Depuis le 27 juin, le journaliste couvre en direct sur les comptes Instagram, TikTok et Facebook du média Brut les événements qui se déroulent à Nanterre et en Île-de-France. Stratégies l’a interrogé.

Pour Brut, vous êtes sur le terrain depuis le mardi 27 juin, jour de la mort de Nahel, tué par un policier à Nanterre après un refus d’obtempérer. Concrètement, comment se déroulent vos journées ?

Depuis une semaine, mes journées sont extrêmement longues. En journée, je me consacre à la préparation technique et éditoriale de mes directs du soir. Il est important de conserver le caractère instantané et immersif des directs, mais il est aussi nécessaire de les contextualiser. Pour cela, je répertorie un certain nombre d’informations : des chiffres-clés (nombre de policiers et gendarmes mobilisés, bilan des dégâts, par exemple), des déclarations de personnalités politiques et des réactions de la famille de l’adolescent.

Il se peut que je sois mobilisé sur le terrain en journée. Ça a été le cas jeudi 29 juin, pour couvrir la marche blanche, puis les violences qui se sont déroulées en parallèle. Lors de cette journée, j’ai été en direct de 14h à 4h du matin avec quelques heures de coupure. Le lendemain de la mort de Nahel, j’ai aussi réalisé en journée une interview [qui a été montée, ndlr] de l’avocat de la famille de l’adolescent. Réaliser cette interview a permis à Brut d’avoir de nouveaux éléments clés sur la mort de Nahel.

Mais la majeure partie des événements, et donc de mes lives, se déroulent en soirée. Je démarre le direct aux alentours de 22h/23h depuis le compte TikTok de Brut. La distribution du flux vers les comptes Instagram et Facebook, et l’application mobile de Brut, est assurée à distance par notre régie technique. Les directs peuvent durer jusqu’à 4h du matin. 

Sur le terrain, comment faites-vous pour passer d’un contexte à un autre ?

Chaque partie de la journée a une couverture spécifique. Le jour de la marche blanche par exemple, j’ai pu interviewer en direct des personnes qui étaient présentes. Je me suis notamment tourné vers les personnes qui étaient munies d’une pancarte afin de leur demander quel était le message qu'il souhaitait faire passer. La configuration du live demande d’être dans le commentaire de ce qu’il se passe à un instant T, mais cela n’empêche pas de réaliser des interviews lorsque les conditions le permettent.

Quelques minutes après la marche blanche, des violences avec les forces de l’ordre ont éclaté. Dans ces conditions, il n’est plus possible de réaliser des interviews. Avant l’image, c'est la sécurité personnelle qui prime. Le soir des émeutes, je ne réalise pas non plus d’interview, ce qui me permet de répondre davantage aux questions des internautes tout au long du direct. Le live est avant tout fait pour ceux qui le suivent. 

Le soir de la marche blanche, vous avez été pris à partie par les forces de l’ordre à Nanterre. En dehors de cet incident, comment avez-vous été reçu sur le terrain ?

J’ai pu faire mon travail de journaliste mais dans un contexte compliqué. L’accueil des habitants est très positif. À Nanterre, des citadins m’ont salué le soir par leur fenêtre. Depuis leur domicile, ils entendaient le bruit des grenades et des tirs nourris de mortiers de feux d’artifice, et ils me disaient qu’ils étaient en train de s’informer en direct sur les canaux de Brut. Certains habitants m’ont même proposé de me mettre à l’abri chez eux en cas de danger. Cette scène m’a beaucoup marqué. Du côté des forces de l’ordre, en dehors de l’incident qui a été regrettable, j’ai eu la capacité de tourner des images.

Les attentats, les Gilets jaunes, les manifestations contre la réforme des retraites… Depuis sept ans, vous couvrez en direct des faits d’actualités tendus, ce qui demande une justesse dans la maîtrise de l’image. Votre couverture des révoltes se distingue-t-elle des autres événements ?

En termes de danger, d’intensité, de violence et de durée, je n’ai jamais couvert des émeutes urbaines de ce type. La couverture des manifestations des Gilets jaunes se faisait également dans des configurations dangereuses pour les journalistes, mais ce n'était pas comparable aux événements qui se sont déroulés en marge de la mort de Nahel.

Brut accorde une grande importance à la qualité de l’information et au respect des images, qui sont d’une extrême violence. Nous avons conscience que nous ciblons une audience jeune [15-25 ans], qui est en permanence confrontée à des images. Il y a une réalité à montrer, mais il y a aussi un point majeur dans la maîtrise du direct, c’est le contrôle de l’image. Nous respectons la dignité des personnes et les corps humains. Les bâtiments incendiés, les véhicules brûlés et les autres biens matériels qui s’embrassent sont des images que nous décidons de diffuser. C’est un rôle d’équilibriste qui n’est jamais parfait. Nous sommes constamment dans l’autocritique.

Quelques chiffres :

Entre 30 000 et 50 000. Nombre de personnes en moyenne suivant les directs du soir sur le compte TikTok de Brut.

100 000. Pic d’audience du nombre de personnes suivant les directs du soir sur le compte TikTok de Brut (dans la nuit du jeudi 29 au vendredi 30 juin).

180 millions. Audience cumulée des lives et des vidéos éditoriales sur le compte TikTok de Brut.