Rétrospective
Le journaliste passé par Le Monde et l'Express, qui a révélé l'affaire Ben Barka et qui a lancé Marianne en 1997, nous raconte l'aventure de la création de L'Événement du jeudi, en 1984.

Le début des années 1980 ressemblait en partie à notre époque, avec une polarisation des médias sur un mode binaire. De mon expérience au Matin de Paris, à Europe 1, à L'Express ou sur Antenne 2, j'en étais arrivé à la conclusion qu'il était impossible de faire entendre une parole différente sur un certain nombre de sujets. Je m'étais dit que la seule façon d'y remédier était de créer un journal. C'était un truc de fou car je n'avais pas d'argent et aucun actionnaire que je démarchais ne voulait financer un journal indépendant et libre. J'ai eu l'idée d'une souscription. Il fallait d'abord monter une société avec un capital de 15 millions de francs. Je me suis tourné vers mon entourage et un cercle plus large incluant des gens de droite comme de gauche. Chacun donnait une petite somme. Simone Signoret, Yves Montand, Bernard Kouchner, Marcel Dassault ou Jacques Chaban-Delmas y ont contribué. Avec cet argent, j'ai pu faire une campagne de pub dans la presse pour lancer cet appel à l'épargne publique. Trente mille personnes sont devenus actionnaires et donc membres du club de L'Événement du jeudi, qui organisait concerts, dîners ou pièces de théâtre.

Interdisciplinarité

Quand nous avons lancé le journal, en novembre 1984, nous avions ainsi 30 000 militants qui se sont mobilisés pour faire connaître le journal. Nos singularités ? Nous échappions au clivage gauche/droite. Contrairement aux autres newsmagazines français qui imitaient leurs homologues américains, notre mise en page se réinventait à chaque numéro en fonction de l'actu, en alternant enquêtes très longues et sujets plus courts. Nous proposions des débats culturels avec une offre plus riche en dépit d'une rédaction moins nombreuses : 110 journalistes contre plus de 300 à L'Express et à L'Obs. Mais les nôtres étaient heureux car ils écrivaient et dans tous les secteurs, puisque la règle était l'interdisciplinarité. J'avais même supprimé la hiérarchie, au profit de seuls coordinateurs mais j'ai dû y revenir au bout de cinq ans. Nous traitions de sujets conso sur la bouffe, le vin, les équipements et effectuions des tests comparatifs, même si cela rebutait les annonceurs. Contrairement à nos concurrents, notre papier n'était pas glacé. Mais notre pagination était plus importante. Le journal était plus cher mais c'était le prix de notre liberté et cet argument nous a servi. Pour ne pas s'en tenir qu'à la critique, j'avais impulsé l'élaboration d'un programme de 100 pages avec des propositions couvrant tous les domaines, en sollicitant journalistes, spécialistes et lecteurs. Parmi elles, le renouvellement des responsables au bout d'une décennie a émergé. Je l'ai appliquée. L'Événement a perduré jusqu'en 2001. Il avait été racheté par Hachette et j'ai créé Marianne en réaction. Ma fierté ? Voir le parcours qu'ont fait certains ensuite : Jérôme Garcin, Michel Labro, Albert du Roy, Nicolas Domenach, Alain Duault, Maurice Szafran et les écrivains Hervé Le Tellier, Lionel Duroy, Bernard Werber ou Pierre Combescot. Et les entendre dire qu'ils en gardent un souvenir extraordinaire !

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