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À l'instar de Canal+, qui mise sur son métier d'agrégateur d'offres de services de streaming, les groupes audiovisuels cherchent à entrer de plain-pied dans le monde des plateformes.

C’est un partenariat de trois ans qui confirme une stratégie d’agrégation. À compter du 20 avril, l’intégralité des contenus d’Apple TV+ est proposée aux abonnés de Canal+, sans aucune majoration de prix et en laissant aux abonnés de MyCanal la possibilité de visionner les programmes du service de streaming américain. Pour les nouveaux abonnés de Canal, ce sera aussi l’opportunité de voir inclus dans leur offre un accès à ce bouquet rival de Netflix, Disney+, Prime et bientôt, de Max, qui naîtra en mai aux États-Unis de la fusion de HBO Max et de Discovery+.

« Avec ce partenariat historique, nous consolidons à la fois notre métier d’agrégateur, via la distribution d’Apple TV+, et notre métier d’éditeur, avec la diffusion de séries Apple Originals », a déclaré Maxime Saada, président du directoire de Canal+. En plus de séries originales comme Téhéran, The Morning Show ou Foundation, c’est aussi l’accès à des productions françaises qui est garantie, souligne Eddy Cue, senior vice-président des services d’Apple : « Avec des séries comme Liaison et Les Gouttes de Dieu, nous confirmons notre engagement auprès de l'industrie créative française. »

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Une campagne de publicité, signée BETC, promeut cette offre, du 19 au 25 avril. Philippe Bailly, président de NPA Conseil, salue cette « remontada » de Canal+ dans le rôle de « super-agrégateur des différences ». « Vous avez à la fois Canal+, Ciné Séries, Netflix, Disney+, OCS, Paramount+ et maintenant Apple TV+ pour un prix de 35 euros alors que cela coûterait plus de 80 euros séparément », note-t-il. Lors d’une table ronde du Syndicat national de la publicité télévisée (SNPTV), le 7 avril, le patron Maxime Saada en a dit un peu plus. Car cette stratégie d’agrégation et de distribution s’est assortie d’un ciblage sur les moins de 25 ans qui se retrouve autant dans la création originale (La Flamme, Validé..) les sports (le Grand Prix de moto par exemple) les films (Alibi.com, Bac Nord…) que le marketing. Témoin, l’opération RAT+, avec BETC et l’École Estienne, qui a proposé en mars aux moins de 26 ans les offres de Canal+, Netflix, Disney, OCS, et Paramount pour 19,49 euros par mois (70 isolément). « 100% de la croissance de ces trois dernières années, ce sont les jeunes, a-t-il reconnu, RAT+ a permis de recruter 100 000 moins de 26 ans. »

Si les diffuseurs évoluent dans une logique de plateformisation, c’est aussi du fait de l’évolution technologique. Philippe Bailly rappelle ainsi que la TV connectée, qui intègre l’Avod (ad-supported video on demand) ainsi que les chaînes Fast ou YouTube, est « la partie la plus dynamique » du média : elle représente 10% du temps passé devant la TV et déjà 5% de ses recettes publicitaires en France, à 170 millions d’euros. D’ici à 2028, ce segment devrait passer au niveau mondial de 41 à 91 milliards de dollars, soit une croissance double de celle de la SVOD, selon une étude récente de Digital TV.

Pour migrer vers ce monde de la « smart TV », les FAI ont été déterminants. Mais avec ce nouvel univers, s’ouvre aussi celui de la télévision en OTT, où les éditeurs de chaînes peuvent chercher à se passer de la box pour toucher le téléspectateur. C’est ce que tendent à faire les applis MyTF1Max ou 6PlayMax en réservant aux abonnés le live et le replay des chaînes de leur groupe. « Avec les services additionnels dans les applis, tout le monde se retrouve en concurrence frontale, mais Disney, Netflix ou Paramount ont des moyens très importants, y compris en communication », constate Pascal Lechevallier, expert et délégué général du Syndicat des éditeurs de vidéos à la demande, pour qui le travail du broadcaster sera de plus en plus de bien communiquer sur ses marques de programmes.

D’où aussi des frictions avec les opérateurs télécoms comme Orange, qui rechignent à payer aux éditeurs de chaînes comme TF1 plusieurs dizaines de millions d’euros de redevance s’ils voient leur échapper les applis de TV connectée. Reste qu'en se plateformisant de la sorte, à l’instar de ITVX, au Royaume-Uni, les éditeurs voient l’opportunité d’élargir leur catalogue de programmes et de toucher de nouveaux publics. « Du live, du replay, des chaînes Fast, des contenus supplémentaires, des offres payantes… C’est la plateforme couteau suisse vers laquelle ils vont tous », observe Philippe Bailly, qui parie sur « des alliances en termes de partenariat et de partage de revenus » avec les opérateurs télécoms.

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À TF1, Rodolphe Belmer rappelle que MyTF1 a un âge moyen de 41 ans quand c’est 55 ans pour la chaîne. Pour lui, il s’agit d’être « au creuset de la culture populaire française », à travers de grandes franchises de fiction ou de divertissement mais aussi de proposer « la plateforme de streaming gratuit de référence ». À la différence de Canal+, qui a une stratégie de croissance horizontale et mondiale en se s’étendant en Afrique avec Multichoice, ou en prévoyant une acquisition en Asie pour atteindre « 50 à 100 millions d’abonnés à moyen terme » (26 millions aujourd’hui), le groupe parie sur l’intégration verticale via sa filiale de production Newen. Mais la brique technologique qu’elle mettra face aux Gafan sera aussi clé. Selon nos informations, Rodolphe Belmer souhaite ainsi que la future plateforme MyTF1 identifie les différents membres du foyer pour leur adresser des recommandations et des publicités personnalisées.

RMC-BFM Play, présent au même niveau que Netflix ou Prime sur les magasins d’applications de SFR (Altice) ou, dans un autre genre, 6Play, qui vient d'intégrer des chaines Fast de Konbini et veut devenir une « marque de destination » selon Nicolas de Tavernost, mais aussi France.tv ou Arte.tv sont de bons exemples de cette évolution vers la plateformisation. Face à « 350 chaînes et applications », a observé le patron d’Arte, Bruno Patino, le 13 avril, devant la mission parlementaire sur l’avenir de l’audiovisuel public, « il nous faut des stratégies offensives : marier l’excellence éditoriale avec l’excellence technologique, et les faire découvrir est une grande partie de travail. Faire découvrir aux gens ce qu’ils ne cherchent pas : un enjeu majeur ». D’où le combat de Delphine Ernotte, à France TV, pour la numérotation sur les télécommandes, face aux accords mondiaux d’un Netflix ou Disney avec les équipementiers. Selon Arte, il faut aussi offrir, via la technologie HBBTV, une « garantie de visibilité » sur les magasins d’applications.

Limites réglementaires

La plateformisation se heurte, comme l’a rappelé Maxime Saada (Canal+), à des asymétries réglementaires avec les Gafan sur les quotas de diffusion, par exemple, ou dans l’exploitation des droits sportifs, ainsi que l’a montré Amazon en diffusant gratuitement un match de Roland-Garros acquis au titre de la « pay TV » en 2022. Rodolphe Belmer, le PDG de TF1, l’a aussi martelé de son côté : ni la loi Sapin, ni l’ARPP, ni les règles de diffusion du prime time ne s’appliquent « aux acteurs qui facturent depuis Dublin ».

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