Sur sa chaîne Twitch, sa voix grave incarne une nouvelle approche de l’interview politique. Jean Massiet veut ouvrir les yeux des jeunes sur le monde politique.

Au milieu des influenceurs, vulgarisateurs, humoristes, streamers de jeux vidéo, etc., Jean Massiet est un ovni. Son sujet : la politique. Quatre fois par semaine, sur sa chaîne Twitch, il réalise plusieurs heures de Live de son appartement pour expliquer le fonctionnement des institutions à ses plus de 235 000 abonnés. Le clou de la programmation a lieu le jeudi, en studio, avec son émission Backseat, où les ministres, députés et sénateurs viennent se livrer à ses interviews particulières. « Mon but est de les sortir des habitudes des interviews classiques », indique-t-il. L’objectif : créer une nouvelle authenticité, pour que l’invité ne se limite pas à ses fiches.

Son ton et sa voix grave parlent aux jeunes et le succès monte. Lors d’une émission marathon, en 2019, il reçoit dix ministres. Dernièrement, il a animé une émission spéciale pour la Fête de l’Humanité avec Jean-Luc Mélenchon. Mais le projet de Jean Massiet (Massiet du Biest, de son vrai nom) n’est pas de tutoyer les dorures de la République. Né à Paris, et après une jeunesse tranquille à Courbevoie, ce « fils de bourgeois », comme il se définit, veut réintéresser les jeunes à la politique.

 Lui-même n’est pas né dans le militantisme. « Dans ma famille, on votait par devoir mais cela n’allait pas plus loin. En revanche, j’ai beaucoup entendu Coluche et Les Guignols de l’info que me passait mon père. Ça a été primordial pour moi et a beaucoup désacralisé ce monde », raconte-t-il. Sa mère, documentariste, a démythifié le monde de la télé : « En allant sur les tournages, j’ai compris que tout cela n’était pas magique, qu’une émission était un projet comme un autre, préparée dans un tableur Excel. »

C’est au lycée qu’il « ouvre les yeux sur la complexité du monde », questionne ses origines et tombe amoureux de la « chose publique » à travers diverses associations. Après des études de droits, il devient collaborateur d’élu. En 2014, il incarnera quelques mois la plume de Marisol Touraine. Mais son bref passage dans le monde politique ne convainc pas. C’est sur la Toile qu’il veut avoir un impact.

Il s’est fait connaître en 2017, avec la chaîne « Accropolis ». Il commentait les questions de l’Assemblée nationale comme une émission sportive. Avec Hugo Travers, il crée l’émission Questions aux sénateurs. Les deux jeunes posent, en direct, à un sénateur, des questions issues du chat de Twitch. Jean Massiet se veut créateur de dialogue entre la politique et la jeunesse, et la plateforme d’Amazon en est l’outil idéal. L'émission se rediffusée sur Public Sénat, c'est la première fois au monde qu'un stream Twitch est diffusé à la TV.

« Depuis huit ans, mon projet n’a pas changé : créer des vidéos qui permettent à des jeunes “largués” d’appréhender le monde politique. Je veux qu’une personne qui a l’impression qu’on ne s’adresse pas à elle, se dise qu’elle a le droit de s’en soucier, et s’autorise à cliquer sur un article du Monde pour le lire. » Il ira jusqu’à acheter aux grandes chaînes les droits de retransmission de l’interview d’Emmanuel Macron en mars 2023, pour la commenter en direct. « Ils me les ont vendus 1 500 euros. C’était marrant, un gars comme moi ne rentrait pas dans leur logiciel », s’amuse-t-il. Jean Massiet incarne un nouveau modèle que l’ancien monde a du mal à saisir.

Il aime voir évoluer son audience, pas en nombre, mais dans son rapport à l’objet politique. « Certains arrivent en adeptes du “tous pourris”. Puis reviennent plus intéressés la semaine suivante… », s’enthousiasme-t-il. C’est en ce sens qu’il veut « ouvrir les yeux », dessiller la jeunesse sur le monde politique (comprendre « amener quelqu’un à voir ce qu’il ignorait ou voulait ignorer », comme dit Le Larrousse). Car son projet ne se limite pas à la vulgarisation, mais bien à pousser une jeunesse abstentionniste à poser les yeux sur la politique. Si certains le trouvent un peu trop marqué à gauche, il certifie garder « la distance critique » nécessaire. « Je parle des institutions, mais je ne les défends pas », précise-t-il. Militant du politique mais non politisé ? « La seule chose que j’ai toujours refusée, c’est de recevoir des personnes de l’extrême droite. Mais aujourd’hui, des militants de la France Insoumise me disent que je suis trop à droite, et les Républicains me disent que je suis trop à gauche. Tant que cela reste comme ça, ça me va », résume-t-il.

Mais son envie nécessite des sacrifices. « Je sais que c’est dur de trouver un modèle économique pour ce que je veux faire », déplore-t-il. Et ce, même s’il a divisé par quatre les coûts de production d’une émission politique de plusieurs heures. « C’est très dur de trouver des fonds publics. Ce monde n’aime pas trop se questionner sur lui-même », avance-t-il. À ce jour, le budget de Backseat - 380 000 euros - est à l’équilibre et les abonnés représentent 75 % du financement. Le reste est obtenu via des partenariats ponctuels : le Parlement européen, Orange, Bouygues… « Certaines marques ont moins peur de faire face à des questions poil à gratter », constate-t-il. Mais elles restent encore peu nombreuses. Ne faudrait-il pas dessiller les yeux des marques aussi ?

Parcours

1988. Naissance à Paris

2011. Paris Panthéon, master 2 affaires publiques, administration du politique

2012. Devient collaborateur d’élu

2015. Lance sa chaîne Twitch

2020. Chroniqueur pour France Info et France Inter

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