La lourde sanction infligée ce mercredi 4 janvier par le gendarme irlandais à Meta fragilise le modèle économique du géant américain, sanctionnée pour ses pratiques en matière de collecte de données personnelles et de publicité ciblée.
La maison mère de Facebook et Instagram a écopé de deux amendes pour un total de 390 millions d’euros pour violation de la législation européenne sur ces données.
Surtout, elle se voit désormais privée du fondement juridique qui l’autorisait à compiler, stocker et analyser les données des centaines de millions d’Européens utilisant ses services, sans leur demander formellement leur accord.
Cette décision « pourrait être un coup sévère pour Meta », anticipe Dan Ives, un analyste de la société d’investissement américaine Wedbush Securities, qui estime que le groupe pourrait perdre à terme de 5 % à 7 % de son chiffre d’affaires.
Wall Street « espère » cependant que l’appel s’annonce par Meta « justifié à repousser les échéances à plus tard et ne s’inquiète pas à court terme », ajoute-t-il.
L’Europe représente un marché clef pour Meta.
Facebook comptait 303 millions d’utilisateurs quotidiens actifs en Europe au troisième trimestre 2022, contre 197 millions dans la zone Etats-Unis/Canada, sur un total de 2 milliards dans le monde.
Les Européens reçoivent par ailleurs environ 21 % du chiffre d’affaires publicitaire de Meta au même moment (47 % pour la zone États-Unis/Canada), selon ses comptes financiers.
Selon les juristes, la décision du régulateur irlandais oblige théoriquement le géant américain à demander à ses utilisateurs européens un consentement spécifique en vue de leur proposer la publicité ciblée. Faute de quoi il ne pourra plus leur adresser que des annonces moins personnalisées, qui lui rapportent beaucoup moins.
« On ne voit pas désormais d’autre base possible que le consentement » formel des internautes, explique Paul-Olivier Gibert, le président de l’Association française des cadres spécialistes des données personnelles.
L’avocate Sonia Cissé, du cabinet Linklater, estime pour sa part que la décision irlandaise « ne remet pas en cause les modèles économiques » fondés sur la publicité ciblée, comme celui de Meta.
« Mais elle les encadre et les limite définitivement », insiste-t-elle. Pour inciter les utilisateurs à donner leur consentement, « il faudra que les entreprises redoublaient d’ingéniosité pour se rendre attractives » auprès des consommateurs, estime-t-elle.
Bienveillance Irlandaise
Dans sa déconvenue, Meta peut au moins compter sur la bienveillance assumée de l’autorité irlandaise de protection des données. Celle-ci ne cache pas qu’elle n’a sanctionné le groupe que contrainte et forcée par ses homologues européennes, réunies dans le Comité européen de protection des données.
Elle a même refusé d’entreprendre une enquête sur l’ensemble des données imposées par Facebook et Meta, comme ces homologues le réclamaient - une injonction qu’elle conteste d’ailleurs devant la Cour européenne de justice.
Certains se demandent par ailleurs si les régulateurs de l’Union européenne n’en font pas un peu trop face aux géants américains. « En ce moment, il y a énormément de sanctions contre les entreprises américaines », souligne Sonia Cissé, spécialiste des contentieux liés aux données personnelles.
« Les autorités de régulation européennes sont très vigilantes sur la protection de l’intérêt des utilisateurs » des plateformes mais, « parfois, je me demande si ce n’est pas aussi un moyen de privilégier les sociétés européennes », poursuit-elle.
Ou, « les utilisateurs sont aussi bien contenus de trouver des services gratuits que, pour l’instant, les entreprises européennes n’ont pas été capables de leur fournir », fait-elle valoir.