La chaîne et le site de RT [Russia Today] ne sont plus diffusés dans les 27 pays de l'Union européenne. Mais la France risque d'en payer le prix à travers France 24 et RFI.
Comme la centaine de journalistes de RT France, il ne cache pas sa surprise. « Depuis que je suis arrivé, il y a trois ans, l’objectif numéro 1 est de ne pas diffuser de fake news. Nous avons eu une mise en demeure en 2018 [à propos une traduction erronée sur la guerre en Syrie] mais depuis, rien. Notre convention avec le CSA a été renouvelée début 2021. On se savait scrutés par l’Arcom mais on ne s’attendait pas à être bannis de 27 pays de l’UE», témoigne cet élu du SNJ qui demande l'anonymat par crainte des menaces exercées contre RT et ses 176 salariés.
Ainsi en a décidé l’UE, qui s’est exprimée à travers la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, pour qui RT et Sputnik sont « la machine médiatique du Kremlin » qui diffusent des « mensonges » et nécessitent d’« interdire leur désinformation toxique et nuisible ». Thierry Breton, le commissaire européen, a précisé que la « procédure de sanction » porterait sur tous les modes distribution : câble, IPTV, satellite… L’Arcom, on le sait, a le pouvoir d’interrompre la diffusion de la chaîne et de son site web. Bloqué par Facebook, TikTok et YouTube, RT devient ainsi inaccessible tant sur les box Free ou Canal que sur Internet.
«Pluralisme relatif»
Qu’est-ce qui justifie cette décision de Bruxelles, en dehors de la volonté de l’inclure à un paquet de sanctions contre Moscou ? « Confondre, sans la moindre nuance, le travail d'une rédaction avec la politique du pays qui la finance est un raccourci dangereux », prévient le SNJ. La crainte de l’exécutif a, semble-t-il, porté sur l’accusation de « génocide » employée à propos du Donbass ainsi que la stigmatisation des Ukrainiens sous le terme d’« Ukro-nazis ». Même si des présentateurs de RT ont pu reprendre leurs interlocuteurs pro-russes dans l’emploi de ces mots, il s'agit là d'une justification mensongère à l’invasion. Ensuite, la ligne éditoriale consistant à « confronter les narratifs », comme dit RT, permet certes de diffuser les déclarations des deux camps, russe et occidental, mais n’établit pas clairement les responsabilités relatives aux violations du droit international.
D’autant que la chaîne a préféré parler en bandeau d’« opération militaire spéciale » russe au lieu de « guerre » ou d’« invasion ». « Il y a l'effort d'un affichage d'un pluralisme relatif, observe Maxime Audinet, chercheur à l'Irsem et auteur de Russia Today, un média d'influence au service de l'État russe (INA Éditions 2021). Mais c'est un pluralisme un peu factice avec une confrontation de points de vue entre la Russie et l'Occident, où il y a peu de contextualisation et où on ne hiérarchise pas. »
Un coût «très lourd»
Pour autant, RT, avec ses 3,7 millions de visites sur internet en France (source Similarweb) est-elle de nature à orchestrer une propagande insoutenable ? « Le coût d'une interdiction de RT France sera très lourd », prévient Maxime Audinet. La France étant le seul pays de l’UE où la chaîne a une autorisation, cela entraînera l’interdiction en Russie de RFI (fort d’une rédaction russophone) et de France 24 où la chaîne est accessible auprès de 28,7 millions de foyers. Mais RT et Sputnik souffrent d’être vus comme des « organes de propagande » par Emmanuel Macron depuis son élection en 2017. Pas question pour lui d’entraver sa possible réélection.