PDG du groupe TF1 depuis le 3 février 2023, Rodolphe Belmer livre les grands axes de sa stratégie consistant à aller sur le marché de la vidéo digitale avec TF1+ et à créer de nouveaux carrefours d'audience le matin avec Bonjour ! et en début d'après-midi avec Plus Belle la Vie.
Qu’est-ce que TF1+, annoncée pour ce 8 janvier, va apporter au marché publicitaire ?
RODOLPHE BELMER. TF1+ est un projet technologique et éditorial visant à accompagner la mutation des usages, qui se déplacent de plus en plus vers le non linéaire. Pour capter notre juste part de ces nouveaux usages, notre ambition est de nous établir comme la destination gratuite de référence pour le divertissement et l’information à la demande des familles en France.
Aujourd’hui, 28 millions de Français consultent chaque mois MyTF1, mais à raison de trois heures par mois seulement. Nos grands concurrents dans cet environnement sont dans une échelle totalement différente : YouTube et Netflix par exemple sont consommés plus de 20 heures par mois. Nous allons faire croître notre consommation en référençant TF1+ à côté des autres plateformes à la demande sur écrans TV et les box. Et aussi, bien sûr, en approfondissant notre catalogue de programmes. Avec 15 000 heures de programmes dans tous les genres, disponibles à chaque instant, nous aurons une offre très compétitive.
En parallèle, nous constatons que le marché de la publicité digitale vidéo est en croissance. Il pèse 2 milliards d’euros et croît d’environ 15% par an. Nous avons aujourd’hui une part anecdotique de ce marché avec MyTF1, de l’ordre de 4% [90 millions d'euros]. Avec TF1+, nous visons une part de marché à deux chiffres à moyen terme. Pour accroître nos inventaires publicitaires, nous allons optimiser la charge publicitaire. À l’issue d’une longue série de tests, nous avons opté pour une charge de l’ordre de six minutes par heure, principalement en mid-rolls, avec des pre-rolls réduits.
Tout cela devrait nous amener à produire une alternative intéressante à des acteurs comme YouTube, tant en termes de durée d’inventaire que de qualité de data, et ainsi obtenir notre juste part de ce marché. Cela nous permettra aussi de relancer la croissance de notre chiffre d’affaires publicitaire et par conséquent d’être durablement l’acteur capable de produire et financer les contenus premium les plus intéressants à destination des familles.
Comment cela va-t-il se passer pour le profiling du téléspectateur ? Vous avez notamment annoncé un nouvel algorithme de recommandation dédié à l’écoute conjointe…
Nous proposons pour l’essentiel des programmes destinés à une audience familiale. Nous avons imaginé le premier algorithme de recommandation fait pour l'écoute conjointe. Une innovation mondiale. L’un des principaux irritants de l'utilisation des plateformes de SVOD est le temps de choix d'un programme lors d'une situation d'écoute à plusieurs, parce que l’on ne peut activer qu'un seul profil à la fois. Sur TF1+, vous allez arriver sur une page d'accueil comparable à celle de Netflix, Disney+, etc., avec différents avatars, sauf qu'à la place de vous demander : « qui est-ce ? », on vous demandera : « qui est là ? » L'algorithme de recommandation proposera alors des programmes adaptés au sous-groupe famille présent avec un autre bénéfice, le fait de pouvoir accéder à la poursuite de lecture pour ce sous-groupe. Ainsi, nous allons pouvoir identifier non seulement le profil foyer mais aussi le profil individuel. Nous saurons qui est devant la télévision. D’où ces inventaires qualifiés et profilés au niveau granulaire proposés au marché.
Quid du mode de commercialisation ?
Nous allons vendre TF1+ à la fois de gré à gré, notamment par le biais de partenariats data, et en programmatique. Sur ce volet, nous n’avons pas encore tout à fait défini la plateforme technologique. Notre objectif est de simplifier la vie des agences par des solutions ergonomiques.
Allez-vous augmenter vos prix ?
Le linéaire est vendu autour de 5 euros du coût pour mille (CPM). Nos inventaires digitaux sont autour de 15 euros du CPM car le ciblage que l’on propose a une valeur et un impact. C’est un niveau de pricing moyen sur le marché, entre YouTube (5 euros du CPM) et Netflix (entre 40 et 50 euros du CPM). Nous avons commencé nos roadshows [réunions de présentation] auprès des agences et des grands annonceurs début décembre. Nous avons reçu un accueil très positif. Sept grands partenaires dans la grande distribution, l’automobile, la banque, la beauté, les télécoms, la restauration rapide ou le luxe accompagnent le lancement de TF1+.
Si un annonceur se désengage de la télévision linéaire pour aller vers TF1+, cela vous convient ?
