David Pujadas, journaliste à LCI, présentateur de 24H Pujadas
«J’ai démarré l’information à la télévision en 1988, quand TF1 venait d’être privatisée. L’idée qu’elle ait connu un âge d’or – une information plus rigoureuse, moins portée vers le spectaculaire – me semble totalement fausse. Les journalistes sont devenus plus rigoureux, plus consciencieux dans leur rapport au spectaculaire. Voyez Cinq colonnes à la une diffusant une scène de reconstitution de bataille, sans que cela ne soit signalé. La télévision met en scène, même les attentats. Elle a montré de la chair humaine, des ralentis sur des visages défigurés, en relatant ceux de 1986-1987 à Paris. L’information est aussi moins institutionnelle, plus tournée vers le reportage. Elle est devenue meilleure même si elle n’est pas parfaite.
Cela n’est pas venu spontanément. Au fur et à mesure que la télévision acquérait de la puissance, elle générait des contre-pouvoirs, avec, par exemple, Daniel Schneidermann. Ces critiques l’ont obligée à être plus vertueuse. Face à ces reconstitutions, ce spectaculaire, ces arrangements avec la vérité, elle s’est fait pincer. La réputation des rédactions est en jeu. À cela s’ajoute que les journalistes ont peu à peu acquis cette culture. L’écho avec le combat contre les fake news et la désinformation actuellement ? Quand la télévision a vu apparaître internet, il a fallu se retrouver une raison d’être. Les rédactions devaient retrouver une plus-value : la certification de l’information.»
Laurent Guimier, directeur de l’information de France Télévisions
«J’ai été un immigrant de première génération dans l’univers numérique : j’ai quitté l’analogique pour aller sur internet en 2006, sur Lefigaro.fr. C’était alors un univers jugé exotique, l’âge du web et des blogs ; le web 2.0 n’était pas encore né. Quinze ans de numérique, à l’échelle des médias, ce n’est rien. Nous ne sommes qu’au début de l’histoire… Là où, avant, nous étions dans une logique d’édition, le numérique a mis au cœur des process de production, l’idée du flux de contenus. Là où les médias disposaient du privilège de publication, le web puis les réseaux sociaux ont permis à tout un chacun de publier, quasiment gratuitement, tout ce qui était partageable. Ces deux révolutions ne font que commencer.
Face à cela, chaque média réagit à sa manière. Certains ont placé la logique de flux au cœur de leur stratégie en créant une activité de ce type. C’est ce qu’a fait la chaîne Franceinfo, à la fondation de laquelle j’ai participé. Le Monde a réussi à réinventer son modèle économique en faisant arriver par des flux vidéo ou texte de nouveaux abonnés. Face à la deuxième révolution, c’est plus compliqué. Les Gafa ont capté une majorité des usages des réseaux à leur profit. Le risque se mesure sur le plan de la monétisation et de la démocratie. Par ailleurs, face à cet océan de contenus, la vérification de l’information constitue pour les journalistes un champ nouveau d’exercice de la profession qui n’existait pas il y a une dizaine d'années.
Si on se projette encore dans dix ans, l’enjeu prioritaire est l’éducation aux médias des générations qui ont connu l’écran au berceau.»
Hervé Beroud, directeur général délégué d'Altice Média
«Le métier de l’audiovisuel s'est transformé à 360 degrés. Il n’y a plus de la “télévision” ou de la “radio” mais de plus en plus un média global TV-radio-digital. Notre groupe en est un exemple, d’autres suivent cette voie. C’est une évolution flagrante qui recoupe aussi parfois la concentration des médias. Une seconde transformation est en cours, sur le plan éditorial. La question est la suivante : peut-on continuer à informer en s’adressant à tout le monde ? Dans la lignée de ce qui s’est mis en place sur les réseaux sociaux, où l’on se parle par courants de pensée, par affinités, sont nés des médias audiovisuels et digitaux d’opinion, comme Mediapart ou CNews. Avant, c’était surtout le cas en presse écrite. Une partie de la population a envie d’être confortée dans sa pensée. La question est de savoir comment continuer à informer sereinement et à parler à tous. Je suis convaincu qu’il existe une voie. J’ai passé plus de vingt ans à RTL, média généraliste grand public. Avec Marc-Olivier Fogiel, à BFMTV, nous souhaitons continuer à parler à tous.
Les changements concernant le travail des journalistes sont nombreux. Ils sont technologiques, d’abord. Chez nous, les tournages se font au smartphone et la présentation est autonome (sans technicien en régie) sont organisés. Dans un monde qui se radicalise, le journaliste a de plus en plus un rôle de vérificateur, il doit encore plus travailler qu’avant dans la recherche de la vérité et montrer une posture honnête. Enfin, sur le plan des contraintes économiques, il s’agit de rester rentable, bénéficiaire, pour investir dans la matière journalistique, embaucher et faire un travail de terrain.»
Rodolphe Belmer, directeur général d'Eutelsat Communications
«J'ai vu le premier pilote de notre première série exclusive Engrenages en décembre 2003. Nous l'avons diffusé le jeudi soir avant d'ouvrir une case le lundi soir baptisée « création originale ». L'idée était de se lancer dans la production de séries très qualitatives. Je cherchais à ouvrir Canal+ à de nouveaux publics : les jeunes et les femmes car le sport nous amenait davantage d'hommes. Fort de ce que proposait HBO, j'ai voulu une ligne éditoriale premium fondée sur des productions distinctives et haut de gamme, qui s'appuyaient sur un point de vue d'auteurs. J'ai répertorié tous les genres, du thriller au polar, en passant par la série historique et nous avons, pour chaque genre, proposé une différenciation. Ainsi, Les Revenants relevait du genre zombie ou Le Bureau des légendes de l'espionnage mais avec un aspect très psychologique et une sensibilité forte.
Il nous a fallu trouver des partenaires producteurs qui répondent à notre niveau d'exigence. Car ceux qui travaillaient jusque-là pour les télés gratuites n'avaient pas le même cahier des charges et le même rythme de production. Nous avons aussi identifié un vivier de talents nouveaux, acteurs, réalisateurs ou scénaristes, venant souvent du cinéma. Ces productions nous ont permis de créer de la valeur aux yeux de nos abonnés. Et de ne pas être uniquement distributeur mais aussi éditeur, ce qui permet de sécuriser la création. Je crois au modèle qui intègre distribution et édition. C'est pour ces raisons que nous avions aussi relancé le clair en faisant éclore des talents comme Camille Cottin, Kyan Khojandi et tant d'autres.»