée d’interrogations sur son management. De quoi toucher mais pas déstabiliser cette professionnelle énergique et téméraire.

Côtoyer Agnès Vahramian, c’est entrer de plain-pied dans un tourbillon de vie. Encore au téléphone dans son bureau de Radio France, elle vous fait signe de vous installer. Du genre droit au but. L’espace embaume la grenade d’une officine florentine, réminiscence de ses racines arméniennes. Sa stature modeste surprend tant elle en impose à l’écran, couvrant infatigablement pendant trente ans les conflits du globe pour France 2. La chevelure est impeccable, comme sa manucure et son élégante tunique. Même en zone de combat, elle s’y est toujours tenue, fidèle à son concept de « TCI », soit « taux de crédibilité immédiate » imaginé avec David Pujadas.

« Pour être écoutée, explique-t-elle, il faut être le plus disponible possible pour le téléspectateur. Ce que l’on a à lui dire ne doit pas être parasité par ce qu’on est ou par notre apparence. » Être soignée pour être le plus lisse et mieux faire passer l’info. David Pujadas, dont elle a été la rédactrice en chef du 20 heures de France 2, ne tarit pas d’éloges sur elle. « Sa force de travail, sa capacité d’entraînement et son enthousiasme m’impressionnent. Elle n’est pas là pour occuper une place. Elle mêle appétit, convictions et passion », assure-t-il. Quid des attaques sur son management, jugé toxique par certains il y a dix ans, et relayées dans un récent article en ligne lors de sa nomination ? « Je regrette ces reproches, balaye-t-il. C’est quelqu’un d’entier qui a du caractère et porte de belles et fortes ambitions éditoriales, ce qui est rare. Certains trouvent toujours que c'est trop rude ou rapide s’ils sont un peu bousculés. Mais l’exigence est une qualité, ne l’oublions pas dans notre ère du management du “care”. Agnès est aussi quelqu’un d’attentionné, qui sait ambiancer une rédaction, improviser des petits déjeuners festifs. Et elle a pris de la patine en dix ans. »

Que de kilomètres parcourus par cette petite fille d’émigrés arméniens, première de sa modeste famille à avoir fait des études supérieures. La vie de ses anciens est un roman. À 9 ans, son grand-père est laissé pour mort dans une fosse commune après le génocide de 1915 et sa grand-mère sauvée par une association de bienfaisance américaine. Ils se rencontrent lors d’un thé dansant à Marseille avant d’avoir huit enfants. Elle grandit dans un village de la banlieue lyonnaise, fille d’une sténo dactylo très taiseuse et d’un ouvrier mécanicien Géo Trouvetout et bricoleur, qui aguerrit son aînée à tout. Sa vocation serait née en voyant son père réparer les rotatives « des baveux » [journalistes] du Progrès de Lyon. Elle réussit Sciences Po Grenoble, mais complexée par ses camarades bien nés, déjeune seule dans sa 2 CV. Un professeur, Monsieur Lévy, se charge de lui donner confiance.

Tout-terrain

Étudiante en journalisme à Strasbourg, elle sympathise avec Hervé Ghesquière, qui deviendra otage en Afghanistan en 2009. Ils embarquent en Peugeot 206 pour assister à la chute du mur de Berlin puis sur leur premier terrain de guerre, en ex-Yougoslavie. Une rédaction suisse romande lui donne sa chance, prise de court par la mort de son correspondant. Elle intègre ensuite France 2 pour y rester… 32 ans : « J’y ai été excellemment formée », reconnaît celle qui a couvert tous les conflits, de la guerre en Afghanistan, en Irak, en Ukraine et jusqu’au 7 octobre en Israël. Sans s’épancher. « C’est trop trash », lâche-t-elle.

Thierry Thuillier la nomme à 35 ans adjointe du service International. Elle alterne management et terrain. Lorsque David Pujadas, homme blanc de plus de 50 ans, est limogé en 2017, elle postule comme correspondante à Washington. Trois semaines plus tard, elle y débarque avec trois sacs avant d’enchaîner en 2021 à Jérusalem tandis que ses deux enfants achèvent leurs études d’avocate et d’apprentis journaliste. En juillet, Vincent Meslet, numéro deux et Sibyle Veil, PDG de Radio France, lui proposent de diriger Franceinfo. « Mais c’est énorme ! », souffle-t-elle. Elle hésite. « C’est très difficile de fermer un chapitre de sa vie mais je me suis dit qu’il faut parfois renoncer à certaines choses pour s’accomplir. »

Là voilà hébergée chez une amie puis dans un coliving en attendant que les étudiants installés dans son domicile en banlieue parisienne ne trouvent un plan B. « Soyons simples et réalistes », lâche-t-elle. Ce pourrait être la devise de celle qui ne manque pas d’ambition pour Franceinfo. Discrètement, elle a déjà limité à quatre au lieu de cinq par heure les flashs info. Elle souhaite y entendre plus de reportages mais assure prendre surtout, pour l’heure, ses marques. Téméraire mais prudente en ce territoire plus civilisé que ceux qu’elle a apprivoisés, cette charmeuse saura-t-elle désarmer les inquiets pour mettre en ordre de bataille la désormais deuxième station de France ? À suivre en direct.

Parcours

1992-2011. Entre à France 2 et devient reporter puis grand reporter en politique étrangère.

2011-2013. Rédactrice en chef d’Envoyé Spécial sur France 2.

2014-2017. Rédactrice en chef du 20 heures de David Pujadas sur France 2.

2017-2021. Correspondante permanente à Washington.

2021-2024. Correspondante permanente à Jérusalem, elle couvre la guerre en Ukraine et les massacres du 7 octobre 2023.

Septembre 2024. Nommée à la direction de Franceinfo.

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