La disparition des cookies tiers bouleverse le paysage publicitaire et propulse le ciblage data sur le devant de la scène. Cette approche, qui permet de diffuser des messages ultra-précis à des audiences ciblées, pose toutefois la question du respect de la vie privée, mais aussi, in fine, de la performance et du ROI de la campagne. Un article également disponible en version audio.

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Le paysage publicitaire est en pleine mutation. L’annonce de la disparition des cookies tiers a sonné le glas d’une ère et a propulsé le ciblage data sur le devant de la scène. Cette nouvelle approche, qui repose sur l’exploitation de données massives et l’intelligence artificielle, permet aux annonceurs d’adresser des messages ultra-précis à des audiences ciblées. Mais cette quête de pertinence ne suscite-t-elle pas des dérives et des interrogations quant au respect de la vie privée ?

Le ciblage data s’inscrit dans une tendance de fond : la digitalisation des médias. Plateformes digitales, réseaux sociaux, télévision connectée… Les points de contact entre marques et consommateurs se multiplient, générant une quantité exponentielle de données. En exploitant ces informations, les annonceurs peuvent désormais dresser des profils d’audience ultra-précis, prenant en compte les habitudes de navigation, les centres d’intérêt, les comportements d’achat et bien plus encore.

La publicité segmentée, un point de bascule

« Avant, dans les médias, il y avait seulement un ciblage contextuel et en fonction d’une audience statistique. Tout cela a été chamboulé par le digital qui propose un ciblage one-to-one », rappelle Marien Lavoir, product manager de 366, la régie de la presse quotidienne régionale. « Les capacités de ciblage sont aujourd’hui de plus en plus élaborées et elles peuvent être opérées dans plusieurs univers, non seulement en digital, mais aussi en télévision linéaire avec la TV segmentée », complète Emmanuelle Godard, directrice du digital, data et innovation de Canal+ Brand Solutions. « L’arrivée de la publicité segmentée a constitué le point de bascule en télévision », confirme Philippe Boscher, directeur adjoint marketing digital de TF1 Pub. « La télévision était uniquement un mass media. Aujourd’hui, nous complétons cette puissance par notre capacité d’adressabilité » de cibles, poursuit-il.

Cette nouvelle approche s’appuie sur un arsenal de techniques sophistiquées de ciblage : comportemental (suivi de la navigation et des interactions des utilisateurs), socio-démographique, par centres d’intérêt, « lookalike » (création de profils d’audience similaires à des clients existants pour élargir la base de prospects) ou sémantique (recherche de mots-clés pertinents). Sur ce dernier levier, 366 réalise actuellement un POC avec Weborama pour pousser le ciblage sémantique au-delà des habituels mots-clés et pouvoir réaliser un ciblage à partir de phrases en langage naturel.

Cette révolution du ciblage data est telle que certains parlent d’hyper-ciblage. Un terme qui suscite toutefois le rejet d’une partie des professionnels du marketing. Le terme d’hyper-ciblage « peut avoir une connotation négative, souligne Philippe Boscher, car si je fais de l’hyper-ciblage, c’est que j’en fais trop. » Vincent Salini, directeur commercial numérique de France Télévisions Publicité, rejette lui aussi ce terme : « Dans le contexte actuel de clarification réglementaire, cela peut laisser entendre à l’internaute qu’il est traqué à son insu. »

Autre risque lié à l’utilisation de ce terme, « cela peut notamment laisser entendre que l’on touche des micro-volumes », estime Bastien Deleau, directeur exécutif adjoint de Prisma Media Solutions. « Parler d’hyper-ciblage ou d’hyper-personnalisation, c’est donner un sens négatif à l’utilisation des données », estime Fabien Scolan, vice-président advertising du Boncoin, qui rappelle que l’utilisation des données permet aussi d’améliorer l’expérience utilisateur. « Chez Leboncoin, le ciblage data permet d’utiliser la bonne donnée pour que l’acheteur trouve le bon produit parmi l’immensité de l’offre des particuliers et des professionnels », ajoute-t-il.

Les acteurs traditionnels du marché, tels que les régies publicitaires et les médias, ne sont pas en reste. Ils s’appuient sur leurs données clients et sur des partenariats avec des acteurs spécialisés pour enrichir leurs offres de ciblage data. La data retail, issue des programmes de fidélité et des achats en ligne, joue un rôle crucial dans cette approche. Elle permet aux annonceurs de cibler des consommateurs en fonction de leurs habitudes d’achat et de leurs préférences produits. « La data retail constitue un atout déterminant car elle est très proche des cibles marketing de nos clients, souligne Philippe Boscher chez TF1 Pub. De plus, elle est utilisable aussi bien en amont d’une campagne qu’en aval pour la mesure de l’impact sur les ventes. »

Si le ciblage data présente des avantages indéniables en termes de pertinence et d’efficacité publicitaire, il soulève également des questions éthiques et réglementaires. La frontière entre hyper-personnalisation et intrusion dans la vie privée est ténue. Les consommateurs se sentent-ils suffisamment informés et protégés face à l’utilisation croissante de leurs données personnelles ?

Tas d'or de Smaug

L’autre limite est celle de la puissance de la campagne délivrée. « La télévision est un média de masse qui propose de la puissance à ses annonceurs, engagés dans une logique de volume, rappelle Élise Guyard, directrice programmatique, data et partenariats chez M6 Publicité. Nous pouvons proposer une très grande finesse de ciblage, mais il ne faut pas aller au-delà d’une certaine limite qui dégraderait le reach, qui reste le critère déterminant pour nos clients. » Un point sur lequel abonde Emmanuelle Godard, de Canal+ Brand Solutions : « Le ciblage data doit forcément venir en complémentarité de dispositifs qui permettent d’avoir une réelle puissance de frappe. »

« Ce qui rend possible cet hyper-ciblage, c’est la collaboration sur la data entre les différents acteurs. Longtemps, les données ont été considérées comme le tas d’or de Smaug [dragon qui protège son trésor dans Bilbo le Hobbit]. Aujourd’hui, il faut les combiner et les enrichir par leur utilisation croisée », complète-t-elle. Une data collaboration qui peut évidemment s’opérer entre médias d’un même groupe. Canal+ et Prisma Media Solutions ont, par exemple, noué un accord pour activer la data de médias thématiques de Prisma Media Solutions en TV segmentée.

L’hyper-ciblage doit aussi s’accompagner d’une adaptation fine du message publicitaire. « Le ciblage data doit être associé à de l’hyper-personnalisation du message, sinon on répond à la pertinence de la cible mais pas à celle du message », alerte Bastien Deleau, chez Prisma Media Solutions. Un domaine dans lequel l’IA générative vient apporter ses possibilités de création infinies.

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