« Pendant sept ans, j'ai dirigé Le Matin de Paris avec bonheur. J'arrivais au bureau avant 8 heures, j'en repartais à 21 ou 22 heures mais c'était merveilleux. Cela reste la plus belle aventure rédactionnelle de ma vie. Une expérience menée avec des gens qui sont devenus des amis comme Maurice Szafran ou Nicolas Domenach et avec lesquels je travaille encore. Tout a commencé pendant la campagne présidentielle de 1974 que je dirigeais. Le vendredi, avant le second tour de la Présidentielle, une campagne énorme et très bien orchestrée, a été lancée pour attaquer François Mitterrand sur son passé pétainiste et Vichy. Je n'étais pas trop au fait. J'ai eu 24 h pour la contrer et je n'ai pas réussi car j'ai été très peu repris dans la presse quotidienne. Je me suis dit qu'il faudrait un jour faire un quotidien de gauche.
Jeunes talents
Deux ans plus tard, j'accompagnais Mitterrand lors d'un voyage en URSS où nous étions reçus par Léonid Brejnev. J'ai fraternisé avec le seul journaliste du voyage, Roger Colombani, qui présidait la société des journalistes de France-Soir. Je lui ait dit « j'ai envie de lancer un quotidien » et il m'a répondu « tope là, je viendrai vous rejoindre avec tous ces jeunes talents qui regrettent la droitisation de France-Soir ». Les équipes du Nouvel Obs [dont Claude Perdriel était propriétaire], Jean Daniel et Pierre Bénichou en tête, l'ont très mal pris. Seul Mona et Jacques Ozouf ainsi que le conseil d'administration m'ont soutenu.
On s'est lancé le 1er mars 1977 et on a fait un quotidien formidable, qui soutenait Mendès, puis Delors et Rocard. On a tout inventé, à commencer par l'introduction des chapôs dans les articles et la mise en page de unes inspirées de la presse magazine avec des photos. Nous avions une extraordinaire réactivité, vivant et refaisant le journal au rythme des telex qui tombaient dans l'entrée des locaux. L'équipe était formadable. Tant de talents y ont travaillé : Ruth Elkrief, Christine Bravo, Alexandre Adler, Hervé Chabalier, Richard Cannavo, Gilles Costaz, Bernard Frank, Max Gallo, Jean-François Kahn, Jean-Paul Kauffmann, Bernard Langlois, Didier Porte, Alain Riou, François-Henri de Virieu, Hervé Gattegno, Françoise Xenakis et même François Hollande. Ils venaient car ils savaient que leurs talents seraient encouragés. Je commence toujours un papier en lisant la signature. Je me souviens aussi de ces soirées extraordinaires à l'imprimerie où l'on voyait les rotatives démarrer, prendre de la vitesse et sortir 35 000 exemplaires par heure si le papier ne cassait pas, comme en hiver. Mais même en vendant 130 000 exemplaires, nous n'étions pas viable. J'ai été obligé de céder le journal en 1983 pour 1 franc aux fondateurs de la Fnac. On avait contribué à l'arrivée de la gauche au pouvoir mais le soutien de Mitterrand à Libération nous a fait beaucoup de tort. Le Matin a disparu en 1987. Pendant toute son existence, j'étais au couvent tant c'était prenant, mais j'étais heureux. »