Non, car notre linéaire est un outil précieux pour assurer un reach important à nos clients. C’est ce qu’il y a de plus performant pour atteindre rapidement des niveaux de notoriété élevés. Le digital, lui, sert à adresser des publicités affinitaires sur certaines cibles. Nous avons désormais deux produits complémentaires : TF1 pour le reach, TF1+ pour les cibles dataïsées. TF1+ est donc purement du new business et nous rentrons sur un nouveau marché, pour répondre à de nouveaux besoins des marques.
L’autre nouveauté du 8 janvier est le lancement d’une matinale sur TF1…
Signe de notre ambition de consolider le linéaire en même temps que nous développons TF1+. Nommée Bonjour !, cette matinale (6h58-9h30) est une nouvelle case qui représente à la fois un investissement financier (plus de 10 millions d’euros) et un enjeu éditorial. Nous pensons qu’il y a une demande d'information en ce moment, que le contexte crée une appétence pour de l'information de qualité. Le deuxième élément de réflexion est de l’ordre de la stratégie concurrentielle. Dédiée aux programmes pour enfants, notre case du matin est historiquement faible sur l’ensemble du public. Dans la logique de consolider durablement le leadership de TF1, nous avons souhaité renforcer certains carrefours d'audience de la chaîne, le matin, mais aussi juste après Le 13H, pour créer deux nouveaux piliers d’audience. La logique stratégique rencontre la logique citoyenne. L’idée est d'accompagner le réveil des Français avec une séquence d'information et d'accueil.
Vous évoquez un carrefour après Le 13H avec le feuilleton Plus Belle la Vie. Comment la greffe d’une marque assez identifiée à France 3 va-t-elle prendre à TF1 ?
Plus Belle La Vie est aussi lancé le 8 janvier car il est destiné à soutenir le lancement de TF1+. C’est une franchise connue avec une base de fans importante, avec un volume de programmes disponibles conséquent. Le 13H rassemble 4,5 millions de téléspectateurs chaque jour, soit une audience presque deux fois supérieure à celle de son principal concurrent à la même heure. La question s'est posée de savoir comment étendre ce pic d'audience significatif le plus longtemps possible dans l'après-midi. Nous avons réfléchi à un programme affinitaire avec le public du journal, actif et provincial. Il ne fallait pas qu’il soit trop long parce qu’une partie des actifs retourne ensuite travailler. Or un épisode de Plus Belle La Vie dure une vingtaine de minutes. Ce troisième feuilleton va nous permettre de créer un carrefour puissant. Sur son adéquation avec TF1, les valeurs sont compatibles. À l’annonce de la relance du programme, il y a eu un enthousiasme indéniable et massif sur les réseaux sociaux. Quant à l’audience, elle sera rajeunie car notre public est plus jeune que celui du service public. L’objectif est de maintenir le public du 13H. Et si des gens viennent en plus, c’est merveilleux.
Comment voyez-vous l’arrivée de la publicité sur Prime Video (Amazon) en France en 2024 après Netflix et Disney+ ? La plateforme Max (Warner Bros. Discovery) est également annoncée pour cette année…
L’arrivée de ces acteurs sur la publicité « valide » notre stratégie sur le digital autour des programmes longs et de la consommation à la demande. Ces acteurs rentrent aujourd’hui avec des CPM plus élevés que nous et, étant payants, des inventaires par définition plus parcellaires que les nôtres. De plus, ils pratiquent une politique de prix beaucoup plus élevés – entre 30 et 50 euros du CPM -, reflet de la rareté de leurs inventaires. Notre proposition sera cœur de marché avec des inventaires beaucoup plus massifs et des prix d’environ 15 euros du CPM.
Dans cette perspective, nous ne nous sentons pas en concurrence frontale avec les plateformes américaines de SVOD qui, de surcroît, sont intégrées à l’écosystème media en France, financent des obligations de production et participent ainsi à la créativité de notre secteur et contribuent à la richesse nationale. Elles sont, en ce sens, très différentes des réseaux sociaux et des hébergeurs qui pourtant bénéficient d’asymétries réglementaires très fortes.
Sur la distribution, où en êtes-vous ?
TF1+ sera distribué dans les grands magasins d'applications, chez Apple, Google, Samsung. Mais notre enjeu de distribution ne s’arrête pas là. Notre objectif est de créer une destination de référence pour le divertissement à la demande des familles françaises. Et donc d’assurer une visibilité de la plateforme à l'endroit où les Français vont pour se divertir à la demande, c’est-à-dire sur le rail des téléviseurs connectés sur lequel sont présentes les applications de Netflix, Prime Video et Disney+. Cette « première visibilité », nous l’avons négociée avec Orange, SFR et Bouygues Telecom. Pour ce faire, nous avons revisité nos relations avec les opérateurs telecoms et construit un nouveau modèle mutuellement bénéfique et avons aligné nos intérêts autour d’un partage du surcroit de valeur généré par ces nouveaux usages.
