Pertinente et impertinente, la journaliste qui a pimenté les antennes radio et télé pendant presque trois décennies poursuit sa carrière à la direction de la rédaction de Causette, qui fête ses 14 ans.
Ce qui saute aux yeux, quand on la revoit près d’une décennie après qu’elle a tiré sa révérence du petit écran où elle a longtemps officié dans « la bande à Ruquier », c’est sa timidité matinée de sagacité. La directrice de la rédaction du mensuel féministe Causette, qui fête ses 14 ans, nous interroge sur la légitimité d’un portrait d’elle quand certains de ses alter ego s’étonnent de ne pas être plus présents dans nos colonnes. Et ce qui saute aux oreilles en entendant sa verve qui a bercé les antennes de France Inter puis d’Europe 1, c’est ce doux mélange flûté-futé. Elle était amie avec Kriss Graffiti, pilier de la station publique pendant trois décennies. Même impertinence, même finesse d’écoute et même espièglerie. Isabelle Motrot avoue qu’elle répondait souvent, à la demande de son aînée, à son téléphone. L’interlocuteur n’y entendait que du feu. Elle s’en amuse encore.
C’est l’animatrice qui a mis le pied à l’étrier à cette fille d’un artisan carreleur et d’une mère dessinatrice de papiers peints devenue comptable de son autoentrepreneur de mari. Elle grandit aux Pavillons-sous-Bois dans le 93 puis près de Compiègne en Picardie. Elle rêve de s’extirper de cette région « trop bourgeoise et monotone, ils votaient tous à droite ». Bac en poche et aspirations culturelles en bandoulière, elle investit la chambre de bonne de sa grand-mère, dans un 6e arrondissement de Paris encore socialement bigarré, rue de Buci, à l’orée des années 80. Elle multiplie des petits boulots pour financer son Conservatoire libre du cinéma français.
« Je suis tombée ensuite sur des gens qui faisaient de la radio, dont Kriss Graffiti, qui cherchait quelqu’un pour travailler avec elle. Elle m’a présenté Claude Villers qui avait une petite radio libre sur laquelle elle travaillait. Il m’a dit "tu as une bonne voix". » Il a influé sur la sienne en l’emmenant dans ses bagages lors de son retour sur France Inter. « C’était un rêve pour moi. Je compensais mon complexe d’imposteur en travaillant énormément. Je me disais que c’est mon travail qu’on entendrait. » Elle crée l'émission Audimatraquage dans lequel elle propulse un jeune belge inconnu en France, Philippe Geluck, chargé de « la rubrique farfelue du Docteur G », sourit-elle. Avec leur comparse, Philippe Val, ils s’amusent à parodier les radios qui devancent largement France Inter alors : Europe 1 ou RTL. « On faisait de faux horoscopes et un guide du routard de l’horreur. » La presque décennie s’arrête parce qu’elle refuse de se voir placardisée par un président de Radio France horripilé par ses impertinences. « Je suis partie en larmes mais digne. »
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En parallèle, elle s’aguerrit à la télévision pendant trois ans en travaillant pour Culture Pub sur M6, émission créée et dirigée par Christian Blachas (fondateur de Stratégies). « C’était l’époque où la pub était un monde doré et frappadingue. On s’amusait à le décrypter et à le moquer. » Elle parle de l’homme avec admiration : « Il avait une grande liberté de pensée et se fâchait régulièrement avec Nicolas de Tavernost et Thomas Valentin pour soutenir ses troupes et défendre notre esprit critique, qui nous amenait à épingler les annonceurs de la chaîne. » Elle chemine ensuite à la télé en devenant critique cinéma. Laurent Ruquier lui tend la main plusieurs fois. Elle travaille avec lui sur Europe 1 et sur France 2 pendant dix ans. « La clé d’entrée, c’était d’écouter et de respecter l’autre. J’étais très intransigeante. J’ai appris à argumenter plutôt que de m’engueuler avec les gens et à avoir de la repartie. À gommer mes a priori. »
Ces apprentissages, elle les met depuis 2017 au service de Causette. Le mensuel aux quinze salariés a révolutionné la presse féminine, ringardisant l’image d’une femme soumise aux clichés d’un patriarcat éculé. « Il a créé une communauté d’esprit. » À son image : bavard, plein d’infos, éclectique, opportun mais pas opportuniste. « C’est un magazine féministe mais aussi généraliste. On n’oublie jamais que le féminisme passe aussi par les hommes, qui représentent 30% de notre lectorat majoritairement CSP+ et dont l’âge moyen est 35 ans. » Devenue experte en chemin de fer et en rotative, la patronne du journal racheté par le groupe Hildegarde (Studio Ciné Live, Première) soutien l’ambition de son actionnaire, ouvert à d’autres investisseurs pour développer son site et accélérer sa diversification (formations, événementiel, édition, podcasts). Et le retour dans le poste ? Elle ne dit pas non.
Parcours
1987. Premiers pas radiophoniques sur Pacific FM.
1988. Suit Claude Villers à France Inter où elle reste jusqu’en 1996.
1992-1995. Journaliste réalisatrice à Culture Pub sur M6.
1998. Rédactrice en chef adjointe et chroniqueuse de Comme au cinéma de Frédéric Lopez sur France 2.
2001-2014. Chroniqueuse dans On va s’gêner de Laurent Ruquier sur Europe 1.
2004-2008. Rédactrice en chef du Bateau livre sur France 5.
Depuis 2017. Directrice de la rédaction de Causette.