Le directeur de l’information de l’Agence France-Presse revient sur les grandes actualités de la semaine.
L’assassinat d’un professeur à Arras, et le film amateur de l’attentat disponible immédiatement après sur les réseaux sociaux.
Ça fait dix ans qu’on gère ce type de situations en temps réel. On a commencé à voir cette problématique avec la guerre en Syrie et, lors de l’attentat de Charlie Hebdo, avec les photos du policier tué. Au début, les images étaient partout, sur les grandes chaînes ou à la Une. Nous sommes devenus beaucoup plus prudents, nous savons mieux comment traiter ces images et ne pas les diffuser de manière irresponsable. Mais le monde des réseaux sociaux nous échappe. Le défi est de raconter l’histoire et de ne pas faire la propagande des groupes, de ne pas servir à une instrumentalisation. C’est difficile car ce contenu existe dans l’écosystème de l’information, et on a une bataille pour les audiences. Il faut vérifier et contextualiser.
Les vidéos et les photos témoignant des massacres et des prises d’otages commis par le Hamas en Israël.
Les photographes et les vidéastes de l’AFP ont aussi pris des images difficiles des atrocités qui ont touché de nombreuses victimes. C’est dur à regarder, mais c’est une partie de l‘histoire alors même que le Hamas a filmé et mis sur les réseaux ses propres images. On ne peut pas les ignorer. L’important est de ne pas les promouvoir et de les mettre en contexte. On a vu aussi beaucoup d’images de vidéosurveillance à l’entrée des kibboutz ou venant des caméras des voitures. Aujourd’hui, tout est filmé, il y a des caméras partout. Cela nous aide à comprendre ce qu’il s’est passé. Mais c’est très dangereux de penser que ce type de contenus peut remplacer un journaliste sur le terrain. Après la mort d’un journaliste en Ukraine, on m’a demandé s’il était toujours nécessaire d’aller sur le front, dans les tranchées. La réponse est oui. Car ces images montrent une partie de l’histoire mais pas toute l’histoire. Si l’on regarde les réseaux, le langage de haine domine des deux côtés.. C’est alimenté par ces vidéos et c’est très inquiétant. On sent que ça devient de pire en pire car les plateformes ne sont pas assez sous pression.
Les fausses informations circulant sur ces massacres et la guerre de représailles engagée par Israël à Gaza.
Il y a beaucoup de fausses informations et d’infos extrêmement difficiles à confirmer des deux côtés. Tout est enflammé par les réseaux. Nous avons passé un temps fou, par exemple, à essayer de confirmer l’histoire des 40 bébés israéliens décapités. En vain. Nous avons interrogé toutes nos sources, le gouvernement israélien, nous n'avons pas été capable de la confirmer. C’est une histoire qu’on voit pourtant sur les réseaux et dans pas mal de médias. Elle semble être partie de soldats. Ce n’est pas forcément un narratif trompeur mais il y a beaucoup d’émotion qui s’exprime. Et même si on réussit à prouver qu’il faut nuancer, l’info est déjà partie. Tout se passe en temps réel. Il en va de même concernant l’explosion d’un convoi de civils à Gaza. Ça peut venir des Israéliens ou d’une voiture sur place. La prudence est très importante. Nous restons ouverts mais nous n'avons pas les éléments pour confirmer ou infirmer les faits.
La décision de l’AFP de demander à ses journalistes de ne pas intervenir sur les réseaux sociaux à propos de cet événement.
Cela fait longtemps que nous suivons les événements de cette région. Nous avons beaucoup de journalistes dans les pays musulmans ou venant de différentes communautés, parfois loin de la problématique. Chaque mot compte. Un adjectif ou un titre mal formulé ou sorti de son contexte peut avoir un impact très négatif. Il faut rester extrêmement prudent pour ne pas mettre en danger la réputation de l’agence et pour protéger nos équipes, qui sont parfois en première ligne en termes de harcèlement. D’autant qu’il y a un niveau de virulence jamais vu. Nous avons été obligés de calmer le jeu. Je comprends que c’est un peu contre l’esprit de la Toile libre. Mais c’est une consigne que nous allons continuer à pousser. Il faut rappeler ce qu’il s’est passé sur X depuis qu'Elon Musk l’a acheté : c’est un endroit où le débat rédactionnel des médias a disparu et a été submergé par la haine et la désinformation.
La BBC qui refuse de nommer les combattants du Hamas des « terroristes » au nom du traitement impartial dont elle se réclame.
Nous avons la même consigne chez nous. Nous n'utilisons pas le mot « terroriste » à l’AFP. Nous pouvons employer l’adjectif pour parler d’un attentat « terroriste », mais c’est un mot qui est devenu presque redondant car c’est instrumentalisé par des groupes et des gouvernements partout dans le monde pour pousser leur agenda. Les Russes peuvent dire que les Ukrainiens sont des terroristes, les Chinois parler ainsi des Ouigours. Le mot a perdu de son sens et nous sommes amenés à couvrir le monde dans sa complexité. La meilleure façon de rendre compte d’un massacre au Bataclan ou de Boko Haram, c’est de décrire ce qu’il s’est passé.
Le DSA qui semble pour l’heure impuissant à enrayer la vague de désinformation et d’images violentes sur le conflit.
C’est le grand test du DSA, qui est entré en vigueur en août. Thierry Breton et l’UE ont fait des avertissements à X, à YouTube, à Meta, à TikTok. C’est quoi la suite ? On a vu toutes les situations extrêmes que portent ces réseaux. Je ne dis pas que la Commission européenne est impuissante mais la balle est clairement dans son camp pour mettre la pression sur les plateformes et exiger des changements. Nous travaillons avec elles dans le fact checking mais je pense qu’il y a des lignes directrices à donner.
Plusieurs journalistes tués à Gaza, deux journalistes de l’AFP blessés dans le Sud Liban. Quid de la difficulté d’exercer son métier dans cette région du monde en guerre ?
C’est extrêmement difficile pour le niveau d’émotion qui en résulte et en raison de la désinformation. C’est aussi une zone de grands dangers pour les journalistes. C’était très dangereux au moment de la guerre en Syrie où les journalistes étaient clairement une cible, où ils étaient enlevés. Ce n’est pas le cas, là. Mais on entre dans une guerre où le sort des civils n’est pas toujours pris en compte. Nous avons neuf journalistes à Gaza. Nous les avons évacués de Gaza City pour les mettre dans le Sud de la bande. Ils sont logés avec les familles, ce qui représente une communauté de 40-50 personnes, avec très peu de nourriture et très peu d’eau. Nous ne maîtrisons pas la situation, qui est très incertaine, nous sommes assez impuissant. Au Liban, nous sommes en train de faire une enquête. Les images donnent l’impression que c’est un tir qui venait des positions israéliennes. Les journalistes sur place en sont convaincus. L'une d'elle, une photographe, a été évacuée sur l’hôpital de Beyrouth et se trouve dans un état critique.
Dans le cadre des États généraux de l’information, les sociétés de journalistes appellent à la reconnaissance dans la loi d’un droit de veto par la rédaction sur la nomination de son directeur.
C’est difficile à imaginer à l’AFP. Je prends note et je trouve le débat intéressant.