Si les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 seront les premiers à garantir une parité parfaite entre athlètes hommes et femmes, le chemin reste long pour atteindre cet objectif dans les médias sportifs. Malgré des progrès notables, les femmes restent sous-représentées à l’antenne mais aussi dans les rédactions. Un article également disponible en version audio.

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Cet été, les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 seront les premiers à assurer la parité femmes-hommes. En revanche, la représentation des femmes dans les programmes sportifs tarde à atteindre la parité. Si de « grands progrès (ont été) réalisés par les chaînes sur la représentation des femmes […], les plateaux des programmes sportifs sont ceux qui représentent le moins les femmes », regrettait l’Arcom dans son rapport 2024 sur la représentation des femmes à la télévision et à la radio. « Nous savons qu’il nous reste du chemin à parcourir pour atteindre enfin la parité […]. Nous ne pouvons pas relâcher notre vigilance collective, soulignait Roch-Olivier Maistre, président de l'Arcom, lors de la présentation de ce rapport en mars 2024. La parité n’est donc pas un objectif, c’est un devoir. »

Longtemps, le journalisme sportif est resté un bastion masculin ; les journalistes femmes étaient cantonnées à certaines épreuves comme la gymnastique. Une meilleure représentation des femmes dans l’univers sportif s’inscrit dans un mouvement sociétal pour plus de reconnaissance et une volonté de rééquilibrage des inégalités entre hommes et femmes. « La question de la représentation des femmes est d’abord une question de société, rappelle Laurent-Éric Le Lay, directeur des sports de France Télévisions, mais celle-ci se pose tout particulièrement dans le domaine sportif. » Un constat que partage Lionel Dangoumau, directeur de la rédaction de L’Équipe : « Nous nous posons quotidiennement la question de la mise en avant des sportives et des équipes féminines ; la société nous demande évidemment de nous la poser. »

Les médias sportifs ont construit leur succès sur une audience très largement masculine. Seuls 20 % des lecteurs du quotidien L’Équipe sont des lectrices. « Nous devons faire en sorte que notre audience soit plus représentative, cela nous permettra aussi de développer notre lectorat », note Lionel Dangoumau. « Il y a évidemment un enjeu sociétal et éthique à féminiser notre audience, reconnaît Karim Nedjari, directeur général de RMC Sport. Mais ne soyons pas hypocrites, c’est aussi un enjeu commercial. »

Paris 2024, un accélérateur

L’audience des événements sportifs serait-elle donc strictement masculine ? « C’est effectivement vrai sur les sports très puissants sur le plan médiatique, comme le football, le rugby ou les sports mécaniques. Ça l’est moins sur des événements comme Roland-Garros, où l’audience est quasi-paritaire [48 % de femmes], les Jeux olympiques [46 % pour Tokyo] et surtout paralympiques [50 %] », relativise Laurent-Éric Le Lay.

Du fait de leur audience naturellement paritaire et de l’engagement de Paris 2024, les Jeux de Paris constituent une occasion en or pour accompagner cette féminisation de l’audience. « Les Jeux olympiques constituent un miroir de leur époque, comme l’ont montré les exemples de Berlin en 1936 ou de Moscou en 1980, rappelle Karim Nedjari. Paris 2024, avec son ambition de parité, constitue aussi un miroir grossissant de notre époque. » D’autant que, comme le souligne Lionel Dangoumeau, « les Jeux sont le seul grand événement où les hommes et les femmes sont en compétition en même temps ; le public accorde autant d’intérêt aux performances féminines que masculines ».

L’arrivée d’Estelle Denis

Depuis la Coupe du monde de foot 1998 et l’engouement de l’ensemble des Français et des Françaises pour les performances des Bleus, les médias ont bien compris l’enjeu qu’il y avait à offrir une meilleure visibilité des femmes sur les plateaux sportifs. L’arrivée en 2004 d’Estelle Denis sur Téléfoot (TF1) et On refait le match (RTL) - considérés comme des bastions d’un certain machisme sportif - marque une véritable rupture. Depuis, la présence de présentatrice sur les plateaux sportifs s’est largement développée. « Il est important d’incarner cette présence féminine à l’antenne », revendique Laurent-Éric Le Lay. Même constat chez RMC Sport. « Si l’auditrice ne se reconnaît pas à l’antenne, nous n’arriverons pas à développer notre audience, admet Karim Nedjari. Le temps où la femme représentait "l’atout charme" d’une émission sportive est révolu, ce n’est plus le reflet de notre époque. »

L’engagement de parité de Paris 2024 impose aux médias sportifs de suivre, voire d’amplifier, le mouvement. France Télévisions, Eurosport et RMC, diffuseurs officiels de l’événement, se sont engagés à garantir une parité femmes-hommes systématique à l’antenne pour les journalistes et les consultants.

