Réforme de l’audiovisuel public, arbitrage sur les secteurs interdits, clarification du pluralisme, États généraux de l’information, intelligence artificielle… La ministre de la Culture Rachida Dati va s’attaquer à de nombreux dossiers de communication et de médias.
Tout un symbole. C’est devant la fresque de Ducos de la Haille, dans le forum du Palais de la Porte Dorée abritant le Musée de l’histoire de l’immigration, que Rachida Dati a choisi, ce 29 janvier, de présenter ses vœux aux acteurs culturels. Face à des centaines d’invités, devant l’allégorie de la France drapée du blanc pacifique et du rouge de l’empire colonial, elle développe les ambitions de sa politique culturelle. Avant de mettre en avant sa vision de la « culture accessible à tous », faisant de chaque Français un « acteur de sa propre culture », elle réagit à un souvenir qui vient de lui être rappelé : une lettre écrite lorsqu’elle avait 21 ans, alors qu’en tant qu’ainée d’une famille de onze enfants, la fille d’ouvrier qu’elle était et qui ne croyait « pas être timide » écrivait au PDG de FR3 pour lui demander de présenter « une partie de l’émission Mosaïque ».
Derrière cette émission sur les cultures de l’immigration diffusée de 1977 à 1987, « un espace d’expression pour ceux qui n’en avaient pas », dit-elle. Rachida Dati serait-elle nostalgique de la télévision d’antan comme Nicolas Sarkozy avant elle ? Ou veut-elle veiller à ce que les jeunes issus de l’immigration, ou qui se disent que la culture n’est pas pour eux, puissent y trouver leur place ? Elle a en tout cas son idée d’une diffusion culturelle qui « récrée du lien » et d’un audiovisuel public qui « rassemble ses forces » en relançant l’idée d’une holding commune. De la réforme des médias publics à l’intelligence artificielle, de nombreux chantiers l’attendent dans la communication et des médias.
- L’audiovisuel public
En milieu de semaine dernière, Rachida Dati a réuni les députés de sa majorité pour leur dire qu’elle faisait de la réforme de l’audiovisuel public une de ses priorités. Il s’agirait d’aboutir en ouvrant une fenêtre législative dès ce printemps. L’idée serait de s’inspirer de la proposition de loi du sénateur Laurent Lafon qui, tout comme le rapport Gaultier-Bataillon sur l’avenir de l’audiovisuel public, préconisait la création d’une holding publique, en juin 2023. Contrairement à sa prédécesseure Rima Abdul Malak, qui avait écarté ce projet au profit de « coopérations par le bas », Rachida Dati mettrait ainsi rapidement en œuvre son souhait exprimé lors de ses vœux d’un « audiovisuel public fort » qui « rassemble ses forces » et permette d’« accélérer les coopérations entre sociétés ».
En attendant une « BBC à la française », idée qui avait son soutien, il s’agirait donc de chapeauter sous une société et une présidence communes, les différentes entités France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et INA. Mais encore faut-il vaincre pour cela les réticences des dirigeants de l’audiovisuel public et obtenir une majorité. C’est pourquoi la nouvelle gouvernance serait assortie d’une réforme permettant un « financement pérenne dédié », le prélèvement via une fraction de la TVA étant caduc à partir du 1er janvier 2025. L’idée est donc d’avoir l’appui des LR pour la réforme du financement, gage d’indépendance de l’audiovisuel public, en assurant une transformation sensible de la gouvernance. « Il faut faire cette réforme et vite. Vous pouvez compter sur moi », avait-elle lâché sur France Inter le 31 janvier.
- Les secteurs interdits
La direction générale des médias et des industries culturelles, dépendant du ministère de la Culture, a lancé le 30 janvier une consultation publique relative aux secteurs interdits de publicité TV consécutive à une étude publiée avec l’Arcom sur les transferts de valeur vers la publicité digitale qui prévoit des baisses annuelles pour les médias traditionnels d’ici à 2030 (-1,4 % pour la TV, -1 % pour la radio et -5,4 % pour la presse). Il s’agit d’abord d’étudier la pérennisation de l’expérimentation en faveur du cinéma, lancée en 2020, qui s’achève en avril prochain, et le déclenchement d’une phase d’expérimentation à propos de l’édition. L’idée est ensuite d’examiner différents ajustements réglementaires sur la question de l’accès des promotions de la grande distribution au petit écran, encore interdites en vertu d’un décret de 1992.
