Le patron de CMA CGM Rodolphe Saadé complète avec ces nouvelles pièces maîtresses que sont BFM et RMC le puzzle de son extension dans les médias.
En entrant en négociations exclusives avec Patrick Drahi pour le rachat d’Altice Média, Rodolphe Saadé ne s’apprête pas seulement à mettre la main, pour 1,55 milliard d’euros, sur BFM et RMC ainsi que sur leurs déclinaisons thématiques ou régionales. Il s’achète aussi une entrée dans la cour des grands avec un groupe qui représente 7 % de l’audience TV et 6,2 % de l’audience radio. Sans oublier 170 millions de visites numériques par mois et une force de frappe dans l’information avec la première chaîne d’info en continu.
Dans quel but ? Bien sûr, il s’agit pour l’armateur franco-libanais, qui possède déjà 10 % du groupe M6 et une participation dans Brut, de compléter par de l’audiovisuel son groupe Whynot Media (La Provence, Corse Matin, La Tribune et La Tribune Dimanche) tout en obtenant un ensemble très profitable (112 millions d’euros d’ebitda pour 362 millions d’euros de CA). Une complémentarité, donc, qui permettra d’éviter la case de la Commission européenne, selon CMA CGM, qui reste suspendu aux feux verts de l’Autorité de la concurrence et de l’Arcom.
Les sésames ne devraient pas être compliqués à obtenir, Altice Média n’étant pas en position dominante et le nouvel actionnaire ayant exprimé sa volonté de respecter « des valeurs de proximité, d’information fiable, de pluralisme éditorial, d’éthique journalistique et de développement de l’innovation », selon un porte-parole. Bref, tout pour plaire au régulateur et lui montrer qu’un renouvellement des autorisations d’émettre n’engage pas les sages dans un horizon hasardeux à la façon de Bolloré avec ses chaînes gratuites. Le temps presse : Altice Media a jusqu’au 15 mai pour transmettre le dossier de candidature à un renouvellement pour cinq ans de BFMTV, période pendant laquelle la chaîne sera incessible.
« En ligne avec l’actionnaire »
Rodolphe Saadé fait savoir, en outre, qu’il ne va pas « dérouler le tapis rouge aux extrêmes » même si elles totalisent la moitié de l’opinion, comme le relate Bruno Jeudy, directeur délégué de La Tribune Dimanche dans un podcast de Mediaconnect. « Il est évident qu’il faut être totalement en ligne avec l’actionnaire », rapporte-t-il, mais « il y a deux sortes de propriétaires de journaux : ceux qui laissent les journalistes les diriger et ceux qui ne les laissent pas. Il a choisi la première catégorie ».
Devant les salariés, mardi 19 mars, Rodolphe Saadé n'a pas exclu une charte éditoriale, mais il a répondu à un journaliste qui lui demandait comment il réagirait si ses antennes faisaient le Une sur un cas scandale à CMA-CGM : « Pas bien ! ». Avant de reconnaître qu'il ferait savoir son mécontement : « Je ne vous raconterai pas d'histoire : quand ça ne va pas, je vous le dirai. Peut-être que ça change d'avant mais cela a le mérite d'être clair ». Cela a fait bondir les élus de La Tribune qui pointent le risque d'intimidation et d'autocensure dans un communiqué interne révélé par les Echos : « Faire savoir son mécontentement en cas d'article jugé déplaisant est une ingérence éditoriale grave, tout comme regretter une trop faible mise en avant des papiers jugés positifs », écrivent-ils.
A Altice Média, l'idée est en tout cas de ne rien bouleverser. Arthur Dreyfuss, le patron d’Altice Media, y voit le respect de toute une équipe : « Signe de la reconnaissance de la qualité du travail et de la force de notre engagement, il a été demandé au management de poursuivre l’aventure dans le même esprit que celui qui a présidé aux dernières années du groupe », écrit-il aux salariés. Les médias devraient ainsi rester, au moins dans un premier temps, dans leurs locaux de Balard, propriété de Patrick Drahi.
Cela ne veut pas dire que l’armateur n’inquiète pas. Le SNJ craint pour les 1 700 emplois d’Altice Media, dont 900 journalistes. Une intégration dans Whynot Media pourrait être l’occasion de réaliser des économies à travers des synergies entre La Provence et BFM Marseille par exemple ou entre La Tribune et BFM Business. Sur le plan éditorial, un journaliste perçoit un alignement médiatique sur les intérêts du pouvoir : Macron aujourd’hui, Attal demain. Il est vrai que CMA CGM est jugé proche des hautes sphères de l’État. Il en a besoin pour éviter une taxe sur les superprofits et surtout la révision d’un avantage fiscal qui lui permet d’être taxé de façon dérogatoire en Europe sur le tonnage de ses 650 bateaux. Et non sur les profits.