Mais la présence de journalistes femmes n’est pas suffisante, il est aussi important de donner plus de visibilité aux sportives. Les carrières de Jeannie Longo, Marie-José Pérec ou Laure Manaudou ont démontré, s’il en était besoin, que les performances sportives féminines peuvent suscitent autant d’intérêt médiatique que celles des hommes. « Le fait d’avoir et de donner de la visibilité à des role models, c’est important, ça ouvre des perspectives pour les jeunes filles », souligne Géraldine Pons, directrice des sports de WBD Sports et d'Eurosport. France Télévisions accompagne ainsi la féminisation des sports historiquement considérés comme masculins en diffusant sur ses « grandes chaînes », France 2 et France 3, les matchs de foot ou de rugby de l’équipe de France féminine ainsi que le Tour de France féminin.

Des rédactions encore trop masculines

Pour autant, malgré une visibilité croissante des femmes à l’antenne, les rédactions sportives souffrent encore d’un large déficit de parité. Les rédactions des sports de France Télévisions ou de L’Équipe sont encore masculines à 80 %, celle de RMC ne compte que 10 % de femmes. Pour combler ce déficit, RMC a signé la charte pour une plus grande égalité femmes-hommes dans les rédactions sportives et impose désormais la parité dans les recrutements. « Dans le domaine sportif, il faut une politique volontariste pour faire bouger les choses », revendique Karim Nedjari. Mais « nous ne pourrons pas passer du jour au lendemain de 80 % d’hommes à 50 %, cela va forcément se faire sur la durée », note Laurent-Éric Le Lay.

D’autant que les a priori sur le sport et les femmes s’installent dès l’école, regrettent les professionnels. « Aujourd’hui, sur 10 candidatures pour un poste aux sports, il n’y en a qu’une seule de femme », se désole Géraldine Pons, qui par conséquent porte une attention toute particulière aux candidatures féminines : « Quand il y a deux candidats, je regarde systématiquement s’il y a une femme compétente. » Même constat du côté de la chaîne L’Équipe. « La question que l’on se pose donc, c’est : est-ce qu’il ne faut pas donner un petit coup de pouce aux jeunes femmes ? », s’interroge son directeur, Jérôme Saporito.

Nathalie Iannetta, directrice des sports de Radio France, Géraldine Catalano, rédactrice en chef du magazine L’Équipe, ou Winny Claret, rédactrice en chef adjointe du rugby chez RMC Sport… Si les femmes sont peu nombreuses dans les rédactions sportives, les femmes cheffes de service ou à des postes d’encadrement sont rares. « Il faut dépasser le stade de la femme présentatrice pour renforcer l’encadrement féminin », clame Jérôme Saporito. « Si nous avons plus de femmes à l’encadrement, nos émissions auront une tonalité plus féminine », développe-t-il. Un constat que ne va pas contredire Géraldine Pons, la seule femme à la tête d’un grand média sport : « Il est important qu’il y ait, hors visibilité, des femmes à des postes de responsabilité dans le sport. On travaille toujours mieux à parité, cela permet d’élargir les sujets et les angles traités : il y a des questions que les hommes ne se posent pas trop, et inversement. » Un mouvement qui reste largement à amplifier…

Les grands événements sportifs paritaires en audience

« Le public féminin se mobilise plutôt sur les grands événements sportifs, comme les Jeux olympiques, le tournoi de Roland-Garros ou les matchs de la Ligue 1 de football », constate Jean-Charles Malbernard, directeur de clientèle à CSA Research. Selon les résultats de la dernière édition de l’étude Sport UX, 45 % des personnes qui se déclarent intéressées par les JO sont des femmes, 44 % pour Roland-Garros et 32 % pour les matchs de L1. « Les femmes suivent plutôt les grandes compétitions mixtes, qui jouissent d’une meilleure exposition médiatique que les épreuves féminines », complète Jean-Charles Malbernard, qui a analysé en exclusivité pour Stratégies les comportements comparés des femmes et des hommes. En corollaire, « les femmes ne se sont pas encore totalement emparées des disciplines féminines des grands sports médiatiques comme le foot ou le rugby », constate-t-il. Les femmes ne représentent en effet que 37 % du public se déclarant « intéressé » par le foot féminin et 29 % pour le rugby féminin. « Même s’il subsiste un écart significatif avec les hommes, les femmes s’intéressent et suivent l’actualité sportive » : 58 % de femmes déclarent s’intéresser à l’actu sportive (vs 80 % pour les hommes). Les hommes restent, sans conteste, les plus gros « consommateurs » de sports dans les médias : 42 % d’entre eux regardent des émissions ou lisent la presse sportive plusieurs par semaine, alors que les femmes ne sont que 14 %. Parallèlement, seules 6 % de femmes se considèrent comme « fan » de sport (vs 25 % des hommes).

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