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Après avoir suspendu RFI et France 24, la junte militaire au pouvoir au Burkina Faso a expulsé les correspondantes des deux quotidiens français, nouveau signe de la dégradation de la liberté de la presse dans ce pays meurtri par la violence jihadiste.

La junte militaire au pouvoir au Burkina Faso a expulsé samedi 1er avril les correspondantes de deux grands quotidiens français, Le Monde et Libération, nouveau signe de la dégradation de la liberté de la presse et des relations avec la France dans ce pays meurtri par la violence jihadiste. Ces expulsions de Sophie Douce du Monde et d'Agnès Faivre de Libération, arrivées le 2 avril à Paris, sont intervenues cinq jours après la suspension de la chaine de télévision France 24 et quatre mois après celle de Radio France Internationale (RFI). Seuls des médias français ont pour l'instant été ainsi sanctionnés par les autorités burkinabè.

Depuis la prise du pouvoir par le capitaine Ibrahim Traoré le 30 septembre 2022, second coup d'Etat en huit mois au Burkina, les relations avec Paris se sont dégradées, Ouagadougou ayant réclamé et obtenu le départ de l'ambassadeur de France et des 400 soldats français des forces spéciales basés dans le pays. Début mars, le Burkina a en outre dénoncé un accord d'assistance militaire signé en 1961 avec la France.

Le Monde et Libération ont annoncé le 2 avril l'expulsion de leurs journalistes en dénonçant une mesure « inacceptable » et « arbitraire », qui confirme selon le second « que la liberté de la presse au Burkina Faso est lourdement menacée ». Le Monde pour sa part « condamne avec la plus grande fermeté cette décision arbitraire », en soulignant que « Sophie Douce, comme sa consoeur, exerce pour Le Monde Afrique un journalisme indépendant, à l'écart de toute pression ». Le directeur du journal, Jérôme Fenoglio, « demande aux autorités locales de revenir au plus vite sur ces décisions et de rétablir sans délai les conditions d'une information indépendante dans le pays ».

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Selon Libération, « Agnès Faivre et Sophie Douce sont des journalistes d'une parfaite intégrité, qui travaillaient au Burkina Faso en toute légalité, avec des visas et des accréditations valables délivrées par le gouvernement burkinabè ». « Nous protestons vigoureusement contre ces expulsions absolument injustifiées et l'interdiction faite à nos journalistes de travailler en toute indépendance », ajoute le journal.

Les deux journalistes avaient été convoquées le 31 mars à Ouagadougou à la sûreté nationale et ont ensuite reçu l'ordre de quitter le Burkina Faso dans les 24 heures. Avant son départ, Agnès Faivre avait déclaré à l'AFP que cet ordre lui avait notifié « oralement ». « J'ai également été convoquée hier (le 31 mars) à la direction de la sureté de l'Etat. Puis un officier est venu ce matin (le 1er avril) à mon domicile me notifier verbalement que j'ai 24h pour quitter le territoire. Aucune notification écrite, ni motif. J'ai du mal à comprendre et à réaliser », avait pour sa part dit Sophie Douce.

Les autorités burkinabè n'avaient fait le 2 avril aucune déclaration sur le sujet. Ces expulsions surviennent quelques jours après la publication par Libération le 27 mars d'une enquête sur « une vidéo montrant des enfants et adolescents exécutés dans une caserne militaire, par au moins un soldat » dans le nord du Burkina. Cette enquête « avait évidemment fortement déplu à la junte au pouvoir au Burkina Faso », souligne le quotidien. « Le gouvernement condamne fermement ces manipulations déguisées en journalisme pour ternir l'image du pays », avait écrit le porte-parole du gouvernement burkinabè, Jean-Emmanuel Ouédraogo, après la publication de cette enquête, assurant que l'armée agit « dans le strict respect du droit international humanitaire ».

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Quelques jours plus tôt, le 27 mars, le gouvernement de transition avait coupé la diffusion de France 24 sur son territoire à la suite du décryptage d'un entretien du chef d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), quatre mois après avoir également suspendu la diffusion de RFI. Jean-Emmanuel Ouédraogo avait indiqué que ces deux médias étaient accusés d'avoir « ouvert leurs antennes à des leaders terroristes pour qu'ils propagent l'idéologie du terrorisme, de la violence, de la division ».

Dans la foulée du Mali et du Niger voisins, le Burkina Faso est pris depuis 2015 dans une spirale de violences attribuées aux groupes jihadistes liés à Al-Qaïda et à l'organisation Etat islamique (EI), qui ne cessent de croître. Elles ont fait plus de 10 000 morts - civils et militaires - selon des ONG, et quelques deux millions de déplacés internes.

Le secrétaire général de Reporters sans frontière (RSF), Christophe Deloire, a dénoncé auprès de l'AFP cette double expulsion « arbitraire, scandaleuse, indigne, qui n'est même pas notifiée par écrit publiquement ». « Après le renvoi d'ambassadeur, on est dans une logique du renvoi de journalistes comme s'ils étaient une variable d'ajustement des tensions diplomatiques: c'est absurde », a-t-il ajouté, affirmant que « le régime veut camoufler ses exactions ».

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