Nous bénéficierons de ce même genre de visibilité sur les Smart TV et notamment celles opérées par Google, soit près la moitié des Smart TV en France. Même chose sur les TV Samsung, LG et Amazon Fire. Sur les TV Hisense, nous aurons en plus un bouton TF1+ sur la télécommande.
Comment le groupe TF1 expérimente-t-il l’intelligence artificielle ?
Nous menons beaucoup de tests, dont certains sont déjà en phase d'industrialisation. En plus de notre algorithme de recommandation d'écoute conjointe qui s'appelle Synchro, je peux citer un développement baptisé Top Chrono, qui propose aux utilisateurs des résumés de matchs de sport de la durée qu’ils souhaitent. Testé pendant la Coupe du monde de rugby, il sera sur TF1+ à partir de mars. Côté info, nous intégrons des dispositifs d'intelligence artificielle sur notre chaîne de traitement des contenus. Par exemple, nous travaillons actuellement sur des moteurs d'indexation automatique des contenus de manière à pouvoir produire des méta-datas et de l'archivage de qualité supérieure et à une vitesse beaucoup plus rapide. Un tel moteur sait notamment indexer des journaux : décrire par le détail, avec des mots, ce qui s'y passe. Ces données sont ensuite utilisées, soit pour rechercher des séquences dont a besoin, soit pour les intégrer dans des moteurs de recommandation.
Nous utilisons aussi l’IA pour produire des bandes annonces ainsi que des books de présentation de nos programmes, par exemple chez Newen [filiale production de TF1]. L’IA dans les médias va avoir un impact significatif pour améliorer la productivité et les valeurs de spectacle dans les programmes. La différenciation par l’argent, par les budgets de production, deviendra un peu moins importante que par le passé. C’est une formidable opportunité pour l’industrie créative européenne.
Comment va évoluer le modèle économique du groupe TF1 en 2024 et est-ce que TF1+ va permettre d'inverser le relatif déclin des recettes publicitaires observé l'année passée ?
Le groupe est rentable tant en profit qu'en cash-flow et affiche un bilan robuste. Publicitairement, l’année 2023 a été marquée par un trou d’air significatif au premier semestre, quasiment effacé par un rebond du marché au second semestre.
Nous pensons que le marché de la publicité à la télévision linéaire (3,1 milliards d’euros) va rester stable dans les prochaines années grâce au reach sans équivalent que le média en général et que TF1 en particulier apportent. Nous souhaitons continuer à développer nos parts d'audience sur les cibles commerciales de manière à faire croître le pourcentage de ces 3,1 milliards d'euros que nous captons aujourd'hui, soit environ 46 % à date. Pour cela, nous rajeunissons notre grille de programmes : c’est tout le travail réalisé par Ara Aprikian [le directeur général adjoint aux contenus du groupe] et ses équipes sur la modernisation de notre ligne de programmes de fiction autour de nouveaux héros récurrents. Voilà aussi pourquoi nous souhaitons développer l’audience le matin et à 13 heures. Au-delà du linéaire, notre gros axe de croissance est TF1+, qui devrait apporter plusieurs centaines de millions d'euros de chiffre d'affaires à terme et améliorer la profitabilité du groupe tout en permettant d’accroitre sa capacité à investir dans des programmes premium. Sans oublier que nous allons continuer à investir dans la production avec Newen pour constituer un actif de croissance sur ce marché adjacent au nôtre.
Pour financer ces développements tout en préservant la rentabilité et le cash-flow du groupe, nous avons annoncé un plan d’économies de l’ordre de 40 millions d'euros par an à horizon 2025. Ces économies comportent un volet organisation au travers d’un dispositif de Gepp [gestion des emplois et des parcours professionnels], concernent aussi nos achats hors programmes, notre empreinte immobilière et nos dépenses en DSI. Les économies réalisées servent à recruter environ 150 personnes dans les métiers adtech et data et à financer la plateforme ainsi que son référencement.
TF1+ voit grand pour son lancement avec Belle
Le lancement de TF1+ le 8 janvier sera soutenu par un dispositif de communication massif. C’est l’agence Belle qui a été sélectionnée par le groupe TF1 pour l’accompagner sur ce sujet. La plateforme sera promue sur les différents supports du groupe (chaînes, réseaux sociaux, plateforme digitale) et via ses partenaires. Le déploiement s’effectuera en TV, DOOH et digital. Le branding est réalisé par l’agence 4uatre.