Auditionnés par une commission d’enquête parlementaire, présidée par Quentin Bataillon, le 15 février, les patrons des principales régies TV ont fait entendre leurs doléances. Au nom de l’asymétrie réglementaire et de la distorsion de concurrence par rapport aux grandes plateformes, François Pellissier (TF1), président du syndicat national de la publicité télévisée, a plaidé pour une levée des contraintes. « Le statu quo n’est plus possible », a-t-il affirmé, estimant qu’il y avait « consensus pour faire évoluer le cadre actuel ». Fabrice Mollier, pour Canal+ Brand Solutions, appelle en outre à une « plus grande souplesse dans la gestion des écrans publicitaires comme le permet la directive Télévision sans frontières ». Quant à Raphaël Porte, pour la régie d’Altice, il estime qu’il faut permettre le développement de la télévision segmentée « en termes de volume et en permettant d’y mettre des adresses ».
Problème, le consensus n’est pas aussi net comme en atteste Cécile Chambaudrie, pour NRJ Global, qui craint un reflux des annonceurs de la distribution qui assurent 47 % des recettes média radio, selon Kantar, à 92 % via des campagnes de nature promotionnelle. Plus significatif encore, Jean-Luc Chetrit, directeur général de l’Union des marques, qui ne s’oppose pas à l’ouverture télévisuelle de l’édition et du cinéma, s’est fait le défenseur de la radio et de la presse, qui sont, selon lui, des « outils de promotion directe ». « Nous ne sommes pas favorables à une ouverture de la publicité sur la promotion de la distribution en télévision », a-t-il déclaré.
Il ne peut qu’être entendu par le gouvernement qui a déjà reçu mi-janvier une note de l’Alliance de la presse d’information générale précisant que la distribution représente 20 à 40 % des recettes de la presse régionale. « Une dérégulation inconsidérée exposerait le financement de l’information à un risque massif », est-il écrit. En politique expérimentée, Rachida Dati ne manquera pas de poser le pour et le contre entre le lobbying des grands groupes audiovisuels et les intérêts des barons la presse régionale qui sont incontournables pour les élus parlementaires. Afin de répondre au grief d’affaiblir une presse déjà très fragilisée, les diffuseurs de télé privée seraient prêts à alimenter un fonds de soutien aux médias locaux à travers une taxe par exemple de 3 % sur les recettes générées par les promotions de la distribution, prélèvement auquel seraient aussi soumis les acteurs du numérique.
- Le pluralisme et la question Bolloré
Rachida Dati n’a certainement pas envie de se prendre de front la Bollosphère, qui n’a pas ménagé Rima Abdul Malak après qu’elle a laissé entendre que le renouvellement des autorisations de CNews et C8 sur la TNT, à partir de 2025, n’allaient pas de soi si leurs obligations n’étaient pas respectées. Un signe ? Elle a d’ores et déjà donné une interview au JDD qui a pu la citer en titrant « Le service public doit donner sa juste place à toutes les opinions », après deux pages vantant la « culture du combat politique » de la ministre face à « l’entre-soi culturel ». Mais Rachida Dati a aussi été dans la matinale de France Inter et défend ouvertement une conception d’un service public fort.
Va-t-elle se prononcer sur le pluralisme et l’affaire CNews à la suite de la décision du Conseil d’État (lire P. 30) ? « C’est extrêmement grave et cela nécessite que la ministre s’explique, estime Philippe Bailly, président de NPA Conseil, tous les médias sont potentiellement visés. J’y vois un vrai casse-tête, avec un risque de police de la pensée, de procès d’intention et des effets de bord sur le service public. Ou alors on aura des antennes qui seront des robinets d’eau tiède pour ne pas prendre de risques juridiques. L’Arcom va fixer ses propres critères, cela ne peut que se terminer par Dati ». Le gouvernement ira-t-il jusqu’à reposer les bases du pluralisme à l’heure d’internet et des réseaux sociaux ? La question mérite d’être posée.
