Aux États-Unis, la révolution AVOD est déjà en marche. Des acteurs comme Tubi, Pluto TV ou encore Xumo sont en train de rebattre les cartes du marché de la télévision, avec des offres de films, séries, documentaires ou dessins animés, gratuites, financées par la publicité, accessibles à la demande ou dans un flux linaire comme une chaîne télé.
À lui seul, Pluto TV, racheté par le groupe Viacom début 2019, totalise 50 millions d’utilisateurs par mois, à 80 % sur le marché domestique. Le PDG de ViacomCBS, Bob Bakish, prévoit même que les revenus de Pluto TV dépasseront le milliard de dollars d’ici à la fin 2022. « On n’est pas sur un petit marché, estime Philippe Larribau-Lavigne, patron du groupe en France. Le linéaire télé n’est pas du tout mort mais il va évoluer. Un service comme Pluto TV offre une nouvelle expérience de télévision, entre la TV linéaire et la SVOD [le streaming par abonnement]. »
Chaînes gratuites FAST
En France, les services se sont multipliés ces derniers mois. En novembre 2020, Molotov a lancé la plateforme Mango, avec un catalogue de films, documentaires et séries jeunesse accessibles à la demande gratuitement, moyennant la diffusion de coupures publicitaires. Pluto TV est également arrivé sur le marché français en février 2021 sur un modèle de chaînes gratuites dites FAST (free ad-supported TV). « C’est notre différence. Nous avons une section à la demande, mais l’usage principal se fait sur les chaînes linéaires en streaming », insiste Philippe Larribau-Lavigne.
Une cinquantaine de chaînes sont aujourd’hui proposées, par thème (action, dating, investigation, cuisine …) ou par marque-programme, de Plus belle à vie à Bob l’éponge. « Les gens veulent de plus en plus de contenus mais ils sont perdus. D’où ce choix de chaînes linéaires ultra thématisées, qui permettent aux utilisateurs de gagner du temps », justifie le country manager France de ViacomCBS, qui vise 100 chaînes début 2022.
Enfin, Rakuten TV. Après avoir ouvert sa plateforme de programmes à la demande aux contenus gratuits à partir de l’automne 2019, il se lance aujourd’hui dans les chaînes linéaires gratuites. Cinq chaînes sont annoncées pour la France : USGA Golf, L’Atelier des chefs, Luxe, Motosport et Humanity. Au total, le groupe, qui n’a pas souhaité répondre aux questions de Stratégies, prévoit de déployer une centaine de chaînes sur le marché européen dans les prochains mois.
Le linéaire, une urgence
« Nous sommes au début de l’histoire, anticipe Grégory Samak, directeur général de Molotov. Nous voulons faire en sorte que la vague de l’AVOD se crée, qu’on bascule d’un marché de complément à un marché digital de la télévision. » Déjà, 5 % de l’audience totale de Molotov se fait sur l’offre Mango. « On parle de plusieurs millions d’utilisateurs par mois, y compris sur l’AVOD. C’est considérable », s’enthousiasme-t-il.
Et pour accélérer le mouvement, Molotov va, selon nos informations, lancer d’ici à la fin de l’année des chaînes linéaires thématiques pour Mango. « Le linéaire introduit une urgence, ça va devenir un standard de marché », estime Grégory Samak. L’intérêt est aussi publicitaire : « Avec le linéaire, vous exposez l’utilisateur par défaut, ce qui maximise le nombre d’impressions publicitaires. » Sans parler de la thématisation, qui permet un ciblage contextuel, et de son enrichissement par la data. Même discours à Pluto TV. « Les chaînes ultra-thématisées offrent des contextes très fins, ce qui permet d’orienter les marques en minimisant la déperdition », explique Philippe Larribau-Lavigne.
Et contrairement à la télévision « classique », la pression publicitaire est encore limitée sur les chaînes gratuites en streaming. Sur Pluto TV, pas de pre-roll mais seulement des mid-rolls de deux minutes, diffusés dans la limite de huit minutes par heure. Plus de 60 marques ont déjà communiqué sur la plateforme en France, indique-t-on chez ViacomCBS. Sur Mango, les coupures publicitaires sont diffusées dix minutes après le début du programme, puis toutes les 30 minutes, dans la limite de trois spots à la fois. La plateforme totalise près de 10 millions d’impressions par mois et l’AVOD pourrait représenter autour de 10 % du chiffre d’affaires de Molotov en 2021.
Viser les cord cutters
« L’AVOD est en phase d’amorçage en France, contextualise Gilles Pezet, consultant analyste média au cabinet NPA Conseil. Aux États-Unis, c’est monté très vite. L’AVOD répond à une demande des annonceurs en permettant de toucher un public qu’on n’a plus en télévision : les cord cutters [ceux qui se désabonnent du câble]. Mais ce phénomène est propre aux États-Unis. En France, il n’y a pas de péril à court terme sur les audiences TV, y compris sur les jeunes, et les plateformes de replay des chaînes traditionnelles ont un coup à jouer pour garder l’avance qu’elles ont [lire encadré]. »
Pour développer les usages et par ricochet les revenus publicitaires, les pure players de l’AVOD devront travailler leur distribution et leur catalogue. Parmi les enjeux, la production originale, un axe que travaille notamment Rakuten TV, avec par exemple la série documentaire Championnes. De son côté, Pluto TV entend bien monter de nouvelles chaînes au gré des modes, voire proposer des chaînes de marque, comme aux États-Unis avec World Poker Tour ou IGN. Dans le monde de l’AVOD, tout reste à inventer.
Les groupes audiovisuels musclent leur offre AVOD
Déjà très puissantes sur le replay, les plateformes des grandes chaînes développent leur offre AVOD. MyTF1 vient de lancer Stream, une quinzaine de flux linéaires thématisés selon le genre (thriller, télénovelas…) ou la marque-programme (Sous le Soleil, Seconde chance…), proposés gratuitement moyennant la diffusion de publicités en pré-roll. TF1 vise une quarantaine de streams d’ici à la fin de l’année. De son côté, M6 a proposé en vue de l’Euro la chaîne 100% foot, qui permettait de revoir sur 6Play les 50 meilleurs matchs du championnat européen dans une boucle linéarisée. D’autres chaînes en streaming seront annoncées début juillet. Le groupe Altice Media vient quant à lui de regrouper le replay de ses chaînes au sein d’une nouvelle plateforme, RMC BFM Play, qui intègre aussi un volet AVOD, fort d'un partenariat avec Alchimie. « L’AVOD permet aux chaînes de toucher une cible plus jeune qu’avec le replay », estime Gilles Pezet, consultant analyste média au cabinet NPA Conseil. Reste la question de la monétisation. Selon le CNC, le replay a généré en 2020 un chiffre d’affaires de 125 millions d’euros, ce qui reste relativement faible pour un total de 9,1 milliards de vidéos vues.