Valentine Oberti, journaliste à Mediapart, coréalisatrice du documentaire «Media Crash, qui a tué le débat public ?» avec Luc Hermann, revient sur l'actualité de la semaine.
La sortie de votre documentaire « Media Crash, qui a tué le débat public ? », co-réalisé avec Luc Hermann, sur la concentration et l’utilisation des médias privés par des patrons de presse et industriels milliardaires.
Il faut penser ce documentaire comme une boîte noire de l’information. Nous racontons les coulisses de la fabrique de l’information : comment cela se passe quand elle sort, quelles sont les entraves à cela (pressions de toute sorte, censure, autocensure) et ce que cette sortie peut produire sur l’information. La mal-information a un impact sur le citoyen. C’est donc un sujet d’intérêt général qui nous a semblé important.
Les députés Paula Forteza et Matthieu Orphelin ont déposé une proposition de loi sur l’indépendance et la transparence des médias, dont l’obligation de rendre publique l’identité des actionnaires détenant plus de 5% du capital.
C’est une mesure qui nous paraît à Luc Hermann et moi-même, et à Mediapart plus largement, une bonne idée. Il faudrait que les médias puissent publier les identités de leurs actionnaires, qu’ils soient directs ou indirects, leurs comptes ainsi que les aides reçues par l’État et les collectivités locales. Nous pouvons aussi envisager le fait que les Sociétés des journalistes puissent disposer d’un statut protecteur au même titre que les représentants du personnel. Pour notre documentaire, nous avons eu beaucoup de mal à avoir des personnes face caméra du côté de CNews.
Des patrons de l’audiovisuel et de la presse française qui défilent au Sénat dans le cadre de la commission d’enquête sur la concentration des médias.
C’est formidable qu’une commission d’enquête sur la concentration des médias se tienne. La commission manque un peu de pugnacité, mais le cadre est bien défini car les patrons de médias sont obligés de s’y présenter. De manière générale, on a du mal à comprendre pourquoi ils achètent des médias si ce n’est pour acheter une forme d’influence, ce dont ils se défendent. Or des exemples précis dans notre documentaire montrent que posséder un média permet de pousser des opinions ou des idéologies ou d’avoir une bonne presse. Vincent Bolloré avance le fait que c’est rentable, Bernard Arnault déclare que c’est du mécénat et Patrick Drahi explique qu’il a perdu de l’argent, une façon de présenter son rachat de Libération comme un acte de charité. Nous avons l’impression que nous faisons face à des patrons de médias dont l’intention de départ n’est pas de faire une information d’intérêt général.
France Télévisions qui mène une enquête pour trouver l’auteur d’une fuite ayant permis à Vincent Bolloré de connaître, avant diffusion, le contenu d’un portrait qui lui est consacré sur France 2 en 2016: « Vincent Bolloré, un ami qui vous veut du bien? ».
Nous sommes face à un patron de média qui n’est pas l’actionnaire de France TV mais qui réussit à être informé du contenu précis d’un documentaire, séquence par séquence, avant sa diffusion, c’est dingue. Même quand il n’est pas propriétaire d’un média dans le service public, Bernard Arnault essaie de faire pression sur les médias.
Les défaillances du contrôle des Ehpad devant une commission d’enquête du Sénat, suite à la sortie du livre-enquête Les Fossoyeurs, de Victor Castanet.
Le fait qu’une commission d’enquête du Sénat s’ouvre suite à un travail journalistique est inédit et réjouissant. Nous ne sommes pas là pour prendre des décisions de justice mais pour mettre des faits sur la table. Si notre travail peut permettre de s’emparer des sujets d’intérêt public, d’abord auprès des citoyens et parallèlement auprès des institutions, c’est super. Il faudrait désormais que cette commission débouche sur quelque chose.