- Les États généraux de l’information
Le financement des médias d’information dans un monde globalisé est au cœur des réflexions des États généraux de l’information [EGI] qui rendront leurs conclusions fin juin. À charge pour la ministre de traduire dans des propositions législatives ou réglementaires leurs préconisations. L’idée pourrait être de flécher davantage les investissements publicitaires vers les médias qui concourent au pluralisme de l’information, donc à la démocratie, face à des plateformes qui se contentent d’être des hébergeurs de contenus.
Mais comment faire ? En attendant un accord mondial, il existe déjà depuis 2019 une taxe Gafa à la française visant les géants du numérique qui réalisent plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires au niveau international. Son apport est estimé à 800 millions d’euros en 2024. Les EGI devront en tout cas se pencher sur ce qui défavorise les investissements en faveur des médias d’info comme les block-lists qui exclut de la publicité digitale des contenus avec le mot « guerre », par exemple, pour rassurer les annonceurs. « L’investissement dans les médias pourrait aussi être mis au crédit des bonnes pratiques dans la RSE des entreprises tandis que les investissements directs du gouvernement pourraient être mieux orientés », estime Philippe Bailly, qui participe aux EGI. On peut imaginer aussi des avantages fiscaux à investir dans l’information.
- L’équation budgétaire
Alors que 10 milliards d’euros d’économies ont été annoncés dimanche 18 février par le ministre de l'Économie Bruno Le Maire pour réduire le déficit public, la moitié se fera par l’annulation de politiques publiques et l’autre, en taillant sur les frais de gestion de tous les ministères. Celui de Rachida Dati sera donc concerné comme les autres mais « l’audiovisuel public ne serait pas touché par les coupes », veut croire un proche d’une présidente. Reste que le budget 2024 avait été présenté avec une trajectoire budgétaire qui sera difficile à tenir dans les années à venir et qu’une loi de finance rectificative est toujours possible. Certaines inquiétudes se font sentir à Radio France ou au CNC, dont l’aisance budgétaire du fonds de roulement (800 millions d’euros) est toujours lorgnée par Bercy. La locataire de la rue de Valois devra aussi répondre à Bruxelles qui a été saisi par TF1 en raison d’« aides illégales d’État » à France Télévisions (taux super réduit de TVA, compensation d’une taxe sur les salaires en raison d’un financement par une fraction de TVA).
- L’intelligence artificielle
« Il y a urgence à inventer un nouveau cadre éthique pour que la technologie soit au service de la culture, de la rémunération des créateurs, de la découverte par tous de la diversité de notre culture », a lancé Rachida Dati, le 29 janvier, en même temps qu’elle dévoilait un appel à projets sur la création immersive et le métavers. En matière d’IA générative, elle reste cependant sur une position traditionnelle du gouvernement consistant à ne pas freiner l’innovation tout en protégeant la création. « La France a essayé de faire capoter l’IA Act qui voulait seulement de la transparence sur les systèmes d’entraînement, tonne Pascal Rogard, directeur général de la SACD. Rachida Dati a intérêt à s’emparer de ce sujet qui concerne la presse, l’audiovisuel, le cinéma, les arts graphiques… Elle a intérêt à monter au créneau rapidement là-dessus : on ne peut laisser nos créations être utilisées sans droits d’auteur pour ensuite détruire nos emplois ». Révélateur : une réunion à Matignon sur l’IA ne comportait aucun représentant des industries culturelles. « Ma grande arme est la combativité », assure Rachida Dati. Elle va en avoir besoin pour mener à bien, avant les municipales parisiennes, tous ses chantiers. Un procès après sa mise en examen pour corruption passive n’est, en tout cas pas attendu, avant fin 2025 début 2026.